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11/05/2022 | FRANCE | N°19-22242

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 11 mai 2022, 19-22242


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 11 mai 2022

Cassation

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 295 FS+B

Pourvoi n° U 19-22.242

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2022

La société GE Energy Products France (GEEPF),

société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 19-22.242 contre l'arrêt rendu le 12 juin 2019 par la cour d'ap...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 11 mai 2022

Cassation

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 295 FS+B

Pourvoi n° U 19-22.242

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2022

La société GE Energy Products France (GEEPF), société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 19-22.242 contre l'arrêt rendu le 12 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant au ministre de l'économie et des finances, domicilié [Adresse 3], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société GE Energy Products France, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du ministre de l'économie et des finances, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Michel-Amsellem, conseillers, M. Blanc, Mmes Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 juin 2019), la société GE Energy Products France (la société GEEPF) conçoit, fabrique et commercialise des turbines à gaz destinées à la production d'énergie. A compter de l'année 2012, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mené dans différentes régions, auprès de plusieurs fournisseurs de la société GEEPF, des enquêtes, portant sur les clauses contractuelles, dont l'une dite « programme TPS », figurant dans les conditions générales d'achat (CGA), les contrats de fourniture de matériel, intitulés contrats SA, et les contrats de prestations de services types, dénommés MSA, de la société GEEPF.

2. A la suite de l'enquête, le ministre chargé de l'économie a, le 1er septembre 2015, assigné la société GEEPF sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction alors en vigueur, en cessation de certaines pratiques et en paiement d'une amende civile.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société GEEPF fait grief à l'arrêt de dire que les auditions anonymisées versées aux débats par le ministre chargé de l'économie ne portent pas atteinte à ses droits de la défense, alors « que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes ; qu'en fondant de manière déterminante sa décision sur des déclarations anonymes produites par le ministre de l'économie et des finances, la cour d'appel a violé l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Le ministre chargé de l'économie conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la société GEEPF invoque pour la première fois devant la Cour de cassation les dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a pas discuté devant les juges du fond la conformité des preuves produites à l'article 6, §§ 1 et 3, de cette convention.

5. Cependant, il résulte des conclusions de la société GEEPF que celle-ci invoquait la violation du principe de la contradiction et des droits de la défense ainsi que l'atteinte au principe de la loyauté et à l'équité des débats résultant de la production, dans l'instance d'appel, de déclarations anonymisées, par le ministre, au soutien de la démonstration de la condition de soumission ou tentative de soumission de ses cocontractants. Si elle ne s'est pas expressément prévalue des dispositions de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les principes invoqués, qui sont au nombre de ceux garantis par ces textes, étaient dans le débat.

6. Le moyen n'est donc pas nouveau et est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

7. Il résulte de ce texte qu'au regard des exigences du procès équitable, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes.

8. Pour écarter les conclusions de la société GEEPF, qui faisait valoir que les auditions anonymisées versées aux débats par le ministre chargé de l'économie portaient une atteinte disproportionnée à ses droits de la défense en la privant de la possibilité de vérifier et contredire, le cas échéant, les faits rapportés, puis déclarer établies les pratiques restrictives de concurrence reprochées et prononcer une sanction à son égard, l'arrêt, après avoir reproduit des extraits des déclarations recueillies, par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, de personnes présentées comme des fournisseurs de la société poursuivie, dont l'identité, l'activité et le chiffre d'affaires qu'elles réalisaient avec elle n'étaient pas mentionnés, relève que tous les témoignages, au nombre de 17, se corroborent entre eux en ce qu'ils font état de ce que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle. Ayant relevé encore que ces déclarations font référence aux clauses contractuelles litigieuses, qui se retrouvent dans la majorité des contrats liant la société GEEPF à ses fournisseurs ou sous-traitants, il en déduit que ces références confirment la crédibilité des procès-verbaux, dressés par des agents assermentés. Il estime, en conséquence, que ces déclarations des cocontractants établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme d'acceptation des CGA.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée, de façon déterminante, sur des déclarations recueillies anonymement pour estimer rapportée la preuve de l'existence d'une soumission des fournisseurs aux clauses contractuelles en cause, a méconnu les exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne le ministre chargé de l'économie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le ministre chargé de l'économie et le condamne à payer à la société GE Energy Products France la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société GE Energy Products France.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :
(Sur la prise en compte des pièces anonymisées)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les auditions anonymisées versées aux débats par le Ministre ne portaient pas atteinte aux droits de la défense de la société GEEPF ;

AUX MOTIFS QUE «Sur les pièces anonymisées : à titre liminaire, la cour relève que la société GEEPF ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour, l'irrecevabilité des pièces anonymisées telle qu'elle la formule en pages 51 et suivantes du corps de ses conclusions, de sorte que la cour n'est pas saisie de la demande d'irrecevabilité de ces pièces ; que ces pièces doivent donc être considérées comme étant dans le débat, ayant été communiquées contradictoirement à la société GEEPF, figurant dans le bordereau de communication de pièces ; que c'est donc uniquement sous l'angle de la valeur probante de ces pièces que la cour examinera les 28 procès-verbaux anonymisés, au regard de ce qui a été donné à la connaissance de la société GEEPF ; [...] ; qu'il convient de relever ensuite que le Ministre peut parfaitement communiquer pour la première fois en cause d'appel de nouvelles pièces au soutien de ses demandes et qu'il est libre de communiquer les pièces de son choix, le présent litige étant la chose des parties et chacune d'elles étant libre de communiquer les pièces nécessaires, selon elle, au soutien de ses prétentions ; que la société GEEPF reconnaît que les informations que le Ministre a unilatéralement anonymisées sont, pour l'essentiel :

- le nom du fournisseur et de la personne auditionnée,
- l'activité de la société et toute information relative au marché sur lequel elle opère,
- les éléments relatifs à son chiffre d'affaires passé et futur ainsi que la part de chiffre d'affaires qu'elle réalise avec elle ;

que la société GEEPF fait d'abord valoir que ces pièces portent atteinte à ses droits de la défense ; que le Ministre réplique qu'un équilibre doit être assuré entre une possible atteinte aux droits de la défense et les nécessités de l'enquête qui vise à la détection de quasi-délits civils et dont le succès est, en l'espèce, subordonné à l'anonymisation des fournisseurs interrogés ; que le Ministre, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, tel que définie par les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, a la charge de la preuve des pratiques qu'il soumet à l'appréciation des juridictions commerciales spécialisées ; qu'il utilise à cette fin ses pouvoirs d'enquête, et, notamment, ses pouvoirs d'audition, pour démontrer les éléments constitutifs de ces pratiques ; que la nécessité de démontrer, dans la présente espèce, l'absence de négociation effective entre les parties le conduit à préserver l'anonymat des fournisseurs victimes en occultant certaines mentions des procès-verbaux permettant leur identification, afin que ces procès-verbaux puissent être versés aux débats, ce qui est fréquemment revendiqué par les entreprises mises en cause, sans pour autant risquer de provoquer des représailles à leur encontre ; que le procédé ainsi mis en oeuvre dans ce dossier ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la défense de la société GEEPF, la communication de procès-verbaux anonymisés ne causant pas, au regard des circonstances très particulières de l'espèce, une atteinte disproportionnée au principe du contradictoire au motif que :

- ils sont dressés par des agents assermentés ;
- ils portent sur des questions dont la société GEEPF a connaissance et auxquelles elle peut répondre en produisant des pièces destinées à démontrer le contraire ;
- la société GEEPF peut débattre contradictoirement du fond des pièces et de la portée des auditions dont le contenu n'est pas anonymisé ;
- seules les informations empêchant toute réidentification de l'identité du déposant ont été tronquées, dans le seul but de préserver l'identité des déposants et l'efficacité de ces enquêtes et procédures destinées à protéger l'ordre public économique, puisqu'en cas contraire, le Ministre ne pourrait pas apporter de preuve relative aux griefs allégués, ou à tout le moins très difficilement ;

que par ailleurs, il convient de relever qu'il n'est pas démontré que ces témoignages aient été obtenus déloyalement par les services de la DIRECCTE ; qu'au surplus, il sera vu infra, dans l'appréciation des critères de la pratique restrictive, que ces nombreuses déclarations, toutes concordantes, sont confortées par d'autres éléments du dossier et ne constituent par les seuls éléments de preuve ; qu'il convient donc d'examiner les différents éléments de preuve soumis à la cour pour apprécier s'ils sont suffisants pour caractériser la première condition imposée par le texte précité ; [...] ;

Sur les modalités de négociation : que la distinction juridique entre les différents cocontractants de la société GEEPF, qu'ils soient fournisseurs ou sous-traitants, est indifférente dans la mesure où ces sociétés cocontractantes de la société GEEPF ont accepté les clauses insérées dans les trois types de contrats litigieux :

