LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société ID Sud que sur le pourvoi incident relevé par la société Axa France IARD ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 juillet 2013), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 8 décembre 2009, n°08-70.216), que le 4 février 1993, M. X... a ouvert dans les livres de la société Change de la bourse, devenue la société ID Sud, un compte de titres qu'il a géré seul puis avec l'assistance d'un mandataire ; que le 4 décembre 1995, M. X... a fait transférer son portefeuille auprès d'un autre établissement ; que, soutenant que la société ID Sud ne l'avait pas informé des baisses de valeur enregistrées et qu'elle avait manqué à son devoir de conseil, M. X..., après avoir obtenu en référé la désignation d'un expert, a demandé que la société ID Sud soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts ; que cette dernière a appelé en garantie son assureur, la société Axa courtage, aux droits de laquelle vient la société Axa France IARD ;
Attendu que la société ID Sud et la société Axa France IARD font grief à l'arrêt de condamner la première à payer à M. X..., à titre de dommages-intérêts, une somme de 1,5 millions d'euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt et de condamner la société Axa France IARD à garantir la société ID Sud à concurrence de 304 898, 03 euros alors, selon le moyen :
1°/ que la réparation du préjudice résultant d'une perte de chance ne saurait présenter un caractère forfaitaire mais doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudice supportés par la victime ; qu'en évaluant le préjudice subi par M. X... en raison du manquement de la société ID Sud à ses obligations d'information et de mise en garde «toutes causes confondues » à la somme globale et forfaitaire de 1,5 millions d'euros sans déterminer le montant total du préjudice subi par la victime, ni fixer la fraction de ce préjudice correspondant à la perte de chance réparée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
2°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en mentionnant qu'un expert privé avait chiffré le montant total investi par le client à la somme de 12 179 989 euros en raison de versements supplémentaires de 3 614 911 euros quand le rapport de cet expert mentionnait les sommes de 12 179 989 francs et de 3 614 912 francs, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise privé produit aux débats et a partant violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ que l'objet du litige est fixé par les prétentions des parties telles qu'elles résultent de l'acte introductif d'instance et des conclusions en défense ; que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé ; que Monsieur X... lui-même indiquait dans ses conclusions d'appel n'agir qu'en réparation du préjudice subi en raison de la diminution de son propre portefeuille, si bien qu'en prenant en considération, pour déterminer les pertes subies, l'ensemble des comptes ouverts par M. X... auprès de la société ID Sud, tant en son nom propre qu'en qualité de gérant de deux personnes morales, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est par suite d'une erreur de plume, qui doit être corrigée selon ce que la raison commande, que l'arrêt mentionne, en euros au lieu de francs, les sommes de 12 179 989 et 3 614 911 ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que le montant total investi par M. X... s'élève à la somme de 12 179 989 euros (francs) et qu'après déduction de la valeur du portefeuille transféré, la perte subie s'élève à la somme de 9 099 443 francs ; qu'il retient ensuite que le préjudice n'est pas équivalent à cette perte mais correspond à la valeur de la chance dont M. X... a été privé de ne pas effectuer les opérations perdantes s'il avait été correctement renseigné par la société de bourse ; que l'arrêt fixe le préjudice supporté par M.Graffeo, apprécié à la date du prononcé de la décision, à la somme de 1,5 millions d'euros "toutes causes confondues" ; qu'en l'état de ces appréciations, dont il résulte que le préjudice alloué n'indemnisait que la seule probabilité de réalisation de la chance perdue au titre du compte ouvert en son nom propre par M. X..., la cour d'appel, qui n'a ni accordé une réparation globale et forfaitaire, ni méconnu les termes du litige, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Condamne les sociétés ID Sud et Axa France IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer, chacune, à M. X..., la somme de 1 500 euros et rejette leurs demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat aux Conseils, pour la société ID Sud
