LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 avril 2025
Rejet
M. PONSOT, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 189 F-D
Pourvoi n° S 23-18.208
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 AVRIL 2025
M. [L] [O], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 23-18.208 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [R], domicilié [Adresse 1], en qualité de président de la société l'Oréal,
2°/ à la société L'Oréal, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [O], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [R], de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société L'Oréal, après débats en l'audience publique du 11 février 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 avril 2023), M. [O] a, en sa qualité d'actionnaire de la société L'Oréal et en prévision de l'assemblée générale mixte du 18 avril 2019, posé une question écrite à la direction de la société.
2. Soutenant que la réponse apportée n'était pas satisfaisante, M. [O] a assigné la société L'Oréal et M. [R], son dirigeant, afin, à titre principal, qu'il leur soit ordonné, sous astreinte, de répondre à la question posée, et, à titre subsidiaire, que soit prononcée la nullité des délibérations de l'assemblée générale mixte du 18 avril 2019.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa cinquième branche
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'amendes civiles, alors « que tout actionnaire d'une société anonyme a le droit de poser par écrit des questions auxquelles le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, est tenu de répondre au cours de l'assemblée ; que l'effectivité de ce droit suppose que le juge, saisi par l'actionnaire d'une contestation relative à la réponse apportée par les dirigeants à ses questions, ne se borne pas à un contrôle purement formel de l'existence ou non d'une réponse mais contrôle la réalité effective de la réponse, c'est-à-dire notamment son caractère complet et précis ; qu'en énonçant que le contrôle effectué par le juge ne pouvait porter que sur l'existence ou non d'une réponse et ne pouvait consister en un contrôle portant sur la teneur de la réponse, pour débouter l'exposant de ses contestations tirées notamment de l'imprécision de la réponse apportée à ses questions en se bornant à constater abstraitement l'existence d'une réponse à ses questions, la cour d'appel, qui a refusé d'en exercer un contrôle in concreto, a refusé de rendre ce droit effectif et a violé l'article L. 225-108 du code de commerce, ensemble les articles 6 § 1 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 225-108, alinéa 3, du code de commerce, tout actionnaire d'une société anonyme a la faculté de poser par écrit des questions auxquelles le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, est tenu de répondre au cours de l'assemblée.
6. L'arrêt relève qu'à l'occasion de l'assemblée générale du 18 avril 2019, M. [O] a posé à la direction de la société L'Oréal, sur le fondement de ce texte, la question suivante : « A la page 314 du document de référence, un montant de 2,186,8 millions d'euros est indiqué au titre des prestations de services. Quelle est la ventilation de ce montant entre, d'une part, les redevances de technologie et, d'autre part, les autres prestations de service. Quel est le résultat de ces deux activités ainsi que son évolution par rapport à l'exercice précédent. En tant que de besoin les prestations intra-groupe seront individualisées ».
7. L'arrêt retient que le conseil d'administration de la société L'Oréal a répondu à la première question en indiquant, d'une part, que les redevances sont facturées aux filiales de la société L'Oréal pour plus de la moitié du montant indiqué, et, d'autre part, que les prestations de services, notamment de type marketing, informatique, administratif, sont facturées en totalité aux filiales de la société, et qu'il a répondu à la seconde question en indiquant qu'il n'y a pas deux activités mais une seule, les statuts prévoyant que la société a pour objet unique la fabrication et la vente de cosmétiques, et que son résultat s'est élevé à 2,295 millions d'euros en 2018, en augmentation de 17,8 %.
8. De ces seules constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la société L'Oréal avait répondu aux questions posées par M. [O] et avait, par suite, satisfait aux exigences de l'article L. 225-108, alinéa 3, du code de commerce.