*les conditions générales d'achat applicables pour l'achat de produits ou équipements. Ces conditions générales d'achat sont également accessibles depuis les bons de commande adressés par la société GEEPF à ses fournisseurs,
*le modèle-type de contrat de fourniture de matériel (contrat SA), correspondant à un accord-cadre d'achat de matériel avec un fournisseur, *le contrat de prestations de services type dénommé MSA "Master Service Agreement" (contrat MSA), pour la commande de prestations de services de la part de ses fournisseurs par la société GEEPF ;

qu'il ressort des déclarations de différents fournisseurs ou sous-traitants devant les agents de la DIRECCTE que :

* pièce n° 103-1 anonymisée "Vous nous demandez si nous avons contesté ces conditions d'escompte par écrit. Nous avons effectivement négocié, sans succès. En effet ces modalités ont été décidées par GE USA" ;
* pièce n° 103-2 anonymisée "L'accès même aux enchères oblige à valider préalablement les CGA (...) les acheteurs s'abritent derrière le service juridique (cas de GENERAL ELECTRIC) et déclarent ne pas avoir de pouvoir de négociation sur les CGA (...) GENERAL ELECTRIC pratique l'escompte anticipé sans notre accord, à un taux abusif" ;
* pièce anonymisée n° 103-3 : "la négociation avec GE est quasiment impossible (...) GE nous impose un escompte abusif depuis plusieurs années. Nous avons reçu en 2009 un courrier de GE nous informant que nous bénéficions du programme de paiement accéléré. GE déduit de notre facture unilatéralement le montant de l'escompte "dû" selon leur méthode de calcul figurant sur leurs CGA. Il n'est pas aisé de procéder à la vérification du taux d'escompte appliqué par GE" ;
* pièce anonymisée n° 103-4 : « En ce qui concerne GE, j'ai dû signer il y a quelques années des conditions qui prévoient un escompte fixé (en fonction du coût de l'argent) unilatéralement par GE pour règlement anticipé inférieur à 30 jours. Je n'ai pas eu le choix si je souhaitais conserver les marchés avec ce client (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-5 : "Le système de paiement anticipé qui y figure [dans les CGA] et existe depuis plusieurs années nous est imposé. (...) Le système de paiement anticipé est coûteux mais il est mis en place par GE au niveau mondial et fait courir le risque de cessation des relations commerciales pour les entreprises qui s'y opposeraient" ; si la société déposant s'est ensuite rétractée par courrier, ces déclarations étant corroborées par ailleurs par d'autres cocontractants de la société GEEPF et compte-tenu du contexte de risque de perte de relations commerciales avec cette dernière, qui peut expliquer cette rétractation, cet état de fait ne peut enlever tout caractère probant à cette première déclaration ;
* pièce anonymisée n° 103-6 : "Nous avons par contre un problème avec GE lié à leurs conditions d'achat et leur système d'escompte imposé (...). Pour palier et contourner ce système nous avons il y a un an et demi envoyé un certain nombre de factures après leur date d'échéance soit 60 jours afin de ne pas subir de frais financiers. Mais nous avons été rappelés oralement et sévèrement à l'ordre par GE et nous avons été obligés d'envoyer nos factures dès leur édition et subissons de nouveau ces escomptes. Nous avons essayé de négocier ces taux sans succès (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-7 : "le montant de l'escompte a été négocié entre 2003 et 2009. En 2009 le taux nous a été indiqué dans le contrat sans que cela puisse devenir un sujet de négociation. Cette pratique d'escompte de GE est mondiale (...). Nous avons essayé de négocier le taux d'escompte mais GE nous a précisé que la stratégie globale de GE était de pratiquer cet escompte auprès de tous ses fournisseurs mondiaux. Nous avons accepté le contrat GE avec les taux d'escompte proposés en tenant compte de la place importante de GE dans notre activité (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-8 : "Dans ce courrier [courrier en pièce n° 103-8b] (...) j'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (...) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un escompte à hauteur de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-9 : "Dans notre relation commerciale avec GE, ce sont leurs conditions générales d'achat qui s'appliquent au détriment de nos conditions générales de vente. C'est un point qui n'est pas négociable avec cette entreprise (...) Pour ma part j'assimile ce procédé à une prise d'escompte de la part de General Electric. Ce mécanisme est bien supérieur au taux que nous octroyons dans nos conditions générales de vente qui est de 1 % pour un paiement comptant. Nous n'avons pas été en mesure de négocier ce programme de paiement anticipé avec General Electric. (...) Le programme de paiement anticipé de GE ne présente pas d'intérêt particulier pour notre entreprise dans la mesure où nous possédons une trésorerie saine" ;
* pièce anonymisée n° 103-10 : "Nous avons tenté à maintes reprises de refuser ce système. Nous avons essayé la dernière fois d'évoquer le sujet avec General Electric en 2010 et ce sans résultat. Nous n'avons pas souhaité refuser ce système par écrit par crainte d'un arrêt des relations commerciales (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-11 : "Le système d'escompte (programme VMF) a été mis en place en 2003. Nous avons essayé de dénoncer en 2007-2008 car nous avions un volume d'affaires important à cette époque mais nous avons reçu une fin de non-recevoir. Nous avions un contrat VMF en 2007 que nous avions refusé de signer car nous n'avions pas de problème de trésorerie. Ces modalités d'escompte ont ensuite été intégrées dans leur CGA que nous n'avons pas accepté non plus. Néanmoins le système est appliqué à la discrétion de l'acheteur et malgré nos tentatives nous n'avons pas réussi à passer outre (...). Lorsque nous négocions un contrat de fourniture, nous essayons de négocier un certain nombre de points par mail ;
concernant l'escompte, il nous a toujours été répondu que ce point n'était pas négociable (...). L'escompte et l'exclusion des immatériels ne sont absolument pas négociables avec GE. Nous avons essayé plusieurs fois de rejeter le système d'escompte, en vain. C'est le seul client qui fonctionne de cette manière. C'est GE qui décide de le mettre en oeuvre (...). Nous ne sommes pas maîtres du déclenchement, ce qui est délicat en matière de prévision de trésorerie (...)". Par courriel de l'année 2007, la société GEEPF a répondu à ce cocontractant suite à ses remarques sur le système d'escompte que "chapitre 2, discount 0,033 n'est pas négociable et fait partie des exigences fixées dans le cahier des charges" ;
* pièce anonymisée n° 103-12 : "Le contrat de prestation comporte des dispositions financières par lesquelles GE nous applique des paiements anticipés à 15 jours contre escompte. Ce système nous assure des paiements rapides, mais nous coûte X € par an. (...) Lors de la mise en place de ce système en 2004, nous avons refusé l'application de ce programme de paiement anticipé, n'ayant pas à cette époque de problème de trésorerie, mais nous n'avons pas pu nous en dégager (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-13 : "Le TPS est notre autre sujet de préoccupation avec GE. (...) c'est en 2008 que nous avons été contraints d'y adhérer (...) nous avons augmenté nos prix de 3 % pour compenser le TPS" ;
* pièce anonymisée n° 103-17 : "Nous ne concédons pas d'escompte, sauf avec le client GE et les sociétés de ce groupe (...) Vous nous demandez pour quelle raison un escompte est attribué au client GENERAL ELECTRIC ENERGY / GE POWER and WATER. Pour être référencé comme fournisseur de GE, nous devons signer leurs conditions générales d'achat. Aucune relation commerciale ne peut exister sans l'acceptation de cet accord. Leur application prévaut sur nos conditions générales de vente. (...) Vous nous demandez si le barème applicable a déjà pu être modifié suite à nos négociations. Dans le contrat de [...], qui prévoyait une évolution du taux à 15 jours de [...] % (2007) à [...] % (2008), nous avons obtenu qu'il soit fixé à [...] %" ;
* pièce anonymisée n° 103-27 : "GE nous impose ses conditions d'escompte que nous n'avons jamais remises en question. Pour autant, cette question est prise en compte dans la définition des tarifs que nous élaborons dans le cadre de nos propositions commerciales (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-20 : « De notre côté nous précisons que nous n'accordons aucun escompte pour paiement anticipé. Cependant nous n'avons pas refusé leurs conditions d'escompte qui nous ont été présentées comme étant une règle non négociable de l'entreprise (...) Pour nous l'imposition du taux d'escompte n'a pas eu d'impact sur notre trésorerie. Nous avons inclus dans le calcul de notre prix de revient le risque d'être payé plus tôt. Nous l'avons intégré comme un coût potentiel. Pour nous cette pratique de l'escompte ne nous semble pas abusive ; Nos relations avec GE sont bonnes et c'est un groupe avec lequel nous pouvons discuter" ;
* pièce anonymisée n° 103-22 : "En 2004, le système TPS a été instauré par General Electric (...) Le taux était à cette époque négociable. Il ne l'est plus depuis environ 3 ans. (...) Sur le plan financier c'est pénalisant pour nous puisqu'un escompte est appliqué (...) Nous adaptons de toute façon notre prix de vente à ces conditions particulières d'escompte (...) Nos CGV ne sont pas prises en compte par General Electric (...) L'acceptation du système est un critère d'évaluation du fournisseur d'après ce qui nous a été dit, et fait partie de leur propre évaluation interne (...) Ce système ne nous est pas imposé mais fortement suggéré ; il ne nous est toutefois pas globalement défavorable, avec du recul (...) nous préférerions maîtriser le délai de paiement (...) Lors de l'instauration de TPS, nous avons fait valider leurs conditions par notre avocat, qui les trouvaient sur certains aspects quelque peu abusives. Toutefois nous les avons acceptées en connaissance de cause, préférant préserver nos commandes avec eux, et nous avons de bonnes relations commerciales avec General Electric. A l'heure actuelle, si la question nous était posée, nous préférerions continuer à travailler avec le système TPS car il nous permet de récupérer de l'argent rapidement en cas de besoin" ;