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société ID SUD à payer à Monsieur Alphonse X... à titre de dommages-intérêts une somme de 1,5 million d'euros avec les intérêts au taux légal à compter de son prononcé, outre la somme de 80.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
AUX MOTIFS QUE le client a ouvert des comptes non gérés ; que la société de bourse, mandataire tenue d'une obligation de mise en garde, d'information et de conseil, avait dès l'ouverture l'obligation de s'assurer qu'il connaissait de manière suffisante les risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme la dispensant de cette obligation ; qu'il lui appartient de prouver par quels moyens elle s'est assurée que le client était un spéculateur initié ou, le cas échéant, à quelle date il l'est devenu en cours de fonctionnement du compte ; qu'elle ne rapporte pas la preuve positive des renseignements et précautions qu'elle a pris à cet égard et ne peut, pour s'exonérer des conséquences de sa carence, se prévaloir des fonctions de dirigeant d'entreprise exercées à l'époque par le client dont il n'est pas établi qu'il était titulaire d'un diplôme ou bénéficiaire d'une formation dont auraient pu être déduites des connaissances suffisantes dans le domaine considéré ; que le client, qui dirigeait à l'époque au moins six sociétés, a ouvert le 4 février 1993 un compte personnel non géré et un compte associé auprès de la société de bourse, confiant à cette dernière une mission de tenue de compte à l'exclusion de toute gestion des opérations dont il se voyait reconnaître l'entière maîtrise ; qu'il a ouvert à la même époque pour deux des sociétés qu'il dirigeait deux autres comptes également non gérés et pourvus chacun d'un compte associé et a, aux termes des constatations de l'expert judiciaire, effectué en trois ans 682 opérations pour un montant total de 390 086 266 francs correspondant à une rotation de 45 fois la valeur de départ des portefeuilles, soit un mouvement par jour de bourse d'un montant moyen de 571 900 francs dont 80 % pour son compte personnel sur 47 supports correspondant à 80 % au règlement mensuel sur actions, bons de souscription et warrants ; que l'expert judiciaire, qui n'est pas critiqué sur ce point, a clairement mis en évidence le caractère particulièrement risqué des opérations à terme auxquelles se livrait le client, notamment de celles afférentes au règlement mensuel sur warrants ou options qui nécessitent une technicité particulière et une surveillance des cours de tous les instants quasiment à la portée des seuls professionnels ainsi que l'obligation, en cas de perte à la date de règlement prévue, d'effectuer des reports onéreux sans garantie de les effacer en cas d'orientation durablement baissière du titre ; qu'alors qu'elle n'avait pas pris la peine de vérifier les compétences du client à l'occasion de l'ouverture des comptes, la société de bourse devait dans ces conditions à tout le moins s'en inquiéter ultérieurement à l'occasion de l'exécution des ordres et de l'enregistrement des pertes qui mettaient clairement en relief sa carence initiale ; attendu que l'expert judiciaire a relevé que quatre évènements significatifs avaient affecté le fonctionnement des comptes ; qu'il a constaté en premier lieu qu'un certain Kfouri s'était vu confier par le client le 29 octobre 1993 le mandat de « traiter à sa place toute option sur devises à hauteur de 2 millions de francs de prime » et s'est interrogé à juste titre sur le point de savoir quelle interprétation il convenait de donner à ce pouvoir quant à la cadence, la périodicité, la nature et le montant des transactions ; qu'il est démontré à cet égard que le montant