LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 décembre 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 817 F-D
Pourvoi n° X 21-23.035
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [L], épouse [O]
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation en date du14 avril 2022
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 DÉCEMBRE 2023
1°/ M. [D] [V],
2°/ Mme [X] [K], épouse [V],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° X 21-23.035 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2021 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [M] [H], domicilié [Adresse 3],
2°/ à Mme [Z] [L], épouse [O], domiciliée [Adresse 6],
3°/ à la société Jake, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [V], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [H] et de Mme [L], épouse [O], de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société Jake, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 25 mai 2021), par acte notarié du 13 décembre 1996, M. et Mme [V] ont acquis la propriété d'une parcelle cadastrée [Cadastre 9] qui, issue de la division d'un fonds plus grand appartenant alors à M. [O], bénéficie d'une servitude de passage sur les parcelles cadastrées [Cadastre 8] et [Cadastre 1], dont il avait conservé la propriété.
2. Ce dernier a cédé deux autres parcelles, issues de la division du même fonds d'origine, l'une à M. [H], l'autre à M. et Mme [E], respectivement cadastrées [Cadastre 4] et [Cadastre 7].
3. Après avoir procédé à l'élargissement du chemin d'assiette de la servitude sur la base d'un plan établi par un géomètre, en se prévalant d'un accord de tous les propriétaires concernés pour céder une partie de leur propriété à cette occasion, dont celui de M. et Mme [E], M. et Mme [V] ont assigné la société civile immobilière Jake (la SCI), devenue propriétaire de la parcelle [Cadastre 7], suivant acte du 8 juillet 2010, en fixation de l'assiette de la servitude, indemnisation du trouble causé par son utilisation de la servitude, remboursement de la moitié des frais engagés lors de la création du passage et réparation de dégradations de la chaussée imputables, selon eux, à la SCI.
4. La SCI a demandé reconventionnellement que l'expulsion de M. et Mme [V] de l'emprise réalisée par la nouvelle assiette du chemin sur leur parcelle soit ordonnée, outre leur condamnation à lui payer une certaine somme en réparation d'un trouble anormal du voisinage.
5. Par un jugement avant dire droit, le tribunal a invité les demandeurs à appeler à la cause M. et Mme [H], ainsi que M. [O], aux droits duquel est venue, après son décès, Mme [O].
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. et Mme [V] font grief à l'arrêt de dire que la SCI dispose d'une servitude de passage de 4 mètres de largeur grevant le fonds cadastré section [Cadastre 9] leur appartenant, et de rejeter, en conséquence, leur demande d'indemnité de désenclavement à la charge de la SCI, alors « que le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner ; que la cour d'appel a relevé que le titre de propriété de M. et Mme [V] se bornait à rappeler l'existence d'une servitude légale de passage « car la parcelle [Cadastre 9] n'a aucune issue sur la voie publique et doit bénéficier de l'article 682 du Code civil » ; qu'en décidant au contraire que leur acte de propriété serait un titre constitutif d'une servitude conventionnelle de passage dont profiterait la SCI en tant que fonds dominant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 682 et 684 du code civil ensemble les articles 691 et 695 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs.
9. Après avoir relevé, dans ses motifs, que l'acte du 13 décembre 1996 prévoit l'existence d'une servitude de passage expressément justifiée, au visa de l'article 682 du code civil, par l'absence d'issue sur la voie publique de la parcelle [Cadastre 4], puis que l'assiette du passage avait été prise sur les parcelles issues de la division, conformément aux dispositions de l'article 684 du code civil, et retenu, après avoir rappelé les dispositions de l'article 693 du code civil, qu'un passage avait été aménagé pour les acquéreurs des parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 4] par le propriétaire d'origine du tènement, que ce dernier avait souhaité officialiser en 1995 en faisant établir un plan par un géomètre, correspondant à celui annexé à l'acte d'acquisition de M. et Mme [V], et qui matérialise de manière claire et non ambiguë l'assiette du passage bénéficiant à la SCI, l'arrêt, dans son dispositif, dit que le fonds de cette dernière dispose d'une servitude de passage en vertu du titre constitutif du 13 décembre 1996, et en ordonne la publication.
10. En statuant ainsi, par des motifs contraires au dispositif et contradictoires entre-eux, relativement au fondement retenu de la servitude, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M. et Mme [V] font grief à l'arrêt de dire que la SCI dispose d'une servitude de passage de 4 mètres de largeur grevant le fonds cadastré section [Cadastre 9] leur appartenant et d'ordonner leur expulsion ainsi que celle de tous occupants de leur chef, de l'emprise de 201 m² sur le terrain de la SCI occupé illégalement, et de les condamner à remettre les lieux en l'état d'origine, alors « que la cassation à intervenir au titre du premier moyen engendrera une annulation par voie de conséquence, par application de l'article 624 du code de procédure civile, le défaut de servitude conventionnelle au profit de la SCI engendrant le rejet de ses demandes subséquentes. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
12. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
13. Pour ordonner l'expulsion de M. et Mme [V] et les condamner à remettre les lieux en l'état, l'arrêt retient que l'assiette de la servitude de passage grevant la parcelle [Cadastre 9], qui repose sur l'acte du 13 décembre 1996, est fixée par celui-ci à 4 mètres.
14. Il en ressort que la cassation du chef de dispositif disant que la SCI dispose d'une servitude de passage de 4 mètres de largeur grevant le fonds appartenant à M. et Mme [V] en vertu du titre constitutif du 13 décembre 1996, entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif ordonnant leur expulsion de l'emprise de 201 mètres carrés occupée illégalement et ordonnant la remise en état d'origine de cette bande de terrain, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Mise hors de cause
15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause M. [H] et Mme [O], dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande formée par M. et Mme [V] d'indemnité au titre des frais d'entretien et de réparation de la servitude de passage, l'arrêt rendu le 25 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause M. [H] et Mme [L], épouse [O] ;
Condamne la société civile immobilière Jake aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-trois.