qu'il convient de relever que tous les témoignages, au nombre de 17, se corroborent entre eux, mais aussi que ces déclarations font références aux clauses contractuelles litigieuses, de sorte que ces références confirment la crédibilité de ces procès-verbaux, dressés par des agents assermentés, et notamment le fait qu'elle fasse primer contractuellement ses CGA sur les CGV de ses cocontractants. Ces clauses se retrouvent en effet, sans que cela ne soit contesté, dans la majorité des contrats liant la société GEEPF à ses fournisseurs ou sous-traitants ; que l'ensemble de ces déclarations et pièces concordantes démontrent que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle, ces clauses inscrites dans les CGA étant présentées comme non négociables par cette dernière à un nombre certain de ses interlocuteurs, le nombre de cocontractants entendus étant significatifs pour être considéré comme probant, ce d'autant que les parties s'accordent sur le fait que 60 % environ des fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ont « souscrit » au programme TPS. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société GEEPF, les déclarations de ses cocontractants reprises ci-dessus établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme à l'acceptation des CGA : en effet, ces clauses sont présentées comme étant non négociables et leur acceptation constitue un préalable à un échange commercial avec la société GEEPF ; que par ailleurs, les courriers envoyés ultérieurement par cette dernière à ses cocontractants relatifs à la présentation plus précise du programme TPS sont sans incidence sur la soumission ou la tentative de soumission, en ce que l'acceptation de l'adhésion au programme TPS a déjà été formalisée par le cocontractant ; qu'en outre, la cour constate que les contrats proposés sont des contrats-types, y compris dans le cadre des appels d'offres, l'acceptation préalable des conditions générales d'achat de la société GEEPF apparaissant une condition au dépôt de la candidature ; que toutefois, la société GEEPF produit des contrats signés avec certains de ses cocontractants qui démontrent que « l'adhésion » au programme TPS a été négociée et a fait l'objet d'une suppression à la demande du cocontractant sur la période considérée pour 14 cas ; qu'il ressort des conclusions du rapport Sorgem, produit par la société GEEPF (pièces n°s 20 et 36), dont les chiffres sont proches de ceux invoqués par le Ministre, que 60 % des fournisseurs de la société GEEPF ont accepté le programme TPS et que ces fournisseurs représentent 72 % du volume d'affaires de la société GEEPF ; qu'ainsi, si la société GEEPF communique des pièces afin de démontrer que ces clauses sont négociables, il convient toutefois de relever qu'elles ne concernent pratiquement pas la clause TPS (14 exemples), qu'un nombre conséquent de ces contrats porte sur des activités qui ne concernent pas directement des prestations de services ou de fournitures dans le domaine de la fabrication de turbines : en effet des prestations plus complexes, telles que celles relatives à des questions de propriété intellectuelles, impliquent nécessairement la signature de contrats spécifiques, de sorte que la société GEEPF ne démontre pas que ces clauses sont parfaitement négociables par l'ensemble de ses fournisseurs ou sous-traitants, la preuve de réelle négociation n'étant pas rapportée : le seul fait que 40 % de ses interlocuteurs ne bénéficient pas du programme TPS ne démontre pas en soi que cette clause n'est pas imposée à un nombre important de ses cocontractants, la société GEEPF indiquant clairement à ces sociétés que ces clauses ne sont pas négociables ; que par ailleurs, la négociation du taux appliqué au programme TPS ne peut à elle seule démontrer que ces dispositions sont négociables pour l'ensemble des cocontractants, ces baisses apparaissant marginales et le principe de la souscription à ces clauses apparaissant imposée à un nombre conséquent de cocontractants ; que ces 14 cas de retrait de la clause litigieuse relative au programme TPS dans les contrats signés par la société GEEPF démontrent uniquement que cette dernière accepte de négocier ces points avec certains de ses cocontractants mais, au regard des déclarations de 17 autres cocontractants reproduites ci-dessus, il apparaît que d'autres se voient imposer ces clauses, celles-ci étant présentées comme non négociables ;

Sur la clause de primauté des CGA de la société GEEPF : que la clause de primauté des CGA de la société GEEPF précitée traduit, comme le soutient le Ministre, une absence manifeste d'ouverture d'une possible négociation, sa rédaction ne permettant pas au fournisseur de proposer facilement de contre-proposition pour négocier des clauses acceptables, l'acceptation de la contre-proposition relevant de la seule volonté de la société GEEPF ; que par ailleurs cette clause est contraire au principe posé par la loi LME qui est de faire primer les CGV comme base de négociation et non l'inverse ; qu'en outre, la preuve que la clause TPS peut être négociée et refusée n'est pas rapportée dans le contrat-type ; qu'aucune ouverture à la négociation n'est donc démontrée par la société GEEPF, alors que les auditions des fournisseurs reproduites ci-dessus démontrent que la primauté des CGA de la société GEEPF n'est pas négociable avec cette dernière ; qu'en conclusion de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la société GEEPF ne négocie pas de manière effective ses conditions générales d'achat et de paiement avec un nombre conséquent de ses cocontractants, les clauses litigieuses figurant dans l'ensemble des trois contrats-types contestés ; que par ailleurs, ces cocontractants, ayant déclaré ne pas avoir le choix d'accepter ou de refuser les conditions de la société GEEPF, au regard de la position de celle-ci sur le secteur de la fabrication des turbines puissantes en France, et des modalités de souscriptions aux CGA, comme étant un préalable à toute poursuite de relation commerciale, sont soumis par elle dans le cadre de leurs rapports commerciaux ; que compte-tenu de l'ensemble des éléments évoqués ci-dessus, et notamment la part des cocontractants adhérant au programme TPS à hauteur de 60 %, les 17 cocontractants ayant déclaré à la DIRECCTE s'être vu imposer ces clauses, et au silence de 6 fournisseurs sur le programme TPS, il y a lieu de considérer que 50 % des fournisseurs de la société GEEPF se voient imposer l'acceptation au programme TPS par la société GEEPF, les CGA étant donc intangibles pour 50 % d'entre eux ;

Sur le déséquilibre significatif : [...]

Sur la primauté des CGA : qu'il est constant que la clause relative aux CGA de la société GEEPF fait primer les CGA de celle-ci sur les CGV de ses cocontractants ; que les CGA sont établies à partir de médailles soumis au débat, identiques selon l'un des trois types de contrats évoqués ci-dessus ; qu'aux termes de l'article L. 441-6, I al. 3 du code de commerce "les conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale. Dans le cadre de cette négociation, tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut convenir avec un acheteur de produits ou demandeur de prestation de services de conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l'obligation de communication prescrite au premier alinéa" ; que les déclarations de cocontractants reproduites supra ainsi que les dispositions de l'article 1 des CGA démontrent que les relations entre la société GEEPF et 50 % de ses cocontractants sont établies à partir de l'offre de la société GEEPF et non à partir de celle du fournisseur, contrairement aux exigences de l'article L. 441-6 du code de commerce, de sorte que l'initiative de la négociation prévue par l'article L. 441-6 du code de commerce est inversée, à partir d'un modèle-type, figurant dans chacun des contrats, faisant ainsi ressortir que la société GEEPF a imposé ses conditions d'achat à ses fournisseurs, sans possibilité de négociation ;

