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19/06/2024 | FRANCE | N°C2400903

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 juin 2024, C2400903


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° B 22-81.808 FS-B


N° 00903




RB5
19 JUIN 2024




CASSATION PARTIELLE
REJET
IRRECEVABILITÉ




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 JUIN 2024<

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La société [2] et Mmes [SB] [P], [ZK] [E], [XC] [J], [KC] [LO], [LK] [VS], [C] [TS], [ZC] [FB] [EF], [GN] [LI], [TB] [ME], [KC] [GL], [FS] [UP], [BU] [XA], [IW] [DC], [DA] [EA], [IS] [VY], [AL] [JC], [KY] [YI], ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° B 22-81.808 FS-B

N° 00903

RB5
19 JUIN 2024

CASSATION PARTIELLE
REJET
IRRECEVABILITÉ

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 JUIN 2024

La société [2] et Mmes [SB] [P], [ZK] [E], [XC] [J], [KC] [LO], [LK] [VS], [C] [TS], [ZC] [FB] [EF], [GN] [LI], [TB] [ME], [KC] [GL], [FS] [UP], [BU] [XA], [IW] [DC], [DA] [EA], [IS] [VY], [AL] [JC], [KY] [YI], [XU] [O], épouse [UU], [AC] [OO], [RX] [AB], [HN] [SL], [ZO] [WA], tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de [AD] [NV] et [V] [GF], [IS] [BN], [FJ] [W], [UL] [Y] [BT], [ZO] [K], [TD] [HS], [ZI] [UN], [OV] [DZ], [GH] [LE], [PZ] [VP], [UL] [EA], [ZI] [KI], [KY] [NZ], [AC] [CU], épouse [CZ], [PX] [LG] [NO], [PX] [GP], [HY] [MO], [YE] [VN], [I] [PV], [PX] [RZ], [GS] [ZM], [XC] [LM], [T] [GU], [CT] [LA], [IY] [UH], [IS] [AR] [FL], [XE] [ZA], [PX] [CB], [FF] [BM], [G] [YK], [PB] [PD], [GN] [OM], [PZ] [IA], [N] [MM], [KY] [NM], [B] [DG], [A] [U], [KG] [MR], [KA] [NI], [PZ] [MT], [XY] [SN], [TH] [NI], [WP] [X], [AV] [FH], [BU] [DF], [M] [HU], [PR] [MK], [BH] [HP], [WP] [EA], [FD] [XW], épouse [MG], [XE] [PT], épouse [TP], [OX] [JU], [EG] [CR], [R] [EM], [ZI] [XG] [YA] [NT], MM. [HW] [KK], [WY] [GW], [RF] [OT], [WY] [LC], [DH] [YI], [DH] [WA], [Z] [JW], [IP] [ZG], [GJ] [TJ], [IU] [BT], [VW] [KE], [D] [US] [NR], [FP] [HJ], [RD] [L], [UF] [CZ], [YG] [RB], [ZE] [JY], [FL]-[DX] [BB], [OZ] [OR], [TL] [TN] [SD], [FN] [VN], [AR] [UJ], [SF] [LM], [RH] [HL], [JA] [TF] [VL],
[NK] [VL], [YC] [CC], [SJ] [NM], [UW] [X],
[WS] [H], [WU] [NX], [JE] [EM], les consorts [EL],
les consorts [ED], les consorts [S] et la société [1], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 16 décembre 2021, qui, pour blanchiment aggravé, a condamné la première à 700 000 euros d'amende dont 350 000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société [2], les observations des parties représentées par Me Carbonnier, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, MM. Ascensi, Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par un rapport du 25 septembre 2014, [7] a porté à la connaissance du procureur de la République des faits susceptibles de qualifications pénales concernant l'activité du groupe de sociétés [8] dirigé par MM. [SH] et [WW] [CG]. Etaient décrits des flux financiers enregistrés sur les comptes des différentes entités composant ce groupe laissant suspecter une escroquerie de type « chaîne de Ponzi » qui consiste à inviter des clients à investir dans un projet et à les rémunérer, non avec les fruits du capital investi, mais avec des fonds apportés par de nouveaux arrivants.