9. Le moyen, qui critique un motif surabondant, ne peut donc être accueilli.
Sur le second moyen, pris en ses première à quatrième branches
Enoncé du moyen
10. M. [O] fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de dommages et intérêts et d'une amende civile pour procédure abusive, alors :
« 1°/ que l'actionnaire, qui pose une question au conseil d'administration afin de s'assurer de l'absence de fraude fiscale par la société ou d'en révéler l'existence pour y mettre fin, poursuit l'intérêt social ; qu'en retenant que l'exposant avait manqué de considération pour l'intérêt social de la société L'Oréal pour en déduire qu'il avait détourné le droit d'information des actionnaires et abusé de son droit d'ester en justice au motif que, devant la juridiction commerciale, il justifiait ses questions au conseil d'administration par des accusations de fraude fiscale contre la société L'Oréal et son président susceptibles d'entacher leur réputation, quand il poursuivait au contraire l'intérêt social en demandant la réponse à ses questions afin de s'assurer de l'absence de fraude fiscale par la société L'Oréal et son président ou d'en révéler l'existence pour y mettre fin, la cour d'appel a violé les articles 1240 du code civil, 32-1 et 559 du code de procédure civile ;
2°/ que l'existence d'un abus du droit d'agir en justice ne s'apprécie pas au regard de procédures distinctes de celle dont il est argué qu'elle est abusive ; que pour condamner l'exposant à des dommages et intérêts et à des amendes civiles pour procédure abusive, la cour d'appel a retenu qu'il avait multiplié les procédures prud'homales, pénales et désormais commerciales à l'encontre de la société L'Oréal et de son président, M. [R], et que, sauf s'agissant de la condamnation de la société au paiement de la somme de 230 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, aucune des procédures engagées par l'exposant n'avait prospéré ; qu'en se déterminant ainsi au regard de procédures distinctes de celle dont il était argué qu'elle était abusive, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et, partant, privé sa décision de base légale au regard des articles 1240 du code civil, 32-1 et 559 du code de procédure civile ;
3°/ que la cour d'appel a non seulement confirmé les condamnations à des dommages et intérêts et à une amende civile prononcées en première instance mais y a ajouté de nouvelles condamnations aux mêmes titres en adoptant les motifs des premiers juges pris de ce que les demandes de communication de documents confidentiels formulées en première instance, sans lien avec l'objet du litige, avaient manifestement pour objectif de déplacer le débat vers des accusations de fraude fiscale présentées dans d'autres procédures et de ce que l'exposant avait demandé l'annulation des 14 résolutions ordinaires et extraordinaires qui avaient été votées ; qu'en se déterminant ainsi, cependant que, d'une part, l'exposant avait abandonné en appel les demandes de communication de documents qu'il avait formulées en première instance et, d'autre part, sa demande d'annulation de l'assemblée générale ordinaire n'était que subsidiaire à sa demande principale tendant à voir ordonner aux intimés de répondre aux questions qu'il avait posées, la cour d'appel a violé les articles 1240 du code civil, 32-1 et 559 du code de procédure civile ;
4°/ que l'abus du droit d'agir en justice suppose la mauvaise foi du demandeur ; que, dans ses conclusions, l'exposant faisait valoir qu'il avait dénoncé de bonne foi des faits qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser un délit de fraude fiscale de la part de la société L'Oréal et que ses affirmations, en tant qu'ancien directeur de cette société spécialisé en fiscalité, étaient corroborées par des personnes extérieures spécialisées en droit en général et en droit fiscal en particulier, à savoir des rapports de commissaires aux comptes de la société L'Oréal, un rapport d'expertise judiciaire et le rejet par les vérificateurs de la documentation des prix de transfert de cette société dans le cadre d'un contrôle fiscal portant notamment sur l'année 2019 (année de la question posée en assemblée générale) ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions de nature à établir la bonne foi de l'exposant et partant à écarter l'existence d'un abus de son droit d'agir, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. L'arrêt retient que M. [O] a multiplié les procédures prud'homales, pénales et commerciales à l'encontre de la société L'Oréal et de son dirigeant et que, hormis la condamnation au paiement d'une somme pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, aucune des procédures engagées par M. [O] n'a prospéré. L'arrêt ajoute que les procédures pénales engagées par M. [O], qui sont susceptibles d'entacher la réputation de la société L'Oréal, l'ont été sur la base d'accusations de fraude fiscale qui n'ont fait l'objet d'aucune poursuite à l'encontre de la société malgré une information judiciaire menée à terme, et que M. [O] persiste devant les juridictions commerciales à soutenir l'existence de tels faits répréhensibles en détournant le légitime droit d'information des actionnaires.
12. La cour d'appel, qui a ainsi caractérisé une attitude fautive de M. [O], a pu en déduire qu'il avait abusé de son droit d'ester en justice.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [O] et le condamne à payer à la société L'Oréal la somme de 3 000 euros et à M. [R] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.