Le programme TPS : que l'article 4 relatif au paiement des factures, reproduit ci-dessus, prévoit la rémunération par la société GEEPF dans l'hypothèse d'un paiement anticipé par elle de la facture de son fournisseur ; qu'aux termes de l'article L. 441-6, I al. 4 et 5 du code de commerce "sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties" ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture ; que les professionnels d'un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l'alinéa précédent ; qu'ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai ; que des accords peuvent être "conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l'étendre à ces mêmes opérateurs" ; que les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et réduisent de fait le prix de revient effectif des achats et créent un risque économique et financier pour le fournisseur partenaire ; que les délais de paiement accordés aux clients par les fournisseurs ou sous-traitants pèsent sur la trésorerie de ceux-ci ; que dès lors, le besoin de financement du fournisseur ainsi créé est couvert par l'endettement bancaire, direct ou indirect ; qu'ainsi, le respect des délais de paiement doit être apprécié comme un des éléments de la relation commerciale loyale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques ; que le programme TPS de la société GEEPF propose de payer les factures dues à ses cocontractants ayant signé un contrat les liant incluant ladite clause moyennant rémunération, à savoir "[Le] montant [de cette rémunération] sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture" ; qu'il convient donc de déterminer si la rémunération de la société GEEPF pour payer ses factures avant le délai de 50 jours constitue un surcoût excessif pour les fournisseurs par rapport aux coûts des financements des fournisseurs pour compenser leur besoin de trésorerie dans l'attente du paiement de leurs factures ; que la société GEEPF explique que la contrepartie à la rémunération du paiement anticipé de la facture est justement le paiement anticipé évitant au fournisseur d'avoir recours à d'autres solutions de crédit afin d'assurer sa trésorerie, alors que le Ministre conteste l'avantage donné, soutenant que la société GEEPF ne fait qu'application de la loi ; qu'il convient à titre liminaire de relever que le législateur a donné un délai maximum de paiement des factures, à savoir soixante jours à compter de la date d'émission de la facture, la date de paiement de la facture étant de trente jours suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée, et qu'en tout état de cause, ce délai ne peut dépasser soixante jours ; qu'une facture émise doit être acquittée par le fournisseur au plus vite, et au maximum dans les délais légaux fixés par le législateur, dont l'objectif est de réduire les délais de paiement prolongés qui portent atteinte à l'économie, beaucoup de fournisseurs ayant de ce fait des difficultés de trésorerie ; que cette législation ne délimite qu'une tolérance à la pratique des crédits fournisseurs en fixant des délais maxima et aucune contrepartie financière ne peut être demandée par l'acheteur ; que si le Ministre ne reproche pas à la société GEEPF cette clause en tant que telle, il lui reproche son coût très élevé et l'absence de contrepartie comme de rééquilibrage ; que le paiement à 15 jours de la date de la facture est rémunéré à 2,5 % du montant TTC de celle-ci, ce montant étant encore réduit de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai inférieur à 15 jours et est augmenté de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai supérieur à 15 jours ; que cette rémunération par la société GEEPF correspond à une baisse non négligeable du montant de la facture du fournisseur, alors qu'aucune contrepartie n'est fournie au fournisseur par la société GEEPF qui est tenue de payer ses factures dans le délai maximum fixé par le législateur ; qu'en effet, aucune clause contractuelle ne rééquilibre les droits et obligations des parties, ce que ne soutient d'ailleurs pas la société GEEPF ; qu'il convient en outre de relever que la date de paiement est à la seule discrétion de la société GEEPF qui ne démontre pas assurer un service à ses fournisseurs, s'agissant de la gestion courante des factures entre acteurs économiques ; que de même, le cocontractant ne peut savoir au final quelle sera sa réelle rémunération sur la prestation ou la fourniture réalisée pour la société GEEPF, ne sachant pas à quelle date il serait payé et en conséquence quel taux de réduction lui serait imputé par la société GEEPF sur sa facture ; que dès lors, quelle que soit la qualification de cette pratique, d'escompte commercial ou d'escompte bancaire, les fournisseurs choisissant de financer leur trésorerie avec les différents outils de leurs choix quand ils le souhaitent et les moins coûteux, étant par ailleurs relevé que certains n'ont pas de besoin en trésorerie et donc ne font pas appel à des services financiers de ce type, il apparaît que les taux pratiqués réduisent de manière conséquente le montant final de la facture des fournisseurs qui se sont vus imposer cette clause sans que cette réduction ne correspondent à une prestation quelconque de la société GEEPF et sans que le cocontractant ait une visibilité claire du montant final qui lui sera versé ; qu'en outre, 40 % des cocontractants de la société GEEPF ont refusé, lorsqu'ils le pouvaient, d'avoir recours à ce système, ce qui démontre par ailleurs que ses bénéfices ne sont pas perçus comme effectifs par ceux-ci ; qu'en l'espèce, la plupart des fournisseurs dont les déclarations sont reproduites ci-dessus expliquent que les taux pratiqués par la société GEEPF sont abusifs. Il est notamment indiqué que :
- "Les taux d'escompte appliqués sont élevés et ont eu tendance à augmenter dans le temps alors que les conditions d'escompte bancaires sont nettement plus intéressantes. Le système GE correspond à 0,0333 % par jour et à un taux annuel de 12,15 % contre 4 % dans le monde bancaire (...) Le système de paiement anticipé est coûteux" (pièce n° 103-5),
- "Cet escompte correspond à un taux annuel d'environ 18 %/an à comparer au taux bancaire d'emprunt de l'ordre de 3 % actuellement" (pièce n° 103-6),
- "Le taux proposé par GE est plus important que les taux bancaires pratiqués actuellement qui sont de l'ordre de 3,5 % annuel soit 0,0097 % en taux journalier" (pièce n° 103-7),
- "J'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (...) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un financement à 45 jours à un taux annuel de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure, sans compensation en prix de vente" (pièce n° 103-8a) ;
qu'il apparaît donc que les déclarations des cocontractants et leurs calculs relatifs au financement dont ils auraient bénéficié auprès des banques, s'ils les avaient sollicitées, sans être contredites par la société GEEPF sur les chiffres avancés, démontrent que les taux pratiqués sont nettement supérieurs aux autres systèmes auxquels ils peuvent avoir droit pour faire face à leurs besoins de trésorerie au regard des délais de paiement ; qu'ainsi, la société GEEPF ne prouve pas que son système est avantageux pour ses fournisseurs ni qu'elle fournit des contreparties concrètes et supplémentaires à ses cocontractants, dans le cadre du système TPS ; que dans ces conditions, la réduction conséquente de la facture du cocontractant sans contrepartie et sans qu'un rééquilibrage ne soit opéré par d'autres clauses du contrat caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la société GEEPF a soumis ou tenté de soumettre 50 % de ses cocontractants à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations » ;

1°/ ALORS QUE le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes ; qu'en fondant de manière déterminante sa décision sur des déclarations anonymes produites par le Ministre de l'Economie et des Finances, la cour d'appel a violé l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ ALORS QUE toute mesure restreignant les droits de la défense doit être proportionnée au but légitime poursuivi, c'est-à-dire rendue nécessaire dans une société démocratique par un besoin social impérieux ; que la condition de nécessité n'est remplie que lorsqu'il n'existe aucune mesure alternative moins attentatoire aux droits de la défense permettant d'atteindre l'objectif poursuivi ; que pour retenir que la production, par le Ministre de l'Economie et des Finances, de procès-verbaux anonymisés ne portait pas une atteinte « excessive » aux droits de la défense de la société GEEPF, la Cour d'appel a affirmé que ce procédé était justifié par la « nécessité de démontrer, dans la présente espèce, l'absence de négociation effective entre les parties », (cf. arrêt p. 9, §4) ; qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi cette démonstration, qui pouvait être faite par tout moyen de preuve, commandait nécessairement la production de déclarations anonymes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3°/ ALORS QUE, tenus de motiver leur décision, les juges du fond ne peuvent statuer par voie d'affirmations générales ; que pour retenir que la production, par le Ministre de l'Economie et des Finances, de procès-verbaux anonymisés ne portait pas une atteinte « excessive »
aux droits de la défense de la société GEEPF, la Cour d'appel a affirmé que la préservation de l'anonymat des déclarants – improprement qualifiés de « victimes » – visait à éviter le risque de « représailles » à leur encontre ; qu'en statuant ainsi, par une référence générale à un hypothétique risque de représailles qu'elle n'a nullement caractérisé, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(Sur les conditions d'application de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les Conditions Générales d'Achat (CGA) de la société GEEPF et la clause 2.2 (b) « Paiement » des CGA de la société GEEPF [en réalité la seule clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les Conditions Générales d'Achat (CGA) de la société GEEPF] ainsi rédigée :

« Sont également inopposables à l'acheteur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions »,

Ainsi que les clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat-type de prestation de services « MSA » et de l'article 2 « Prix et paiement » du contrat-type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé, ainsi rédigées [en réalité il s'agit des clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat-type de prestation de services « MSA », de la clause 2.2 (b) « Paiement » des CGA de la société GEEPF et de l'article 2 « Prix et paiement » du contrat-type de fourniture lequel renvoie à la Section 2 « Prix et paiements » des CGA de la société GEEPF] :