global des opérations traitées par ce mandataire par jour a dépassé la somme de 2 millions de frans à trois reprises, le 31 octobre, le 17 novembre et 1er décembre 1993 ; que pour autant, aucun préjudice spécifique engendré par ces dépassements n'est caractérisé, aucune preuve n'étant rapportée de ce que les opérations effectuées par le mandataire ont été globalement déficitaires ; que, aucun renseignement précis sur ce mandataire ne figurant au dossier, il peut simplement être reproché à la société de bourse, qui déjà n'avait pas vérifié les aptitudes du client, de ne pas s'être inquiétée davantage, avant de lui laisser le champ libre, de celles d'un intermédiaire qui ne lui était pas connu ; qu'il n'y a pas lieu dans ces conditions d'évaluer séparément et spécifiquement un préjudice particulier engendré par cette imprudence ; attendu que l'expert judiciaire a également mis en évidence des erreurs affectant six relevés de comptes transmis au client entre le 6 février et le 4 décembre 1995, la valeur totale du portefeuille et celle des liquidités étant erronées ; que ces erreurs aboutissent cependant systématiquement à une sous-évaluation dont il n'est pas établi qu'elle a eu la moindre influence sur les choix d'investissement effectués par le client qui ne soutient pas que compte tenu de la baisse apparente de son portefeuille plus importante qu'elle ne l'était en réalité, il s'est laissé aller à des opérations spéculatives plus risquées encore que celles qu'il a choisies, ou que le montant des placements décidés en fonction de ces informations en a été affecté, de sorte que là encore, faute de lien de causalité spécifique, aucun décompte particulier de préjudice ne s'impose ; attendu que par télécopie en date du 18 juillet 1995 le client a donné l'ordre à la société de bourse de bloquer son compte pour une durée de 13 mois, la cause de n'en étant pas clairement établie dès lors que l'expert n'a abouti à aucune conclusion certaine, que le client soutient qu'il avait simplement en vue le transfert de son portefeuille à un autre établissement, et que la banque affirme que le blocage était destiné à garantir une opération spéculative conseillée par un escroc qui en définitive a échoué grâce aux vérifications qu'elle a effectuées mais dont l'expert n'a retrouvé aucune trace ; qu'il faut simplement relever que la thèse du client paraît improbable dès lors qu'il n'a donné l'ordre de transfert de son portefeuille que le 4 décembre 1995, ce délai excédant très largement celui qui était nécessaire ; attendu que l'expert judiciaire a dénombré 177 mouvements de portefeuille postérieurs à l'ordre de blocage, un expert privé rapportant que 120 opérations ont été effectuées sur le compte personnel du client pour un montant de 116 millions de francs jusqu'au 4 décembre 1995 ; que contre l'évidence le client affirme que ces opérations ont été décidées par la société de bourse seule sans ordre de sa part, la seule absence de traces de ces ordres, essentiellement passés par téléphone selon l'expert judiciaire, ne pouvant valoir preuve alors qu'aucun des relevés d'opérations y afférents n'a été contesté dans le délai contractuel d'un mois et même ultérieurement avant l'introduction de la procédure, et que les seuls mouvements qui selon l'expert n'ont pas fait l'objet de relevés correspondent à des versements de coupons, des prélèvements de droits de garde et des virements de sorte qu'aucun ordre n'a été omis ; qu'il faut dès lors considérer que, comme suggéré par l'expert judiciaire, le client a bien renoncé au blocage sans trace écrite et qu'aucun préjudice spécifique n'a été engendré par les opérations postérieures ; attendu que le 4 décembre 1995 le client a donné l'ordre à la société de bourse « de transférer sous quinzaine, soit d'ici le vendredi 15 décembre 1995, la totalité des obligations, actions, emprunts d'Etat à la société BARCLAY'S à Marseille » ; que, le compte ayant été débiteur à la date de l'ordre de transfert compte tenu des opérations non encore dénouées, et le solde ayant été garanti conventionnellement par les titres en portefeuille, la société de bourse a liquidé d'abord les titres échus, ensuite