LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-84.906 F-D
N° 00035
MAS2
15 JANVIER 2025
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 JANVIER 2025
M. [I] [P] et Mmes [C] et [S] [K] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France, chambre correctionnelle, en date du 20 juillet 2023, qui, sur renvoi après cassation, (Crim., 30 janvier 2019, pourvoi n° 18-82.589), pour complicité d'escroquerie et blanchiment, a condamné le premier à quinze mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction professionnelle, les deux dernières, chacune, à six mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ampliatif et personnels, un mémoire en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [I] [P] et de Mmes [C] et [S] [K], les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société [4], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, Mme Sommier, greffier de chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre présent au prononcé,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. M. [I] [P], conseiller financier à la [2] ([2]), a proposé à M. [L] [F] un montage financier en vue de l'obtention d'un prêt immobilier de 92 000 euros afin de financer fictivement l'achat d'un terrain et d'une maison par l'intermédiaire de la société civile immobilière [3], créée pour la circonstance, avec la production de deux fausses factures, une première au nom de la société [1], gérée par Mme [C] [K] et présidée par Mme [S] [K], et une autre, au nom de la société [5].
2. Le prêt ayant été accordé, la société civile immobilière a perçu les fonds qui ont été virés, pour une somme de 78 120 euros, à la société [1], pour une somme de 13 880 euros, à la société [5], avant d'être remis en chèques, à hauteur de la somme de 20 000 euros, à M. [F], transférés à nouveau vers d'autres sociétés, ou utilisés par carte bancaire ou retraits d'espèces.
3. M. [P] et Mmes [K] ont été convoqués devant le tribunal correctionnel pour y être jugés des chefs de complicité de l'escroquerie commise par M. [F] et blanchiment du produit direct de l'escroquerie.
4. Après avoir prononcé une relaxe pour les faits de blanchiment, le tribunal correctionnel, par jugement du 1er février 2017, a déclaré les prévenus coupables de complicité d'escroquerie, a condamné, notamment, M. [P] à six mois d'emprisonnement, 5 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction professionnelle, Mmes [K], chacune, à cent-vingt jours-amende de 25 euros et a prononcé sur les intérêts civils.
5. M. [P], Mmes [K] et le ministère public ont interjeté appel de la décision.
Examen de la recevabilité des mémoires additionnels déposés par les demandeurs
6. Ils sont irrecevables, par application de l'article 590, alinéa 3 du code de procédure pénale, dès lors qu'aucun mémoire additionnel ne peut être déposé postérieurement au dépôt du rapport du conseiller rapporteur.
Examen des moyens
Sur les premiers moyens des mémoires personnels
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur les troisièmes moyens des mémoires personnels
Enoncé des moyens
8. Les moyens, rédigés dans les mêmes termes, sont pris de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale.
9. Les moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a omis de répondre aux conclusions régulièrement déposées, sollicitant un supplément d'information aux fins, notamment, de faire verser au dossier de la procédure et soumettre à la discussion des parties divers documents et notamment le contenu de la messagerie électronique de M. [P], le dossier de prêt en original et soulevant la nullité de l'enquête et des citations.
Réponse de la cour
10. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
11. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
12. Il résulte de l'arrêt attaqué que les juges ont confirmé le jugement sur la déclaration de culpabilité des demandeurs et les ont condamnés, sans répondre à la demande de supplément d'information et d'annulation d'actes contenue dans les mémoires régulièrement déposés devant eux.
13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
14. La cassation est encourue de ce chef.
Et sur le premier moyen du mémoire ampliatif et les deuxièmes moyens des mémoires personnels
Enoncé des moyens
15. Le moyen proposé pour les demandeurs critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société [4], venant aux droits de la [2] et confirmé le jugement entrepris sur l'action civile, alors « que la fusion-absorption faisant perdre son existence juridique à la société absorbée, la constitution de partie civile de la société absorbée devant le tribunal correctionnel, effectuée postérieurement à la fusion-absorption, est irrégulière et ne peut être régularisée en cause d'appel par l'intervention de la société absorbante ; que dès lors, en affirmant, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de la [4], venant aux droits de la [2], et confirmer le jugement entrepris sur l'action civile, qu'« il ressort de l'extrait K-bis versé aux débats que la [4] est venue aux droits de la [2] par le jeu d'une fusion-absorption le 1er janvier 2016 » et qu'« il en ressort que la [4] peut poursuivre les actions en justice en cours dans lesquelles la [2] était partie » (arrêt, p. 11), sans rechercher, comme elle y était invitée (cf. notamment les conclusions d'appel n° 1 des prévenus déposées le 28 avril 2022, pp. 17, 21 et 22), si la fusion-absorption du 1er janvier 2016 étant antérieure à l'audience du 11 janvier 2017 devant le tribunal correctionnel de Fort de France au cours de laquelle la [2] s'était constituée partie civile, la constitution de partie civile de cette dernière, alors qu'elle avait déjà perdu son existence juridique du fait de son absorption par la [4], était irrégulière et ne pouvait donc pas être régularisée en appel par l'intervention de la [4] comme venant aux droits de la [2], la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 2, 418, 515 et 593 du code de procédure pénale. »
16. Les moyens, rédigés dans les mêmes termes, proposés par les demandeurs sont pris de la violation des articles 2 du Protocole additionnel n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 418 et 515 du code de procédure pénale.
17. Les moyens critiquent l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la constitution de partie civile de la société [4], venant aux droits de la [2], en violation du principe du double degré de juridiction et du principe d'égalité des armes, alors que la fusion-absorption étant intervenue avant le jugement du tribunal correctionnel du 1er février 2017, la société [4], venant aux droits de la [2], qui ne s'est pas constituée partie civile devant cette juridiction, ne pouvait le faire pour la première fois en cause d'appel.
Réponse de la Cour
18. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
19. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
20. Pour déclarer recevable la constitution de partie civile de la société [4] ([4]), l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort de l'extrait K-Bis, versé aux débats, que la [4] est venue aux droits de la [2] par le jeu d'une fusion-absorption le 1er janvier 2016 et qu'en conséquence la [4] peut poursuivre les actions en justice en cours dans lesquelles la [2] était partie.
21. Les juges ajoutent que la constitution de partie civile de la [2] ayant été déclarée recevable par le jugement de première instance, la poursuite de l'instance par la [4] en cause d'appel est recevable.
22. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la [2], qui a fait l'objet d'une fusion-acquisition par la [4], n'avait pas perdu son existence juridique à la date de l'audience du tribunal correctionnel le 1er février 2017, rendant, de ce fait, irrégulière sa constitution de partie civile devant cette juridiction et, partant, celle de la [4], en cause d'appel, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé pour les demandeurs, la Cour :
CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 20 juillet 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Basse-Terre, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et Mme Boudalia, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.