« L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture »,

créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et condamné, en conséquence, la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros et enjoint cette dernière de cesser les pratiques incriminées à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats lesdites clauses ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la structure du marché et la place de la société GEEPF : que le Ministre soutient que le marché à retenir est celui de la vente et de la maintenance des turbines gaz à grande puissance, qui est oligopolistique avec des fournisseurs ou sous-traitants atomisés, ce que conteste la société GEEPF ; qu'il convient d'abord de relever avec le Ministre que le recours à la notion de marché pertinent au sens des pratiques anticoncurrentielles n'est pas utile en l'espèce, la seule question étant de déterminer la place de la société GEEPF sur le marché pour définir, d'une part, sa puissance de négociation avec des fournisseurs ou sous-traitants et, d'autre part, le rapport de force contractuel entre ceux-ci ; que la société GEEPF fabrique des turbines destinées au secteur de l'énergie ; que si la société GEEPF commercialise ses produits au niveau international, il convient d'examiner la place de la société GEEPF à l'égard de ses fournisseurs français ; qu'il ressort des rapports des commissaires aux comptes de la société GEEPF que son chiffre d'affaires annuel s'est élevé à 1.499 millions d'euros en 2011, à 1.546 millions d'euros en 2012 (sur 13 mois) et à 898 millions d'euros en 2013, (pièces n°s 15 et 16 du Ministre) et les parties conviennent qu'elle compte plus de mille fournisseurs ; que la société GEEPF se présente dans sa plaquette de présentation datée du 6 décembre 2012 comme étant le seul producteur de turbine à gaz de grande puissance en France et comme étant le moteur de la "vallée de l'énergie" à [Localité 2] qui concentre les industries et les services dans le secteur de l'industrie (pièce n° 59 du Ministre) ; que c'est donc le rapport de force entre les fournisseurs et sous-traitants de la société GEEPF sur le territoire français, dans le secteur de la fabrication de ces produits très spécifiques à très haute technologie qui doit être examiné par la cour ; qu'il ressort des éléments du dossier que la société GEEPF est la société la plus importante en France dans ce secteur d'activité de la fabrication de la turbine puissante et fait partie des 5 leaders mondiaux (pièce n° 62 fiche Xerfi du mois de novembre 2014 relative au secteur économique de la fabrication des turbines et moteurs) ; que cette étude Xerfi, non contestée par la société GEEPF, explique dans le chapitre relatif aux "Forces en présence – Panorama des groupes et entreprises leaders" et intitulé "Domination de grands groupes étrangers dans le secteur" que "la fabrication de moteurs et turbines en France est dominée par les leaders mondiaux du secteur, aux capitaux principalement étrangers. Ainsi, sur les dix premiers acteurs présents industriellement dans l'Hexagone, un seul (Alstom) était d'origine française en 2013. Disposant de 9 sites en France, dont 4 consacrés à la conception de turbines (à gaz et à vapeur), General Electric fait figure de leader incontesté grâce à ses entités General Electric Energy Product France et Thermodyn. Légèrement en retrait, [P] [C] intervient sur le territoire par le biais de sa filiale éponyme, qui détient une unité de production dédiée aux moteurs diesels. Ces deux groupes ont réalisé plus de la moitié du chiffre d'affaires du secteur en 2013" et il apparaît aussi que c'est la société GEEPF qui réalise de loin en France le plus important chiffre d'affaires des entreprises du secteur ; que dès lors, les cocontractants français de la société GEEPF ne peuvent se passer d'un fabriquant ayant cette puissance au regard du secteur d'activité très particulier de l'industrie haute technologie de l'énergie, de son chiffre d'affaires et de sa place dans le commerce international ;

Sur les modalités de négociation : que la distinction juridique entre les différents cocontractants de la société GEEPF, qu'ils soient fournisseurs ou sous-traitants, est indifférente dans la mesure où ces sociétés cocontractantes de la société GEEPF ont accepté les clauses insérées dans les trois types de contrats litigieux :

* les conditions générales d'achat applicables pour l'achat de produits ou équipements. Ces conditions générales d'achat sont également accessibles depuis les bons de commande adressés par la société GEEPF à ses fournisseurs,
* le modèle-type de contrat de fourniture de matériel (contrat SA), correspondant à un accord-cadre d'achat de matériel avec un fournisseur, * le contrat de prestations de services type dénommé MSA "Master Service Agreement" (contrat MSA), pour la commande de prestations de services de la part de ses fournisseurs par la société GEEPF ;

qu'il ressort des déclarations de différents fournisseurs ou sous-traitants devant les agents de la DIRECCTE que :

* pièce n° 103-1 anonymisée "Vous nous demandez si nous avons contesté ces conditions d'escompte par écrit. Nous avons effectivement négocié, sans succès. En effet ces modalités ont été décidées par GE USA" ;
* pièce n° 103-2 anonymisée "L'accès même aux enchères oblige à valider préalablement les CGA (...) les acheteurs s'abritent derrière le service juridique (cas de GENERAL ELECTRIC) et déclarent ne pas avoir de pouvoir de négociation sur les CGA (...) GENERAL ELECTRIC pratique l'escompte anticipé sans notre accord, à un taux abusif" ;
* pièce anonymisée n° 103-3 : "la négociation avec GE est quasiment impossible (...) GE nous impose un escompte abusif depuis plusieurs années. Nous avons reçu en 2009 un courrier de GE nous informant que nous bénéficions du programme de paiement accéléré. GE déduit de notre facture unilatéralement le montant de l'escompte "dû" selon leur méthode de calcul figurant sur leurs CGA. Il n'est pas aisé de procéder à la vérification du taux d'escompte appliqué par GE" ;
* pièce anonymisée n° 103-4 : « En ce qui concerne GE, j'ai dû signer il y a quelques années des conditions qui prévoient un escompte fixé (en fonction du coût de l'argent) unilatéralement par GE pour règlement anticipé inférieur à 30 jours. Je n'ai pas eu le choix si je souhaitais conserver les marchés avec ce client (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-5 : "Le système de paiement anticipé qui y figure [dans les CGA] et existe depuis plusieurs années nous est imposé. (...) Le système de paiement anticipé est coûteux mais il est mis en place par GE au niveau mondial et fait courir le risque de cessation des relations commerciales pour les entreprises qui s'y opposeraient" ; si la société déposant s'est ensuite rétractée par courrier, ces déclarations étant corroborées par ailleurs par d'autres cocontractants de la société GEEPF et compte-tenu du contexte de risque de perte de relations commerciales avec cette dernière, qui peut expliquer cette rétractation, cet état de fait ne peut enlever tout caractère probant à cette première déclaration ;
* pièce anonymisée n° 103-6 : "Nous avons par contre un problème avec GE lié à leurs conditions d'achat et leur système d'escompte imposé (...). Pour palier et contourner ce système nous avons il y a un an et demi envoyé un certain nombre de factures après leur date d'échéance soit 60 jours afin de ne pas subir de frais financiers. Mais nous avons été rappelés oralement et sévèrement à l'ordre par GE et nous avons été obligés d'envoyer nos factures dès leur édition et subissons de nouveau ces escomptes. Nous avons essayé de négocier ces taux sans succès (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-7 : "le montant de l'escompte a été négocié entre 2003 et 2009. En 2009 le taux nous a été indiqué dans le contrat sans que cela puisse devenir un sujet de négociation. Cette pratique d'escompte de GE est mondiale (...). Nous avons essayé de négocier le taux d'escompte mais GE nous a précisé que la stratégie globale de GE était de pratiquer cet escompte auprès de tous ses fournisseurs mondiaux. Nous avons accepté le contrat GE avec les taux d'escompte proposés en tenant compte de la place importante de GE dans notre activité (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-8 : "Dans ce courrier [courrier en pièce n° 103-8b] (...) j'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (...) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un escompte à hauteur de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-9 : "Dans notre relation commerciale avec GE, ce sont leurs conditions générales d'achat qui s'appliquent au détriment de nos conditions générales de vente. C'est un point qui n'est pas négociable avec cette entreprise (...) Pour ma part j'assimile ce procédé à une prise d'escompte de la part de General Electric. Ce mécanisme est bien supérieur au taux que nous octroyons dans nos conditions générales de vente qui est de 1 % pour un paiement comptant. Nous n'avons pas été en mesure de négocier ce programme de paiement anticipé avec General Electric. (...) Le programme de paiement anticipé de GE ne présente pas d'intérêt particulier pour notre entreprise dans la mesure où nous possédons une trésorerie saine" ;
* pièce anonymisée n° 103-10 : "Nous avons tenté à maintes reprises de refuser ce système. Nous avons essayé la dernière fois d'évoquer le sujet avec General Electric en 2010 et ce sans résultat. Nous n'avons pas souhaité refuser ce système par écrit par crainte d'un arrêt des relations commerciales (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-11 : "Le système d'escompte (programme VMF) a été mis en place en 2003. Nous avons essayé de dénoncer en 2007-2008 car nous avions un volume d'affaires important à cette époque mais nous avons reçu une fin de non-recevoir. Nous avions un contrat VMF en 2007 que nous avions refusé de signer car nous n'avions pas de problème de trésorerie. Ces modalités d'escompte ont ensuite été intégrées dans leur CGA que nous n'avons pas accepté non plus. Néanmoins le système est appliqué à la discrétion de l'acheteur et malgré nos tentatives nous n'avons pas réussi à passer outre (...). Lorsque nous négocions un contrat de fourniture, nous essayons de négocier un certain nombre de points par mail ; concernant l'escompte, il nous a toujours été répondu que ce point n'était pas négociable (...). L'escompte et l'exclusion des immatériels ne sont absolument pas négociables avec GE. Nous avons essayé plusieurs fois de rejeter le système d'escompte, en vain. C'est le seul client qui fonctionne de cette manière. C'est GE qui décide de le mettre en oeuvre (...). Nous ne sommes pas maîtres du déclenchement, ce qui est délicat en matière de prévision de trésorerie (...)". Par courriel de l'année 2007, la société GEEPF a répondu à ce cocontractant suite à ses remarques sur le système d'escompte que "chapitre 2, discount 0,033 n'est pas négociable et fait partie des exigences fixées dans le cahier des charges" ;
* pièce anonymisée n° 103-12 : "Le contrat de prestation comporte des dispositions financières par lesquelles GE nous applique des paiements anticipés à 15 jours contre escompte. Ce système nous assure des paiements rapides, mais nous coûte X € par an. (...) Lors de la mise en place de ce système en 2004, nous avons refusé l'application de ce programme de paiement anticipé, n'ayant pas à cette époque de problème de trésorerie, mais nous n'avons pas pu nous en dégager (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-13 : "Le TPS est notre autre sujet de préoccupation avec GE. (...) c'est en 2008 que nous avons été contraints d'y adhérer (...) nous avons augmenté nos prix de 3 % pour compenser le TPS" ;
* pièce anonymisée n° 103-17 : "Nous ne concédons pas d'escompte, sauf avec le client GE et les sociétés de ce groupe (...) Vous nous demandez pour quelle raison un escompte est attribué au client GENERAL ELECTRIC ENERGY / GE POWER and WATER. Pour être référencé comme fournisseur de GE, nous devons signer leurs conditions générales d'achat. Aucune relation commerciale ne peut exister sans l'acceptation de cet accord. Leur application prévaut sur nos conditions générales de vente. (...) Vous nous demandez si le barème applicable a déjà pu être modifié suite à nos négociations. Dans le contrat de [...], qui prévoyait une évolution du taux à 15 jours de [...] % (2007) à [...] % (2008), nous avons obtenu qu'il soit fixé à [...] %" ;
* pièce anonymisée n° 103-27 : "GE nous impose ses conditions d'escompte que nous n'avons jamais remises en question. Pour autant, cette question est prise en compte dans la définition des tarifs que nous élaborons dans le cadre de nos propositions commerciales (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-20 : « De notre côté nous précisons que nous n'accordons aucun escompte pour paiement anticipé. Cependant nous n'avons pas refusé leurs conditions d'escompte qui nous ont été présentées comme étant une règle non négociable de l'entreprise (...) Pour nous l'imposition du taux d'escompte n'a pas eu d'impact sur notre trésorerie. Nous avons inclus dans le calcul de notre prix de revient le risque d'être payé plus tôt. Nous l'avons intégré comme un coût potentiel. Pour nous cette pratique de l'escompte ne nous semble pas abusive ; Nos relations avec GE sont bonnes et c'est un groupe avec lequel nous pouvons discuter" ;
* pièce anonymisée n° 103-22 : "En 2004, le système TPS a été instauré par General Electric (...) Le taux était à cette époque négociable. Il ne l'est plus depuis environ 3 ans. (...) Sur le plan financier c'est pénalisant pour nous puisqu'un escompte est appliqué (...) Nous adaptons de toute façon notre prix de vente à ces conditions particulières d'escompte (...) Nos CGV ne sont pas prises en compte par General Electric (...) L'acceptation du système est un critère d'évaluation du fournisseur d'après ce qui nous a été dit, et fait partie de leur propre évaluation interne (...) Ce système ne nous est pas imposé mais fortement suggéré ; il ne nous est toutefois pas globalement défavorable, avec du recul (...) nous préférerions maîtriser le délai de paiement (...) Lors de l'instauration de TPS, nous avons fait valider leurs conditions par notre avocat, qui les trouvaient sur certains aspects quelque peu abusives. Toutefois nous les avons acceptées en connaissance de cause, préférant préserver nos commandes avec eux, et nous avons de bonnes relations commerciales avec General Electric. A l'heure actuelle, si la question nous était posée, nous préférerions continuer à travailler avec le système TPS car il nous permet de récupérer de l'argent rapidement en cas de besoin" ;

