LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 478 F-D
Pourvoi n° W 23-22.329
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
M. [F] [G], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 23-22.329 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Mandataire judiciaire associés (MJA), société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], représentée par Mme [I] [X], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière JOD (FIJOD), venant aux droits de la société Assistance intérim,
2°/ à l'Unédic, délégation AGS-CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de Me Ridoux, avocat de M. [G], de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Mandataires judiciaires associés, ès qualités, après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ott, conseiller rapporteur, Mme Ollivier, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciare, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 septembre 2023), M. [G] a été engagé le 16 mars 2009 en qualité d'attaché commercial gestionnaire de compte par la société Tom assistance et a démissionné le 5 mai 2009. Il a été à nouveau engagé par la même société le 7 septembre 2009 selon la même qualification. Sa rémunération était composée d'un salaire fixe et d'une part variable.
2. Le 1er janvier 2015 son contrat de travail a été transféré, avec reprise d'ancienneté, à la société Assistance intérim, société qui tout comme la société Tom assistance était présidée par la société Financière Jod.
3. Promu à compter du 1er janvier 2016 chef d'agence, le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 2 mai 2017.
4. Licencié le 1er septembre 2017, il a saisi le 1er mars 2018 la juridiction prud'homale aux fins de paiement de diverses sommes.
5. Lors de la dissolution de la société Assistance intérim le 22 novembre 2018, il a été procédé à la transmission universelle de son patrimoine à la société Financière Jod à effet du 31 décembre 2018, date à laquelle la société Assistance intérim a été radiée.
6. Par jugement du 5 novembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Financière Jod et a désigné la société MJA, représentée par Mme [X], en qualité de mandataire liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de fixation de ses créances au passif de la société Financière Jod, venant aux droits de la société Assistance intérim, à certaines sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires, des congés payés afférents et de la contrepartie obligatoire en repos, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'à l'appui de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, M. [G] a allégué le fait que sa durée de travail était de 40 heures par semaine et qu'il accomplissait 235 heures supplémentaires sur une année, lesquelles ne lui avaient jamais été payées par l'employeur, ce dont il résulte qu'il présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre ; qu'en le déboutant de sa demande, en l'absence de tout élément de contrôle de la durée du travail produit par l'employeur, au motif qu'il n'établissait pas qu'il avait systématiquement travaillé 40 heures, la cour d'appel qui a fait peser sur le seul salarié la charge de la preuve des heures supplémentaires, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
9. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3, alinéa 1, du même code, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
10. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
11. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
12. Pour rejeter la demande au titre d'un rappel d'heures supplémentaires, après avoir retenu que le forfait convenu entre les parties, ne précisant ni le nombre d'heures incluses ni la rémunération mensuelle correspondante, est inopposable au salarié et ouvre à celui-ci droit à une réclamation au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que le salarié sollicite le paiement d'une somme de 29 493 euros, outre les congés payés, au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail qui prévoit une durée de travail sur la base de 40 heures tandis que ses bulletins de salaire ne mentionnent que 151,67 heures, que le salarié qui estime que le rappel de salaire serait lié aux termes de la clause du contrat de travail ne fournit cependant aucun décompte et que l'inopposabilité revendiquée de cette clause ne permet pas de conclure à défaut de toute production de décompte ou d'éléments suffisamment précis que le salarié a systématiquement travaillé 40 heures en effectuant des heures supplémentaires.
13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes au titre d'un rappel d'heures supplémentaires, des congés payés afférents et de la contrepartie obligatoire en repos n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant le mandataire liquidateur aux dépens, justifié par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [G] de ses demandes de fixation de ses créances au passif de la société Financière Jod aux sommes de 29 493 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, 2 949 euros au titre des congés payés afférents et 1 506 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos, l'arrêt rendu le 14 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société MJA, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Financière Jod, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MJA, ès qualités, et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.