3. A l'issue de l'information judiciaire ouverte sur ces faits, MM. [SH] et [WW] [CG] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour y être jugés des chefs d'escroquerie en bande organisée, abus de biens sociaux, abus de confiance, exercice de l'activité de conseil en investissements financiers sans remplir les conditions prévues et blanchiment.

4. La société [2] (la [2]), auprès de laquelle la société [8] détenait un compte bancaire, a été renvoyée devant la même juridiction du chef de blanchiment aggravé, pour avoir apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits reprochés à MM. [SH] et [WW] [CG], en l'espèce en leur permettant d'effectuer au moyen dudit compte des virements à destination de comptes bancaires étrangers, domiciliés notamment à Hong Kong et en Indonésie, portant sur des sommes conséquentes alors que la banque, en raison de sa qualité de professionnelle et des contrôles qu'elle se devait de faire, ne pouvait ignorer l'origine délictuelle des sommes portées sur ce compte qu'elle gérait, eu égard notamment au mode de fonctionnement de celui-ci et à ses obligations de vigilance et de surveillance renforcée s'agissant de l'Indonésie au titre des articles L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier, avec les circonstances que les faits ont été commis de façon habituelle et en utilisant des facilités procurées par l'exercice de l'activité professionnelle de banquier.

5. Par jugement du 26 février 2021, le tribunal correctionnel de Paris a condamné MM. [SH] et [WW] [CG] des chefs susvisés et relaxé la [2].

6. Sur l'action civile, les premiers juges ont reçu certaines constitutions de parties civiles et condamné solidairement MM. [WW] et [SH] [CG] à les indemniser de leur préjudice. Les parties civiles ont été déboutées de leurs demandes à l'égard la [2].

7. MM. [WW] et [SH] [CG], le procureur de la République et plusieurs parties civiles ont interjeté appel du jugement.

Examen de la recevabilité des pourvois formés par Mme [XC] [J] et M. [HW] [KK]

8. Il résulte des pièces de procédure que Mme [XC] [J] et M. [HW] [KK] n'ont pas interjeté appel du jugement.

9. Ainsi, n'ayant pas été partie à l'instance d'appel, ils n'avaient pas qualité pour se pouvoir en cassation.

10. En conséquence leurs pourvois ne sont pas recevables.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé pour la succession de Mme [IW] [DC]

11. Il résulte des pièces de procédure qu'un pourvoi a été formé pour la « succession de Mme [IW] [DC] », partie civile, par déclaration au greffe d'un avocat.

12. Une succession, qui ne possède pas de personnalité juridique, n'a pas la capacité de se pourvoir en cassation, seuls les héritiers de la partie civile, nommément désignés, étant susceptibles d'exercer ce droit.

13. En conséquence le pourvoi est irrecevable.

Examen de la recevabilité du mémoire de M. [VU] [F]

14. Il résulte des pièces de procédure que M. [VU] [F] n'a pas formé de pourvoi, aucune déclaration n'ayant été souscrite à son nom.

15. En conséquence, le mémoire ampliatif est irrecevable en ce qu'il a été déposé en son nom.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses cinquième et sixième branches, proposé pour la [2] et les premier et troisième moyens proposés pour les parties civiles

16. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches, proposé pour la [2]

Enoncé des moyens

17. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la [2] coupable du chef de blanchiment aggravé pour la période comprise entre juillet 2012 et juillet 2014, alors :