qu'il convient de relever que tous les témoignages, au nombre de 17, se corroborent entre eux, mais aussi que ces déclarations font références aux clauses contractuelles litigieuses, de sorte que ces références confirment la crédibilité de ces procès-verbaux, dressés par des agents assermentés, et notamment le fait qu'elle fasse primer contractuellement ses CGA sur les CGV de ses cocontractants. Ces clauses se retrouvent en effet, sans que cela ne soit contesté, dans la majorité des contrats liant la société GEEPF à ses fournisseurs ou sous-traitants ; que l'ensemble de ces déclarations et pièces concordantes démontrent que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle, ces clauses inscrites dans les CGA étant présentées comme non négociables par cette dernière à un nombre certain de ses interlocuteurs, le nombre de cocontractants entendus étant significatifs pour être considéré comme probant, ce d'autant que les parties s'accordent sur le fait que 60 % environ des fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ont « souscrit » au programme TPS. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société GEEPF, les déclarations de ses cocontractants reprises ci-dessus établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme à l'acceptation des CGA : en effet, ces clauses sont présentées comme étant non négociables et leur acceptation constitue un préalable à un échange commercial avec la société GEEPF ; que par ailleurs, les courriers envoyés ultérieurement par cette dernière à ses cocontractants relatifs à la présentation plus précise du programme TPS sont sans incidence sur la soumission ou la tentative de soumission, en ce que l'acceptation de l'adhésion au programme TPS a déjà été formalisée par le cocontractant ; qu'en outre, la cour constate que les contrats proposés sont des contrats-types, y compris dans le cadre des appels d'offres, l'acceptation préalable des conditions générales d'achat de la société GEEPF apparaissant une condition au dépôt de la candidature ; que toutefois, la société GEEPF produit des contrats signés avec certains de ses cocontractants qui démontrent que « l'adhésion » au programme TPS a été négociée et a fait l'objet d'une suppression à la demande du cocontractant sur la période considérée pour 14 cas ; qu'il ressort des conclusions du rapport Sorgem, produit par la société GEEPF (pièces n°s 20 et 36), dont les chiffres sont proches de ceux invoqués par le Ministre, que 60 % des fournisseurs de la société GEEPF ont accepté le programme TPS et que ces fournisseurs représentent 72 % du volume d'affaires de la société GEEPF ; qu'ainsi, si la société GEEPF communique des pièces afin de démontrer que ces clauses sont négociables, il convient toutefois de relever qu'elles ne concernent pratiquement pas la clause TPS (14 exemples), qu'un nombre conséquent de ces contrats porte sur des activités qui ne concernent pas directement des prestations de services ou de fournitures dans le domaine de la fabrication de turbines : en effet des prestations plus complexes, telles que celles relatives à des questions de propriété intellectuelles, impliquent nécessairement la signature de contrats spécifiques, de sorte que la société GEEPF ne démontre pas que ces clauses sont parfaitement négociables par l'ensemble de ses fournisseurs ou sous-traitants, la preuve de réelle négociation n'étant pas rapportée : le seul fait que 40 % de ses interlocuteurs ne bénéficient pas du programme TPS ne démontre pas en soi que cette clause n'est pas imposée à un nombre important de ses cocontractants, la société GEEPF indiquant clairement à ces sociétés que ces clauses ne sont pas négociables ; que par ailleurs, la négociation du taux appliqué au programme TPS ne peut à elle seule démontrer que ces dispositions sont négociables pour l'ensemble des cocontractants, ces baisses apparaissant marginales et le principe de la souscription à ces clauses apparaissant imposée à un nombre conséquent de cocontractants ; que ces 14 cas de retrait de la clause litigieuse relative au programme TPS dans les contrats signés par la société GEEPF démontrent uniquement que cette dernière accepte de négocier ces points avec certains de ses cocontractants mais, au regard des déclarations de 17 autres cocontractants reproduites ci-dessus, il apparaît que d'autres se voient imposer ces clauses, celles-ci étant présentées comme non négociables ;

Sur la clause de primauté des CGA de la société GEEPF : que la clause de primauté des CGA de la société GEEPF précitée traduit, comme le soutient le Ministre, une absence manifeste d'ouverture d'une possible négociation, sa rédaction ne permettant pas au fournisseur de proposer facilement de contre-proposition pour négocier des clauses acceptables, l'acceptation de la contre-proposition relevant de la seule volonté de la société GEEPF ; que par ailleurs cette clause est contraire au principe posé par la loi LME qui est de faire primer les CGV comme base de négociation et non l'inverse ; qu'en outre, la preuve que la clause TPS peut être négociée et refusée n'est pas rapportée dans le contrat-type ; qu'aucune ouverture à la négociation n'est donc démontrée par la société GEEPF, alors que les auditions des fournisseurs reproduites ci-dessus démontrent que la primauté des CGA de la société GEEPF n'est pas négociable avec cette dernière ; qu'en conclusion de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la société GEEPF ne négocie pas de manière effective ses conditions générales d'achat et de paiement avec un nombre conséquent de ses cocontractants, les clauses litigieuses figurant dans l'ensemble des trois contrats-types contestés ; que par ailleurs, ces cocontractants, ayant déclaré ne pas avoir le choix d'accepter ou de refuser les conditions de la société GEEPF, au regard de la position de celle-ci sur le secteur de la fabrication des turbines puissantes en France, et des modalités de souscriptions aux CGA, comme étant un préalable à toute poursuite de relation commerciale, sont soumis par elle dans le cadre de leurs rapports commerciaux ; que compte-tenu de l'ensemble des éléments évoqués ci-dessus, et notamment la part des cocontractants adhérant au programme TPS à hauteur de 60 %, les 17 cocontractants ayant déclaré à la DIRECCTE s'être vu imposer ces clauses, et au silence de 6 fournisseurs sur le programme TPS, il y a lieu de considérer que 50 % des fournisseurs de la société GEEPF se voient imposer l'acceptation au programme TPS par la société GEEPF, les CGA étant donc intangibles pour 50 % d'entre eux ;

Sur le déséquilibre significatif : [...]