un certain nombre de positions à terme le 31 décembre 1995, dernier jour du mois boursier, jusqu'à obtention d'un solde créditeur de 2.196 ¿, seuls des titres d'une valeur de 3.080.546 ¿ ayant en définitive été transférés à la société BARCLAY'S ; attendu que l'expert judiciaire a estimé la valeur du portefeuille à la date d'ouverture du compte à 8.565.077 F, l'exactitude de cette estimation étant mise en doute par la société de bourse mais sans démonstration de sa fausseté ; qu'un expert privé a retenu le même chiffre mais ajouté, pour parvenir au montant total investi par le client chiffré à 12.179.989 d'¿uros, des versements supplémentaires de 3.614.911 ¿ ; que ces versements, qui apparaissent sur les relevés du compte associé au compte personnel du client, seront intégrés au calcul, de sorte que, après déduction de la valeur du portefeuille transféré à la société BARCLAY'S, la perte est bien du montant de 9.099.443 F avancé par l'expert privé et non de 8.266.499 F retenu par l'expert judiciaire ; que le préjudice du client n'est cependant pas équivalent à cette perte mais correspond à la valeur de la chance dont il a été privé de ne pas effectuer les opérations perdantes s'il avait été renseigné par la société de bourse selon les principes et la déontologie qui s'imposaient à cette dernière ; attendu que le client, à la tête de nombreuses sociétés et détenteur à l'évidence d'un important patrimoine, a refusé de participer à l'expertise et de fournir tous renseignements sur l'origine de ce patrimoine dont la cour souhaitait s'inspirer, aux termes de la mission confiée à l'expert judiciaire, pour l'appréciation de sa maîtrise des opérations boursières au cas où il aurait été établi qu'elle provenait en tout ou partie des spéculations personnelles antérieures sur les marchés à terme ; qu'alors qu'il ne peut avoir ignoré qu'il n'avait pas ouvert un compte géré, et qu'à l'évidence la réception sans protestation des avis d'opéré et des relevés de compte démontre qu'il a personnellement donné les ordres exécutés par la société de bourse, il a persisté à soutenir qu'il n'en avait donné aucun et que son compte avait en fait été géré par cette société ; qu'il importe peu à cet égard que, comme affirmé dans les certificats médicaux, il ait à l'époque été atteint de dépression en conséquence notamment d'un accident vasculaire cérébral, rien ne démontrant que son comportement le révélait et la banque n'étant pas coupable dès lors de ne pas l'avoir décelé ; attendu que la perte de chance doit être évaluée en considération des aléas et incertitudes affectant le lien de causalité entre les pertes enregistrées et les fautes de la société de bourse mises en évidence ; que, n'étant pas exclu compte tenu du refus du client de collaborer à l'expertise, d'une part, que la fortune de ce dernier provient pour partie de gains spéculatifs antérieurs, d'autre part, que la griserie de la richesse et la surestimation de soi qui résultent fréquemment de gains réalisés trop facilement, aient été le facteur déterminant de la décision d'ouvrir un compte non géré, il est loin d'être certain que des renseignements adaptés, fournis par la société de bourse auraient conduit l'intéressé à choisir une autre solution, la décision prise ultérieurement de n'ouvrir que des comptes gérés en considération peut être de la catastrophe engendrée par la gestion directe, n'étant d'aucun enseignement à cet égard ; que ce constat, abstraction faite de la charge de la preuve, mérite néanmoins d'être nuancé par le fait que la société de bourse ne prouve pas qu'elle a fourni ou réclamé un quelconque renseignement avant la demande de transfert, à l'occasion des prises de position sur le marché à terme ou des reports de positions multiples qui, cumulés, ont abouti à une importante perte lors de la liquidation du 31 décembre 1995 ; attendu que l'expert privé a considéré que la perte pouvait être évaluée à la fin de l'année 2011 à la somme de 18.111.531,83 F obtenue en appliquant à celle de 9.099.443 F le taux de rendement des OAT à 10 ans ; que ce raisonnement ne peut être suivi en raison des incertitudes relevées ci-dessus auxquelles s'ajoute le fait que le client s'abstient de justifier du rendement de ses placements auprès d'autres établissements auxquels il a fait confiance, notamment de la société BARCLAY'S qui a réceptionné les valeurs transférées en 1995 ; que le préjudice néanmoins important du client, apprécié à la date du présent arrêt, sera dans ces conditions indemnisé toutes causes confondues par l'octroi d'une somme de 1,5 million d'euros à titre de dommages-intérêts ;