« 1°/ que l'élément matériel du délit de blanchiment est caractérisé par un acte matériel de concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ; que la méconnaissance des obligations professionnelles relatives à la lutte contre le blanchiment, de vigilance et de déclaration, faute de constituer un concours, ne suffit pas à caractériser l'élément matériel du blanchiment ; qu'en se bornant, pour déclarer l'exposante coupable de blanchiment, à relever divers manquements de l'exposante à ses obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment, sans constater l'existence d'un acte matériel de concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion, la cour d'appel a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale ensemble l'article 324-1 du code pénal ;

2°/ que le délit de blanchiment suppose une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d'un crime ou d'un délit ; qu'en se fondant, pour déclarer la banque coupable de blanchiment sur les manquements de cette dernière à ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et un « concours aux prévenus, assimilable à un soutien abusif », sans constater une quelconque opération de placement, de dissimulation ou de conversion des sommes ayant transité par le compte de la société [8], la cour d'appel a violé l'article 324-1 du code pénal ;

3°/ qu'en considérant qu'à compter de 2012 la banque aurait manqué à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon, et que son attitude pourrait s'analyser comme constituant l'apport, en connaissance de cause, d'un concours aux prévenus, après avoir constaté que lorsqu'elle avait reçu « des signaux d'alarme pluriels », l'exposante, en la personne de Mme [MI] [JW], avait sollicité un grand nombre de justificatifs à M. [WW] [CG], contrats et convention de trésorerie notamment, qui avaient été scannés pour être mis à disposition de ses organes de contrôle dont le service de lutte contre le blanchiment, que ces informations avaient fait l'objet d'un traitement, et que l'exposante avait procédé à une déclaration de soupçon le 23 juin 2014, ce dont il résulte nécessairement qu'elle avait satisfait à ses obligations de vigilance et de déclaration de soupçon, telles qu'elles résultaient des articles L. 561-5 et suivants du code monétaire et financier, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 324-1 du code pénal, L. 561-22 IV du code monétaire et financier et 591 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre ; qu'un manquement, même manifeste et répété d'une banque à ses obligations de vigilance et de déclaration ne peut caractériser à lui seul l'élément intentionnel du délit de blanchiment ; qu'en se bornant à retenir, pour considérer qu'à partir de l'année 2012, l'exposante ne pouvait pas ignorer que des flux frauduleux circulaient sur le compte qu'elle gérait, que le score du compte litigieux était passé à l'orange à la fin de l'année 2012, que les flux à destination ou en provenance de l'Indonésie avaient sensiblement augmenté, que le [3] avait inscrit l'Indonésie sur la liste grise des pays suspects en matière de lutte contre le blanchiment et que les rapports d'activité [7] 2010, 2011, et 2012 avaient alerté les professionnels du crédit sur des risques liés à des chaînes de Ponzi avec l'intervention de personnes se présentant comme conseillers financiers, cependant que ni la circonstance que le [3] avait inscrit l'Indonésie au nombre des pays figurant sur la liste grise, ni celle que des rapports d'activité [7] relevant l'existence de « chaînes Ponzi » n'établissaient qu'au cas précis, l'exposante aurait eu connaissance de l'origine frauduleuse des fonds et après avoir constaté qu'il était avéré que Mme [JW] avait sollicité un grand nombre de justificatifs à M. [WW] [CG], notamment les contrats et conventions de trésorerie qui avaient été scannés et mis à la disposition des services de contrôle anti-blanchiment, et que l'ACPR avait conclu que les alertes informatiques mises en place par l'exposante étaient efficaces, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction de blanchiment et a méconnu les articles 324-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

18. Pour déclarer la [2] coupable de blanchiment aggravé entre juillet 2012 et juillet 2014 et prononcer à son encontre notamment des condamnations civiles, l'arrêt attaqué énonce que l'établissement bancaire a reçu durant plusieurs années des signaux d'alarme pluriels, qu'il détaille, qui auraient dû l'intriguer et l'inquiéter, puis l'amener à faire part de ses soupçons.