Sur la primauté des CGA : qu'il est constant que la clause relative aux CGA de la société GEEPF fait primer les CGA de celle-ci sur les CGV de ses cocontractants ; que les CGA sont établies à partir de médailles soumis au débat, identiques selon l'un des trois types de contrats évoqués ci-dessus ; qu'aux termes de l'article L. 441-6, I al. 3 du code de commerce "les conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale. Dans le cadre de cette négociation, tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut convenir avec un acheteur de produits ou demandeur de prestation de services de conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l'obligation de communication prescrite au premier alinéa" ; que les déclarations de cocontractants reproduites supra ainsi que les dispositions de l'article 1 des CGA démontrent que les relations entre la société GEEPF et 50 % de ses cocontractants sont établies à partir de l'offre de la société GEEPF et non à partir de celle du fournisseur, contrairement aux exigences de l'article L. 441-6 du code de commerce, de sorte que l'initiative de la négociation prévue par l'article L. 441-6 du code de commerce est inversée, à partir d'un modèle-type, figurant dans chacun des contrats, faisant ainsi ressortir que la société GEEPF a imposé ses conditions d'achat à ses fournisseurs, sans possibilité de négociation ;

Le programme TPS : que l'article 4 relatif au paiement des factures, reproduit ci-dessus, prévoit la rémunération par la société GEEPF dans l'hypothèse d'un paiement anticipé par elle de la facture de son fournisseur ; qu'aux termes de l'article L. 441-6, I al. 4 et 5 du code de commerce "sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties" ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture ; que les professionnels d'un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l'alinéa précédent ; qu'ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai ; que des accords peuvent être "conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l'étendre à ces mêmes opérateurs" ; que les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et réduisent de fait le prix de revient effectif des achats et créent un risque économique et financier pour le fournisseur partenaire ; que les délais de paiement accordés aux clients par les fournisseurs ou sous-traitants pèsent sur la trésorerie de ceux-ci ; que dès-lors, le besoin de financement du fournisseur ainsi créé est couvert par l'endettement bancaire, direct ou indirect ; qu'ainsi, le respect des délais de paiement doit être apprécié comme un des éléments de la relation commerciale loyale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques ; que le programme TPS de la société GEEPF propose de payer les factures dues à ses cocontractants ayant signé un contrat les liant incluant ladite clause moyennant rémunération, à savoir "[Le] montant [de cette rémunération] sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture" ; qu'il convient donc de déterminer si la rémunération de la société GEEPF pour payer ses factures avant le délai de 50 jours constitue un surcoût excessif pour les fournisseurs par rapport aux coûts des financements des fournisseurs pour compenser leur besoin de trésorerie dans l'attente du paiement de leurs factures ; que la société GEEPF explique que la contrepartie à la rémunération du paiement anticipé de la facture est justement le paiement anticipé évitant au fournisseur d'avoir recours à d'autres solutions de crédit afin d'assurer sa trésorerie, alors que le Ministre conteste l'avantage donné, soutenant que la société GEEPF ne fait qu'application de la loi ; qu'il convient à titre liminaire de relever que le législateur a donné un délai maximum de paiement des factures, à savoir soixante jours à compter de la date d'émission de la facture, la date de paiement de la facture étant de trente jours suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée, et qu'en tout état de cause, ce délai ne peut dépasser soixante jours ; qu'une facture émise doit être acquittée par le fournisseur au plus vite, et au maximum dans les délais légaux fixés par le législateur, dont l'objectif est de réduire les délais de paiement prolongés qui portent atteinte à l'économie, beaucoup de fournisseurs ayant de ce fait des difficultés de trésorerie ; que cette législation ne délimite qu'une tolérance à la pratique des crédits fournisseurs en fixant des délais maxima et aucune contrepartie financière ne peut être demandée par l'acheteur ; que si le Ministre ne reproche pas à la société GEEPF cette clause en tant que telle, il lui reproche son coût très élevé et l'absence de contrepartie comme de rééquilibrage ; que le paiement à 15 jours de la date de la facture est rémunéré à 2,5 % du montant TTC de celle-ci, ce montant étant encore réduit de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai inférieur à 15 jours et est augmenté de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai supérieur à 15 jours ; que cette rémunération par la société GEEPF correspond à une baisse non négligeable du montant de la facture du fournisseur, alors qu'aucune contrepartie n'est fournie au fournisseur par la société GEEPF qui est tenue de payer ses factures dans le délai maximum fixé par le législateur ; qu'en effet, aucune clause contractuelle ne rééquilibre les droits et obligations des parties, ce que ne soutient d'ailleurs pas la société GEEPF ; qu'il convient en outre de relever que la date de paiement est à la seule discrétion de la société GEEPF qui ne démontre pas assurer un service à ses fournisseurs, s'agissant de la gestion courante des factures entre acteurs économiques ; que de même, le cocontractant ne peut savoir au final quelle sera sa réelle rémunération sur la prestation ou la fourniture réalisée pour la société GEEPF, ne sachant pas à quelle date il serait payé et en conséquence quel taux de réduction lui serait imputé par la société GEEPF sur sa facture ; que dès lors, quelle que soit la qualification de cette pratique, d'escompte commercial ou d'escompte bancaire, les fournisseurs choisissant de financer leur trésorerie avec les différents outils de leurs choix quand ils le souhaitent et les moins coûteux, étant par ailleurs relevé que certains n'ont pas de besoin en trésorerie et donc ne font pas appel à des services financiers de ce type, il apparaît que les taux pratiqués réduisent de manière conséquente le montant final de la facture des fournisseurs qui se sont vus imposer cette clause sans que cette réduction ne correspondent à une prestation quelconque de la société GEEPF et sans que le cocontractant ait une visibilité claire du montant final qui lui sera versé ; qu'en outre, 40 % des cocontractants de la société GEEPF ont refusé, lorsqu'ils le pouvaient, d'avoir recours à ce système, ce qui démontre par ailleurs que ses bénéfices ne sont pas perçus comme effectifs par ceux-ci ; qu'en l'espèce, la plupart des fournisseurs dont les déclarations sont reproduites ci-dessus expliquent que les taux pratiqués par la société GEEPF sont abusifs. Il est notamment indiqué que :
- "Les taux d'escompte appliqués sont élevés et ont eu tendance à augmenter dans le temps alors que les conditions d'escompte bancaires sont nettement plus intéressantes. Le système GE correspond à 0,0333 %
par jour et à un taux annuel de 12,15 % contre 4 % dans le monde bancaire (...) Le système de paiement anticipé est coûteux" (pièce n° 103-5),
- "Cet escompte correspond à un taux annuel d'environ 18 %/an à comparer au taux bancaire d'emprunt de l'ordre de 3 % actuellement" (pièce n° 103-6),
- "Le taux proposé par GE est plus important que les taux bancaires pratiqués actuellement qui sont de l'ordre de 3,5 % annuel soit 0,0097 % en taux journalier" (pièce n° 103-7),
- "J'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (...) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un financement à 45 jours à un taux annuel de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure, sans compensation en prix de vente" (pièce n° 103-8a) ;

qu'il apparaît donc que les déclarations des cocontractants et leurs calculs relatifs au financement dont ils auraient bénéficié auprès des banques, s'ils les avaient sollicitées, sans être contredites par la société GEEPF sur les chiffres avancés, démontrent que les taux pratiqués sont nettement supérieurs aux autres systèmes auxquels ils peuvent avoir droit pour faire face à leurs besoins de trésorerie au regard des délais de paiement ; qu'ainsi, la société GEEPF ne prouve pas que son système est avantageux pour ses fournisseurs ni qu'elle fournit des contreparties concrètes et supplémentaires à ses cocontractants, dans le cadre du système TPS ; que dans ces conditions, la réduction conséquente de la facture du cocontractant sans contrepartie et sans qu'un rééquilibrage ne soit opéré par d'autres clauses du contrat caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la société GEEPF a soumis ou tenté de soumettre 50 % de ses cocontractants à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations » ;

