Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 janvier 2005 et 18 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE, dont le siège est 4, avenue Reine Victoria BP 1179 à Nice Cédex (06003) ; le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 18 novembre 2004 en tant qu'il a réformé le jugement du 22 septembre 2000 du tribunal administratif de Nice et l'a condamné à verser à la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes la somme de 71 469,74 euros en réparation des dommages résultant de l'intervention chirurgicale subie dans cet établissement le 16 août 1996 par M. Kamel A ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande présentée par la caisse de mutualité sociale agricole devant le tribunal administratif de Nice ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE, de la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de M. Kamel A et de la SCP Vincent, Ohl, avocat de la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par jugement du 22 septembre 2000, le tribunal administratif de Nice a déclaré le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE responsable des dommages subis par M. A en raison d'une faute commise lors d'une intervention chirurgicale pratiquée le 16 août 1996 dans cet établissement, et rejeté les prétentions de la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes, faute pour elle de justifier la somme de 22 574,04 euros qu'elle soutenait avoir déboursée ; que la cour administrative d'appel de Marseille a, par arrêt du 18 novembre 2004, réformé ce jugement et condamné l'établissement public à verser à l'organisme de sécurité sociale la somme de 71 469,74 euros ; que, sans contester sa responsabilité, le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a prononcé cette condamnation ;
Considérant que lorsque l'étendue réelle des conséquences dommageables d'un même fait n'est connue que postérieurement au jugement de première instance, la partie requérante est recevable à augmenter en appel le montant de ses prétentions par rapport au montant de l'indemnité demandée devant les premiers juges ; que ces dernières peuvent aussi être augmentées, le cas échéant, des prestations nouvelles servies depuis l'intervention du jugement de première instance ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la somme dont la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes a demandé le remboursement en appel correspondait aux frais liés à l'hospitalisation de M. A du 15 août 1996 au 27 septembre 1996, aux frais médicaux et pharmaceutiques engagés du 30 août 1996 au 27 avril 1998, aux indemnités journalières servies à l'assuré du 30 août 1996 au 27 avril 1998 et au capital de la rente ; qu'à l'exception de ce dernier, l'étendue réelle des sommes engagées au titre de ces postes était connue antérieurement au jugement du tribunal administratif de Nice du 22 septembre 2000 ; que la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes n'était dès lors recevable à majorer en appel ses prétentions qu'au titre du remboursement du capital représentatif de la rente et des arrérages échus ; qu'ainsi la cour, en jugeant recevable la majoration de toutes les conclusions indemnitaires de l'organisme de sécurité sociale, a commis une erreur de droit ; que son arrêt du 18 novembre 2004 doit être annulé en tant qu'il a statué sur le préjudice et sur les droits de la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes et de M. A ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il n'est pas contesté, d'une part, que M. A a subi, en raison de son incapacité temporaire totale, des pertes de revenus non compensées par les indemnités journalières à hauteur de 2 596,05 euros et, d'autre part, que les frais médicaux non pris en charge par la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes s'élèvent à 7 160,50 euros ; que cette dernière justifie en appel, dans le dernier état de ses écritures, avoir versé 10 075,20 euros au titre des frais médicaux et pharmaceutiques, 18 985,80 euros au titre des frais d'hospitalisation et 3 682,40 euros en indemnités journalières au-delà des trois mois d'hospitalisation qu'une intervention non suivie de complications aurait justifiés ; que les juges du tribunal administratif de Nice ont fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence et des souffrances endurées par M. A en les évaluant respectivement à 152 449,02 euros, dont 35 000 euros en réparation du préjudice personnel, et à 10 671,43 euros ; que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE ne conteste pas utilement l'évaluation à 98 128,38 euros des frais futurs que devra supporter M. A du fait des incontinences dont il demeure atteint ; que si ce dernier doit, compte tenu de son incapacité à exercer une activité professionnelle normale, être indemnisé de sa perte de revenus future, évaluée à 31 441 euros, il n'établit ni la perte de chance d'obtenir un emploi à plein temps, ni le préjudice esthétique qu'il invoque ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le montant total du préjudice de M. A dont la réparation incombe au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE s'élève à 335 189,78 euros, dont 289 518,35 euros au titre de l'atteinte à l'intégrité physique, et 45 671,43 euros pour le préjudice personnel ;
Sur les droits de la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes n'est pas recevable à majorer en appel le montant de ses prétentions indemnitaires, à l'exception du capital représentant la rente d'invalidité servie à M. A ; que ses débours s'élèvent à la somme de 22 574,04 euros, demandée par un mémoire du 24 août 2000 devant le tribunal administratif de Nice, à laquelle s'ajoutent le capital représentatif de la rente, évaluée à 36 469,74 euros, demandé dans le mémoire déposé au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille le 29 septembre 2004, et le montant des arrérages échus, soit 2 688,12 euros ; que le total de la créance dont la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes est recevable à obtenir le remboursement s'établit ainsi à la somme totale de 61 731,90 euros, qui s'impute intégralement sur la réparation due à M. A au titre de l'atteinte à l'intégrité physique ;
Sur les droits de M. A :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité à laquelle M. A peut prétendre s'élève à 273 457,88 euros ; que, toutefois, la somme de 10 169,36 euros représentant les frais d'hospitalisation, médicaux et pharmaceutiques déboursés par la caisse mais dont celle-ci n'est pas recevable à demander le remboursement en appel ne peut être versée à M. A qui n'a jamais déboursé cette somme ; qu'ainsi, ce dernier a droit à la somme de 263 288,52 euros ; que cette somme portera intérêt à compter du 7 octobre 1997, date de saisine du tribunal administratif ; que M. A a demandé la capitalisation des intérêts par son mémoire du 10 janvier 2006 ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande à cette date et au 10 janvier 2007 ;
Sur les conclusions tendant à l'application du 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale présentées en appel par la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes :
Considérant que le 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dispose : « En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée (...) » ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de cette disposition et de condamner le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE à verser à la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes la somme de 751,87 euros qu'elle demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE les sommes demandées par M. Kamel A et la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes devant la cour administrative d'appel de Marseille et le Conseil d'Etat au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction de M. A :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-9 du code de justice administrative : « Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office. / En cas d'insuffisance de crédits, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l'établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; si l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement n'a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu, au mandatement d'office » ; que dès lors que cette disposition permet à M. A, en cas d'inexécution de la présente décision dans le délai prescrit, d'obtenir le mandatement d'office de la somme que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE est condamné à lui verser, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions aux fins d'injonction qu'il a présentées ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 18 novembre 2004 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il a statué sur le préjudice et les droits de M. A et de la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes.
Article 2 : Le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE versera à la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes la somme de 61 731,90 euros, ainsi que la somme de 751,87 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 3 : L'indemnité que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE a été condamné à verser à M. A par le jugement du tribunal administratif de Nice du 22 septembre 2000 est ramenée à 263 288,52 euros, cette somme portant intérêt à compter du 7 octobre 1997. Les intérêts échus à la date du 10 janvier 2006, puis au 10 janvier 2007 seront capitalisés à ladite date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 22 septembre 2000 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes et de M. Kamel A devant la cour administrative d'appel de Marseille et le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE NICE, à la mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes, à M. Kamel A et au ministre de la santé et des solidarités.