19. Les juges constatent que la gestionnaire du compte a sollicité un grand nombre de justificatifs auprès de M. [WW] [CG], qui ont été mis à disposition des organes de contrôle, notamment le service de lutte anti-blanchiment ([6]), mais que le traitement de ces informations n'a pas été approfondi avec la vigilance attendue, les experts juridiques du [6] n'ayant manifestement pas mis leurs compétences au service d'une analyse des contrats, pourtant suspects.

20. Ils constatent également que les spécialistes du chiffre n'ont pas effectué des investigations sur le caractère réaliste ou illusoire des taux de rendement promis.

21. Ils affirment que se contenter de la profession des investisseurs, pour en déduire qu'ils étaient nécessairement éclairés, participe d'un manque de vigilance coupable.

22. Ils retiennent que, lors de l'audience, le représentant de la banque, interpellé sur ce cloisonnement entre les gestionnaires de clientèle d'une part, et le [6] d'autre part, l'a justifié comme étant un moyen de protection, mais relèvent qu'une analyse partagée d'informations de nature à l'alerter aurait abouti à une articulation plus efficace de la réponse, précisant que, d'une part, la gestionnaire du compte aurait été moins isolée pour mesurer la gravité des agissements de son client, d'autre part, le [6], mieux informé, aurait déployé des moyens d'investigation plus poussés. Ils soulignent qu'il est manifeste que le manque de vigilance ainsi démontré résulte d'une faute collective.

23. Ils relèvent également que si la banque insiste sur le fait qu'elle n'a pas les moyens d'investigation des officiers de police judiciaire et qu'elle ne peut s'immiscer dans la vie privée de ses clients ou dans la gestion des entreprises, l'étude minutieuse des documents contractuels remis, et les investigations sur les taux susceptibles d'être pratiqués dans le Sud-Est asiatique entraient dans les pouvoirs de l'établissement sans constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée du client et que d'ailleurs, la déclaration de soupçon du 23 juin 2014 visait des informations que la banque détenait depuis plusieurs mois.

24. Ils indiquent que l'établissement bancaire ne peut se prévaloir des conclusions du contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, pour affirmer qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, et que ces conclusions, d'ordre très général, portant sur le dispositif mis en place dans la lutte contre le blanchiment et non pas sur la façon que la banque a eu de gérer le compte de la société [8], ne peuvent donc s'analyser comme un blanc-seing sur ce point.

25. Ils ajoutent que ces conclusions, qui contiennent quelques réserves, soulignent que des progrès restent à accomplir notamment dans la justification de l'activité professionnelle, du patrimoine et des revenus des clients, et que les outils informatiques sont robustes mais insuffisamment intégrés et assez peu conviviaux.

26. Ils observent que ces réserves concernent précisément les reproches susvisés dans la gestion du compte intéressant la présente procédure, à savoir un objet social flou de la société [8], évoquant patrimoine et bien-être, l'évocation dans l'objet social de la notion de « Conseil en investissement, gestion patrimoniale » avec des doutes sur la réunion des conditions permettant de dispenser des conseils sous le statut de conseil en investissements financiers, des flux disproportionnés par rapport au chiffre d'affaires et ne pouvant manifestement pas correspondre à des rémunérations de conseiller en investissement et gestion du patrimoine, des alertes informatiques efficaces mais constitutives de contrôles mécaniques non suivies des nécessaires approches humaines, expertes, croisées et distanciées permettant une approche globale du fonctionnement du compte.

27. La cour d'appel en conclut que des manquements en matière de lutte contre le blanchiment sont démontrés à l'encontre de la [2].

28. Elle ajoute que la notion de concours apporté aux prévenus suppose la connaissance de l'origine illicite des fonds par la personne morale et que la question qui se pose, alors même que la période de prévention s'étend de janvier 2009 à juillet 2014, est celle de savoir à partir de quelle date l'établissement n'a pas pu ignorer que des flux frauduleux circulaient sur le compte qu'elle gérait.