1°/ ALORS QUE la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence, la cassation des chefs de l'arrêt visés par le deuxième moyen en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ ALORS QUE l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, sanctionne le fait «de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que si la puissance de négociation d'un contractant, liée à sa position économique dans un secteur d'activité particulier, peut constituer un indice permettant d'apprécier l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission de ses partenaires commerciaux, encore faut-il que ce déséquilibre structurel soit examiné par référence au marché sur lequel la puissance d'achat est susceptible de s'exercer ; qu'en l'espèce, la société GEEPF faisait valoir que le marché de référence était non pas celui de la fabrication de turbines à gaz dans lequel elle occupait une position de leader, mais le marché d'approvisionnement situé en amont, dans lequel ses fournisseurs disposaient de nombreux débouchés pour les biens et services fournis, lesquels n'étaient pas exclusivement destinés à la fabrication de turbines à gaz (cf. conclusions p. 39 et 40) ; qu'en affirmant que le rapport de force entre les fournisseurs et sous-traitants de la société GEEPF sur le territoire français devait être examiné au regard du secteur d'activité très particulier de la fabrication de la turbine à gaz à grande puissance (cf. arrêt p. 10 § 5 et dernier §), sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée, si le marché de référence n'était pas celui situé en amont, concernant l'écoulement de l'ensemble des produits et services offerts par ses fournisseurs, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;

3°/ ALORS QUE l'existence d'une possibilité de négociation exclut nécessairement l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission au sens de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, quand bien-même l'ensemble des partenaires commerciaux n'aurait pas usé de cette faculté ; qu'après avoir relevé 14 cas de retraits de la clause litigieuse au programme TPS dans les contrats signés par la société GEEPF (cf. arrêt p. 14, § 4 et dernier §), ce dont il résultait l'existence d'une possibilité de négociation effective, la cour d'appel ne pouvait retenir qu' « aucune ouverture à la négociation » n'était établie par la société GEEPF (cf. arrêt p. 15, § 3), sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;

4°/ ALORS QUE l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, sanctionne le fait «de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s'apprécie au regard du contenu du contrat ; qu'en retenant que la clause dite de primauté des conditions générales d'achat de la société GEEPF créait un déséquilibre dans les droits et obligations des parties, sans nullement caractériser l'existence d'un tel déséquilibre au regard du contenu même de ces conditions générales d'achat, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;

5°/ ALORS QUE l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, ne fait pas obstacle à ce que des conditions générales d'achat puissent constituer le socle de base des négociations entre les parties ; qu'en retenant le contraire (cf. arrêt p. 16, dernier §), la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause ;

6°/ ALORS QUE l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, sanctionne le fait «de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que pour retenir que la clause relative au programme TPS créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, la cour d'appel a affirmé que la société GEEPF ne prouvait pas que le système mis en place par le programme TPS était « avantageux » pour ses fournisseurs ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'absence d'avantage – à la supposer même établie –n'implique pas l'existence d'un déséquilibre significatif, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;

7°/ ALORS QUE l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, sanctionne le fait «de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que pour retenir que la clause relative au programme TPS – prévoyant une réduction du prix des factures au bénéfice de la société GEEPF en cas de paiement anticipé – créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, la cour d'appel a affirmé qu' « aucune contrepartie n'est fournie au fournisseur par la société GEEPF qui est tenue de payer ses factures dans le délai maximum fixé par le législateur » (cf. arrêt p. 18, §5, v. aussi p. 19, §4) ; qu'en statuant ainsi, sans tenir compte de la contrepartie représentée par un paiement plus rapide que les exigences légales, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;

8°/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant que le programme TPS ne fournissait « aucune contrepartie » au fournisseur par la société GEEPF (cf. arrêt p. 18, §5, v. aussi p. 19, §4), sans répondre au moyen de cette dernière faisant valoir qu'outre un délai de paiement moyen de 22 jours, ce programme permettait à ses fournisseurs de bénéficier d'autres contreparties tels des paiements quotidiens et non hebdomadaires, une détection accélérée des litiges factures, un traitement prioritaire des factures, la transmission d'avis de paiement détaillés, un site internet permettant de connaître en temps réel l'état des paiements de leurs factures ainsi qu'un service clientèle dédié (cf. conclusions p. 118), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(Sur l'amende civile)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros ;

AUX MOTIFS QUE «l'amende civile doit viser à prévenir et dissuader les pratiques restrictives prohibées, mais lucratives en matière commerciale ; que la gravité du comportement en cause et le dommage à l'économie en résultant doivent être pris en compte ; que c'est en raison des atteintes portées aux entreprises, et, notamment aux PME, par les retards de paiement que le législateur est intervenu pour limiter les délais de paiement, ayant d'ailleurs sanctionné par une amende civile le non-respect de ceux-ci dans les conditions imposées par l'article L. 441-6 [en réalité L. 442-6] du code de commerce, dans le but d'améliorer la trésorerie des entreprises ; que la clause prévoyant une rémunération pour l'acheteur qui se contente de respecter la loi porte une atteinte grave à l'ordre public économique ; que par ailleurs, l'impossibilité pour les fournisseurs de négocier sur la base de leurs CGV, les CGA de la société GEEPF leur étant imposées, constitue également une atteinte importante à l'ordre public économique ; que la situation d'acteur majeur de la société GEEPF sur son marché contribue à accentuer la gravité des faits qui lui sont reprochés, du fait de son devoir d'exemplarité ; que la rémunération exigée par la société GEEPF au détriment de 50 % de ses cocontractants français, dans les conditions précitées pendant les années 2009 à 2012, a coûté plus de 18 millions d'euros aux fournisseurs français, chiffre non contesté utilement, qui ont été soumis à ces clauses, ce qui atteste l'effet conséquent de ces pratiques ; que dès lors, compte-tenu de la gravité des faits, de leur durée et de leur ampleur mais aussi de la fonction dissuasive de l'amende, il y a lieu de condamner la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros et d'enjoindre à la société GEEPF de cesser les pratiques incriminées, à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats les clauses suivantes :

"Sont également inopposables à l'acheteur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, et l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions", et "L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture" ;

1°/ ALORS QUE pour condamner la société GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros, la cour d'appel a affirmé que « la clause prévoyant une rémunération pour l'acheteur qui se contente de respecter la loi porte une atteinte grave à l'ordre public économique » (cf. arrêt p. 20, §1) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la clause conditionnait la rémunération pour l'acheteur à un paiement anticipé des factures, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 III, b) du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ ALORS QUE pour condamner la société GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros, la cour d'appel a affirmé que « l'impossibilité pour les fournisseurs de négocier sur la base des leurs CGV, les CGA de la société GEEPF leur étant imposées, constitue également une atteinte importante à l'ordre public économique » (cf. arrêt p. 20, §1) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la pratique consistant à choisir les conditions générales d'achat comme socle de base de la négociation n'est nullement prohibée, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 III, b) du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;

3°/ ALORS QUE pour condamner la société GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros, la cour d'appel a affirmé que « la situation d'acteur majeur de la société GEEPF sur son marché contribue à accentuer la gravité des faits qui lui sont reprochés, du fait de son devoir d'exemplarité » (cf. arrêt p. 20, §2) ; qu'en mettant ainsi à la charge de l'exposante un « devoir d'exemplarité » qui ne repose sur aucun fondement juridique, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 III, b) du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause.


Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

CONCURRENCE - Transparence et pratiques restrictives - Sanctions des pratiques restrictives - Déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties - Preuve - Déclarations anonymes - Condition

PREUVE - Règles générales - Moyen de preuve - Administration - Déclarations anonymes - Applications diverses - Pratiques restrictives de concurrence CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, §§ 1 et 3 - Violation - Cas - Déclarations anonymes

Il résulte de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'au regard des exigences du procès équitable, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes. Méconnaît les exigences de ce texte la cour d'appel qui se fonde, de façon déterminante, sur des déclarations recueillies anonymement pour estimer rapportée la preuve d'une soumission des fournisseurs d'une société aux clauses contractuelles déterminées par cette dernière et, en conséquence, déclarer établie cette condition de caractérisation de la pratique restrictive visée à l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, alors en vigueur


Références :

Article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 juin 2019


Publications
Proposition de citation: Cass. Com., 11 mai. 2022, pourvoi n°19-22242, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles
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Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard
Avocat(s) : SCP Bénabent , SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés

Origine de la décision
Formation : Chambre commerciale
Date de la décision : 11/05/2022
Date de l'import : 21/06/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19-22242
Numéro NOR : JURITEXT000045802376 ?
Numéro d'affaire : 19-22242
Numéro de décision : 42200295
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2022-05-11;19.22242 ?
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