1) ALORS QUE la réparation du préjudice résultant d'une perte de chance ne saurait présenter un caractère forfaitaire mais doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudice supportés par la victime ; qu'en évaluant le préjudice subi par Monsieur X... en raison du manquement de la société ID Sud à ses obligations d'information et de mise en garde «toutes causes confondues » à la somme globale et forfaitaire de 1,5 millions d'euros sans déterminer le montant total du préjudice subi par la victime, ni fixer la fraction de ce préjudice correspondant à la perte de chance réparée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
2) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en mentionnant qu'un expert privé avait chiffré le montant total investi par le client à la somme de 12.179.989 euros en raison de versements supplémentaires de 3.614.911 euros quand le rapport de cet expert mentionnait les sommes de 12.179.989 francs et de 3.614.912 francs, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise privé produit aux débats et a partant violé l'article 1134 du code civil ;
3) ALORS QUE l'objet du litige est fixé par les prétentions des parties telles qu'elles résultent de l'acte introductif d'instance et des conclusions en défense ; que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé ; que Monsieur X... lui-même indiquait dans ses conclusions d'appel n'agir qu'en réparation du préjudice subi en raison de la diminution de son propre portefeuille, si bien qu'en prenant en considération, pour déterminer les pertes subies, l'ensemble des comptes ouverts par Monsieur X... auprès de la société ID Sud, tant en son nom propre qu'en qualité de gérant de deux personnes morales, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société ID SUD à payer à Monsieur Alphonse X... à titre de dommages et intérêts une somme de 1,5 million d'euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt et D'AVOIR condamné la société AXA FRANCE IARD à garantir la société ID SUD à concurrence de 304.898,03 euros ;
AUX MOTIFS QUE le client a ouvert des comptes non gérés ; que la société de bourse mandataire tenue d'une obligation de mise en garde, d'information et de conseil, avait dès l'ouverture l'obligation de s'assurer qu'il connaissait de manière suffisante les risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme la dispensant de cette obligation ; qu'il lui appartient de prouver par quels moyens elle s'est assurée que le client était un spéculateur initié ou, le cas échéant, à quelle date il l'est devenu en cours de fonctionnement du compte ; qu'elle ne rapporte pas la preuve positive des renseignements et précautions qu'elle a pris à cet égard et ne peut, pour s'exonérer des conséquences de sa carence, se prévaloir des fonctions de dirigeant d'entreprise exercées à l'époque par le client dont il n'est pas établi qu'il était titulaire d'un diplôme ou bénéficiaire d'une formation dont auraient pu être déduites des connaissances suffisantes dans le domaine considéré ; que le client, qui dirigeait à l'époque au moins six sociétés et était administrateur d'une septième, a ouvert le 4 février 1993 un compte personnel non géré et un compte associé auprès de la société de bourse, confiant à cette dernière une mission de tenue de compte à l'exclusion de toute gestion des opérations dont il se voyait reconnaître l'entière maîtrise ; qu'il a ouvert à la même époque pour deux des sociétés qu'il dirigeait deux autres comptes également non gérés et pourvus chacun d'un compte associé et a, aux termes des constatations de l'expert judiciaire, effectué en trois ans 682 opérations pour un montant total de 390.086.266 francs correspondant à une rotation de 45 fois la