29. Elle relève que l'année 2012 est une année cruciale à plusieurs égards, le score du compte litigieux étant passé en alerte orange à la fin de cette année, les flux en provenance ou à destination de l'Indonésie ayant sensiblement augmenté, le Groupe d'action financière ayant inscrit l'Indonésie sur la liste grise des pays suspects en matière de lutte contre le blanchiment et les rapports d'activité [7] ayant notamment alerté les professionnels du crédit sur les risques liés à l'existence de chaînes de Ponzi.

30. Elle en déduit que c'est au cours de l'année 2012 que la [2] a pleinement disposé de l'information, sous la forme d'un faisceau d'indices, permettant de caractériser la conscience que l'établissement avait de l'origine frauduleuse des fonds, que c'est donc à partir de ce moment que la banque a manqué à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon et que son attitude peut s'analyser comme constituant l'apport, en connaissance de cause, d'un « concours » aux prévenus, la déclaration de soupçon effectuée le 23 juin 2014 étant nécessairement tardive.

31. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

32. En premier lieu, c'est à tort qu'elle a considéré que le seul manquement de la banque aux obligations de vigilance, imposées par les articles L. 561-5 à L. 561-10-2 du code monétaire et financier, constitue un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client.

33. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure de ce chef dès lors que la mise à disposition d'un compte bancaire dans l'un de ses établissements et l'exécution d'ordres de virement des sommes y figurant vers des comptes à l'étranger, tels que constatés par l'arrêt, sont susceptibles de caractériser la participation de la banque à des opérations de blanchiment.

34. En deuxième lieu, les juges, qui, par des motifs relevant de leur appréciation souveraine, ont considéré qu'en l'espèce, au regard des informations dont elle disposait à compter de 2012 concernant le fonctionnement du compte litigieux, la banque ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse des fonds figurant sur les comptes de la société [8], ont caractérisé l'élément moral du délit de blanchiment.

35. En troisième lieu, la cour d'appel, qui a constaté que, malgré cette connaissance, la banque et ses représentants n'ont pas fait en temps et en heure les déclarations de soupçon exigées, a, à bon droit, écarté la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article L. 561-22, IV, du code monétaire et financier, qui instaure une immunité pénale pour les personnes ayant fait de bonne foi la déclaration prévue à l'article L.561-15 du même code.

36. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen proposé pour la [2]

Enoncé du moyen

37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à son encontre des condamnations civiles présentées dans un tableau synoptique, alors « que les obligations mises à la charge des établissements financiers au titre de la lutte contre le blanchiment, obligation de vigilance, y compris renforcée, et obligation de déclaration de soupçon, ont pour finalité la détection du blanchiment et ne peuvent être invoquées par les victimes d'agissements frauduleux, escroquerie, abus de biens sociaux, exercice illégal d'une activité de conseil pour réclamer des dommages-intérêts à un établissement financier ; qu'en considérant que l'exposante devrait être condamnée solidairement à hauteur de 50 % au paiement des indemnisations accordées à certaines parties civiles, après avoir retenu la culpabilité de l'exposante sur le fondement d'un manquement prétendu à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon, la cour d'appel a violé les articles L. 561-4, L. 561-6, L. 561-10 et L. 561-15 du code monétaire et financier, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009. »

Réponse de la Cour

38. Le moyen est inopérant dès lors que la banque a été condamnée pour le délit de blanchiment et non pour manquement aux obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier.

Mais sur le deuxième moyen proposé pour les parties civiles

Enoncé du moyen

39. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé les condamnations civiles telles que présentées dans un tableau synoptique et, en conséquence, a débouté certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la [2], a partiellement débouté d'autres parties civiles de leurs demandes à hauteur des sommes versées sur des comptes étrangers, et a limité la condamnation solidaire de la [2] à hauteur de 50 % des indemnités allouées, alors :

« 1°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a débouté plusieurs parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], pour des considérations tenant à ce que leurs contributions ont directement et exclusivement transité par le compte [5] de la holding [4] du groupe [8] (arrêt, p. 146 in fine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a encore partiellement débouté d'autres parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], à hauteur des fonds qui ont transité par le compte [5] de la holding [4] du groupe [8] (arrêt, p. 147 in medio) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a encore violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a débouté plusieurs parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], pour des considérations tenant à ce qu'elle n'ont pas été en mesure de rapporter la preuve que leurs fonds ont transité par l'intermédiaire de la [2] (arrêt, p. 147 in fine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs encore impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé de plus fort les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes et il n'appartient pas à la juridiction pénale de prononcer un partage de responsabilité entre les auteurs du dommage, qui peuvent exercer entre eux une action récursoire ; Que la cour d'appel a limité de manière générale et arbitraire de la condamnation solidaire de la [2] à hauteur de 50 % des indemnités allouées aux parties civiles, pour des motifs tenant à ce que « la [2] a été retenue dans les liens de la prévention pour la période comprise entre le juillet 2012 et juillet 2014 » qu'« elle a été relaxée pour la période comprise entre janvier 2009 et le 30 juin 2012 » (arrêt, p. 147 in limine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs toujours impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé de plus fort les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la cour

Vu l'article 480-1 du code de procédure pénale :

40. La solidarité édictée par ce texte entre les individus condamnés pour un même délit s'applique à ceux qui ont été déclarés coupables d'infractions connexes sans que le degré ou la nature de leur participation personnelle permette au juge de limiter les effets de cette solidarité.

41. Pour limiter la condamnation solidaire de la banque à l'indemnisation d'une partie du préjudice subi par certaines parties civiles, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que le principe n'est pas discuté de la solidarité entre l'auteur du délit support du blanchiment, d'une part, et celui du délit de blanchiment, d'autre part, énonce que la [2] ne peut être tenue solidairement avec MM. [WW] et [SH] [CG] qu'à hauteur des sommes que les parties civiles ont effectivement versées sur le compte bancaire de la société [8] ouvert dans les livres de l'établissement poursuivi.

42. Il retient que s'agissant du préjudice moral subi par les parties civiles, dès lors qu'une condamnation au titre de la solidarité aura été prononcée contre la [2] du chef du préjudice matériel, l'établissement bancaire sera tenu solidairement avec MM. [WW] et [SH] [CG] à hauteur de la moitié de l'indemnisation du préjudice moral subi.

43. Les juges ajoutent que la [2] a été retenue dans les liens de la prévention pour la période comprise entre juillet 2012 et juillet 2014, a été relaxée pour la période comprise entre janvier 2009 et le 30 juin 2012 et que cette relaxe partielle doit se traduire sur le plan des intérêts civils.

44. Ils en déduisent qu'en application de la règle du prorata temporis, la solidarité au paiement de l'établissement bancaire avec MM. [WW] et [SH] [CG] sera réduite de 50 % sur les sommes dont les parties civiles auront démontré qu'elles ont bien été versées sur le compte Caisse d'épargne de la société [8].

45. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé.

46. La cassation est donc encourue.

Portée et conséquences de la cassation

47. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions par lesquelles l'arrêt attaqué a débouté totalement ou partiellement certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la [2] et limité cette condamnation à hauteur de 50 % des indemnités allouées. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par Mme [J], M. [KK] et la succession de [IW] [DC] :

Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;

Sur le pourvoi formé par la société [2] :

Le REJETTE ;

Sur les pourvois formés par les parties civiles :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 16 décembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant débouté totalement ou partiellement certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la société [2] et limitant cette condamnation à hauteur de 50 % des indemnités allouées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 4 500 euros la somme globale que la société [2] devra payer aux parties représentées par Me Carbonnier, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400903
Date de la décision : 19/06/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

BLANCHIMENT


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 16 décembre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 jui. 2024, pourvoi n°C2400903


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Boucard-Maman, Me Carbonnier

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400903
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