valeur de départ des portefeuilles, soit un mouvement par jour de bourse d'un montant moyen de 571.900 francs dont 80 % pour son compte personnel sur 47 supports correspondant à 80 % au règlement mensuel des actions, bons de souscription et warrants ; que l'expert judiciaire, qui n'est pas critiqué sur ce point, a clairement mis en évidence le caractère particulièrement risqué des opérations à terme auxquelles se livraient le client, notamment de celles afférentes au règlement mensuel sur warrants ou options qui nécessitent une technicité particulière et une surveillance des cours de tous les instants quasiment à la portée des seuls professionnels ainsi que l'obligation, en cas de perte à la date de règlement prévue, d'effectuer des reports onéreux sans garantie de les effacer en cas d'orientation durablement baissière du titre ; qu'alors qu'elle n'avait pas pris la peine de vérifier les compétences du client à l'occasion de l'ouverture des comptes, la société de bourse devait dans ces conditions à tout le moins s'en inquiéter ultérieurement à l'occasion de l'exécution des ordres et de l'enregistrement des pertes qui mettaient clairement en relief sa carence initiale ; que l'expert judiciaire a relevé que quatre événements significatifs avaient affecté le fonctionnement des comptes ; qu'il a constaté en premier lieu qu'un certain KFOURI s'était vu confier par le client le 29 octobre 1993 le mandat de "traiter à sa place toute option sur devises à hauteur de 2 millions de francs de prime" et s'est interrogé à juste titre sur le point de savoir quelle interprétation il convenait de donner à ce pouvoir quant à la cadence, la périodicité, la nature et le montant des transactions ; qu'il est démontré à cet égard que le montant global des opérations traitées par ce mandataire par jour a dépassé la somme de 2 millions de francs à trois reprises, le 31 octobre, le 17 novembre et le 1er décembre 1993 ; que pour autant aucun préjudice spécifique engendré par ces dépassements n'est caractérisé, aucune preuve n'étant rapportée de ce que les opérations effectuées par le mandataire ont été globalement déficitaires ; que, aucun renseignement précis sur ce mandataire ne figurant au dossier, il peut simplement être reproché à la société de bourse, qui déjà n'avait pas vérifié les aptitudes du client, de ne pas s'être inquiétée davantage, avant de lui laisser le champ libre, de celles d'un intermédiaire qui ne lui était pas connu ; qu'il n'y a pas lieu dans ces conditions d'évaluer séparément et spécifiquement un préjudice particulier engendré par cette imprudence ; que l'expert judiciaire a également mis en évidence des erreurs affectant six relevés de comptes transmis au client entre le 6 février et le 4 décembre 1995, la valeur totale du portefeuille et celle des liquidités étant erronées ; que ces erreurs aboutissent cependant systématiquement à une sousévaluation dont il n'est pas établi qu'elle a eu la moindre influence sur les choix d'investissement effectués par le client qui ne soutient pas que compte tenu de la baisse apparente de son portefeuille plus importante qu'elle ne l'était en réalité, il s'est laissé aller à des opérations spéculatives plus risquées encore que celles qu'il a choisies, ou que le montant des placements décidés en fonction de ces informations en a été affecté, de sorte que là encore, faute de lien de causalité spécifique, aucun décompte particulier de préjudice ne s'impose ; que par télécopie en date du 18 juillet 1995 le client a donné l'ordre à la société de bourse de bloquer son compte pour une durée de treize mois, la cause de n'en étant pas clairement établie dès lors que l'expert n'a abouti à aucune conclusion certaine, que le client soutient qu'il avait simplement en vue le transfert de son portefeuille à un autre établissement, et que la banque affirme que le blocage était destiné à garantir une opération spéculative conseillée par un escroc qui en définitive a échoué grâce aux vérifications qu'elle a effectuées mais dont l'expert n'a retrouvé aucune trace ; qu'il faut simplement relever que la thèse du client paraît improbable dès lors qu'il n'a donné l'ordre de transfert de son portefeuille que le 4 décembre 1995, ce délai excédant très largement celui qui était nécessaire ; que l'expert judiciaire a dénombré 177 mouvements de portefeuille postérieurs à l'ordre de blocage, un expert privé rapportant que 120 opérations ont été effectuées sur le compte personnel du client pour un montant de 116 millions de francs jusqu'au 4 décembre 1995 ; que contre l'évidence le client affirme que ces opérations ont été décidées par la société de bourse seule sans ordre de sa part, la seule absence de traces de ces ordres, essentiellement passés par téléphone selon l'expert judiciaire, ne pouvant valoir preuve alors qu'aucun des relevés d'opérations y afférents n'a té contesté dans le délai contractuel d'un mois et même ultérieurement avant l'introduction de la procédure, et que les seuls mouvements qui selon l'expert n'ont pas fait l'objet de relevés correspondant à des versements de coupons, des prélèvements de droits de garde et des virements de sorte qu'aucun ordre n'a été omis ; qu'il fait dès lors considérer que, comme suggéré par l'expert judiciaire, le client a bien renoncé au blocage sans trace écrite et qu'aucun préjudice spécifique n'a été engendré par les opérations postérieures ; que le 4 décembre 1995 le client a donné l'ordre à la société de bourse "de transférer sous quinzaine, soit d'ici le vendredi 15 décembre 1995, la totalité des obligations, actions, emprunts d'État à la société BARCLAY'S à Marseille" ; que, le compte ayant été débiteur à la date de l'ordre de transfert compte tenu des opérations non encore dénouées, et le solde ayant été garanti conventionnellement par les titres en portefeuille, la société de bourse a liquidé d'abord les titres échus, ensuite un certain nombre de positions à terme le 31 décembre 1995, dernier jour du mois boursier, jusqu'à obtention d'un solde créditeur de 2196 ¿, seuls les titres d'une valeur de 3.080.546 ¿ ayant en définitive été transférés à la société BARCLAY'S ; que l'expert judiciaire a estimé la valeur du portefeuille à la date d'ouverture du compte à 8.566.077 F, l'exactitude de cette estimation étant mise en doute par la société de bourse sans démonstration de sa fausseté ; qu'un expert privé a retenu le même chiffre mais ajouté, pour y parvenir au montant total investi par le client chiffré à 12.179.989 d'¿uros, des versements supplémentaires de 3.614.911 ¿ ; que ces versements, qui apparaissent sur les relevés du compte associé au compte personnel du client, seront intégrés au calcul, de sorte que, après déduction de la valeur du portefeuille transféré à la société BARCLAY'S, la perte est bien du montant de 9.099.443 F avancé par l'expert privé et non de 8.266.499 F retenu par l'expert judiciaire ; que le préjudice du client n'est cependant pas équivalent à cette perte mais correspond à la valeur de la chance dont il a été privé de ne pas effectuer les opérations perdantes s'il avait été renseigné par la société de bourse selon les principes et la déontologie qui s'imposait à cette dernière ; que le client, à la tête de nombreuses sociétés et détenteur à l'évidence d'un important patrimoine, a refusé de participer à l'expertise et de fournir tous renseignements sur l'origine de ce patrimoine dont la Cour souhaitait s'inspirer, aux termes de la mission confiée à l'expert judiciaire, pour l'appréciation de sa maîtrise des opérations boursières au cas où il aurait été établi qu'elle provenait en tout ou partie de spéculations personnelles antérieures sur les marchés à terme ; qu'alors qu'il ne peut avoir ignoré qu'il n'avait pas ouvert un compte géré, et qu'à l'évidence la réception sans protestation des avis d'opéré et des relevés de compte démontre qu'il a personnellement donné les ordres exécutés par la société de bourse, il a persisté à soutenir qu'il n'en avait donné aucun et que son compte avait en fait été géré par cette société ; qu'il importe peu à cet égard que, comme affirmé dans des certificats médicaux, il ait à l'époque été atteint de dépression en conséquence notamment d'un accident vasculaire cérébral, rien ne démontrant que son comportement le révélait et la banque n'étant pas coupable dès lors de ne pas l'avoir décelé ; que la perte de chance doit être évaluée en considération des aléas et incertitudes affectant le lien de causalité entre les pertes enregistrées et les fautes de la société de bourse mise en évidence ; que, n'étant pas exclu compte tenu du refus du client de collaborer à l'expertise, d'une part que la fortune de ce dernier provient pour partie de gains spéculatifs habituels antérieurs, d'autre part que la griserie de la richesse et la surestimation de soi qui résultent fréquemment de gains réalisés trop facilement, aient été le facteur déterminant de la décision d'ouvrir un compte non géré, il est loin d'être certain que des renseignements adaptés fournis par la société de bourse auraient conduit l'intéressé à choisir une autre solution, la décision prise ultérieurement de n'ouvrir que des comptes gérés en considération peut-être de la catastrophe engendrée par la gestion directe, n'étant d'aucun enseignement à cet égard ; que ce constat, abstraction faite de la charge de la preuve, mérite néanmoins d'être nuancé par le fait que la société de bourse ne prouve pas qu'elle a fourni ou réclamé un quelconque renseignement avant la demande de transfert, à l'occasion des prises de position sur le marché à terme ou des reports de positions multiples qui, cumulés, ont abouti à une importante perte lors de la liquidation du 31 décembre 1995 ; que l'expert privé a considéré que la perte pouvait être évaluée à la fin de l'année 2011 à la somme de 18.111.531,83 F obtenue en appliquant à celle de 9.099.443 F le taux de rendement des OAT à 10 ans ; que ce raisonnement ne peut être suivi en raison des incertitudes relevées ci-dessus auxquelles s'ajoute le fait que le client s'abstient de justifier du rendement de ses placements auprès d'autres établissements auxquels il a fait confiance, notamment de la société BARCLAY'S qui a réceptionné les valeurs transférées en 1995 ; que le préjudice néanmoins important du client, apprécié à la date du présent arrêt sera dans ces conditions indemnisé toutes causes confondues par l'octroi d'une somme de 1,5 millions d'euros à titre de dommages et intérêts ; qu'il n'est pas contesté que la société AXA FRANCE IARD n'assure la société de bourse qu'à concurrence de 304.898,03 euros ; qu'elle sera condamnée à payer cette somme à son assurée ;
ALORS D'UNE PART QUE la réparation du préjudice résultant d'une perte de chance ne saurait présenter un caractère forfaitaire mais doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudice supportés par la victime ; qu'en évaluant le préjudice subi par Monsieur X... en raison du manquement de la société ID SUD à ses obligations d'information et de mise en garde « toutes causes confondues » à la somme globale et forfaitaire de 1,5millions d'euros sans déterminer le montant total du préjudice subi par la victime, ni fixer la fraction de ce préjudice correspondant à la perte de chance réparée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
ALORS D'AUTRE PART QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en mentionnant qu'un expert privé avait chiffré le montant total investi par le client à la somme de 12.179.989 euros en raison de versements supplémentaires de 3.614.911 euros quand le rapport de cet expert mentionnait les sommes de 12.179.989 francs et 3.614.912 francs, la Cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise privé produit aux débats et a partant violé l'article 1134 du Code civil ;
ALORS DE DERNIÈRE PART QUE l'objet du litige est fixé par les prétentions des parties telles qu'elles résultent de l'acte introductif d'instance et des conclusions en défense ; que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé ; que Monsieur X... lui-même indiquait dans ses conclusions d'appel n'agir qu'en réparation du préjudice subi en raison de la diminution de son propre portefeuille, si bien qu'en prenant en considération, pour déterminer les pertes subies, l'ensemble des comptes ouverts par Monsieur X... auprès de la société ID SUD, tant en son nom propre qu'en qualité de gérant de deux personnes morales, la Cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du Code de procédure civile.