LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 105 F-B
Pourvoi n° G 22-10.169
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
Mme [Y] [X], agissant à titre personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure [U] [K], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° G 22-10.169 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [W], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la Société mutuelle d'assurances du corps de santé français, venant aux droits de la Société le sou médical, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi principal, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi provoqué, le moyen unique de cassation, annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de Me Occhipinti, avocat de Mme [X], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise, de la SCP Richard, avocat de M. [W], et la Société mutuelle d'assurances du corps de santé français, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 07 octobre 2021), le 15 mai 2010, Mme [X] a donné naissance par césarienne à une fille, [U] [K], qui présente une infirmité motrice cérébrale consécutive à une anoxo-ischémie.
2. Le 8 novembre 2012, contestant sa prise en charge lors de la naissance, au sein de la clinique [5], par M. [W], médecin-anesthésiste (le médecin-anesthésiste) ayant pratiqué une rachianesthésie et par M. [M], pédiatre (le pédiatre), Mme [X] a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (la CCI), qui a ordonné successivement deux expertises confiées à des collèges d'experts.
3. Par un avis du 18 décembre 2014, la CCI a estimé qu'il appartenait à la société Le Sou médical, assureur du pédiatre et du médecin- anesthésiste, d'indemniser les préjudices subis à hauteur de 30 % pour le premier et de 50 % pour le second.
4. Les 14 et 15 février 2017, à l'issue d'une indemnisation versée par la société Le Sou médical au titre de la part des préjudices imputés au pédiatre et d'un refus de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) de se substituer à cet assureur pour la part imputée au médecin-anesthésiste, Mme [X] a assigné en responsabilité et indemnisation M. [W], la société Le Sou médical, aux droits de laquelle vient la société Mutuelle d'assurances du corps de santé français (MACSF), et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise (la caisse), qui a demandé le remboursement de ses débours.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
5. Par le moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, Mme [X] et la caisse font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « qu'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant Mme [X] et la caisse faute d'établir avec certitude que les manquements imputables au médecin-anesthésiste avaient fait perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et L. 1142-1 du code de la santé publique. »
6. Par le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, la caisse fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu' en cas de faute imputée au professionnel de santé dans la tenue du dossier médical, la charge de la preuve est inversée et il appartient au professionnel de santé de démontrer que sa faute n'est pas à l'origine du dommage corporel subi par la victime ; qu'ayant constaté qu'en méconnaissance des règles de bonne pratique, le Dr [W] n'avait pas consigné les données de surveillance hémodynamique qui auraient permis de savoir si Mme [X] a présenté une hypotension de nature à expliquer l'anoxo-ischémie dont a souffert son enfant, la cour d'appel se devait d'en déduire qu'il appartenait au médecin-anesthésiste de démontrer que sa faute, résultant de ce qu'il a omis de procéder à un acte de nature à prévenir l'hypotension, n'a pas été à l'origine du dommage et donc d'établir qu'il était exclu que Mme [X] ait présenté une hypotension ; qu'en déboutant toutefois la caisse de ses demandes, au motif que l'hypothèse de l'hypotension n'était pas étayée, la cour d'appel, qui a fait peser la charge et le risque de la preuve sur la victime et la caisse, a violé les articles 1315 ancien, devenu 1353, du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir relevé l'existence de manquements imputables au médecin-anesthésiste pour prévenir le risque d'hypotension artérielle induit par la rachianesthésie, tenant à l'absence de remplissage vasculaire et de consignation des éléments de surveillance hémodynamique, la cour d'appel, se fondant sur les rapports d'expertise, a retenu que l'hypothèse émise par Mme [X], selon laquelle elle aurait présenté une hypotension artérielle sévère qui serait à l'origine de la survenue de l'anoxo-ischémie de l'enfant n'était pas étayée par les données cliniques et les éléments décrits au cours de l'intervention et qu'en l'absence d'indices sérieux en ce sens, elle ne pouvait être admise en se fondant seulement sur des données statistiques.
8. Ayant ainsi écarté l'éventualité que l'infirmité de l'enfant ait été causée par une hypotension artérielle sévère présentée par sa mère, elle n'a pu qu'en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que les manquements du médecin-anesthésiste n'avaient pas fait perdre à l'enfant une chance d'éviter l'anoxo-ischémie.
9. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne Mme [Y] [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit, au pourvoi principal, par Me Occhipinti, avocat aux Conseils, pour Mme [X]
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme [X] de ses demandes ;
ALORS QU'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant Mme [X] de sa demande d'indemnisation faute d'établir avec certitude que les manquements imputables au Dr. [W] avaient fait perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Moyen produit, au pourvoi provoqué, par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise
L'arrêt attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté les demandes formées par la Caisse ;
ALORS QUE, premièrement, en cas de faute imputée au professionnel de santé dans la tenue du dossier médical, la charge de la preuve est inversée et il appartient au professionnel de santé de démontrer que sa faute n'est pas à l'origine du dommage corporel subi par la victime ; qu'ayant constaté qu'en méconnaissance des règles de bonne pratique, le Dr [W] n'avait pas consigné les données de surveillance hémodynamique qui auraient permis de savoir si Mme [X] a présenté une hypotension de nature à expliquer l'anoxo-ischémie dont a souffert son enfant, la cour d'appel se devait d'en déduire qu'il appartenait au Dr [W] de démontrer que sa faute, résultant de ce qu'il a omis de procéder à un acte de nature à prévenir l'hypotension, n'a pas été à l'origine du dommage et donc d'établir qu'il était exclu que Mme [X] ait présenté une hypotension ; qu'en déboutant toutefois la Caisse de ses demandes, au motif que l'hypothèse de l'hypotension n'était pas étayée, la cour d'appel, qui a fait peser la charge et le risque de la preuve sur la victime et la Caisse, a violé les articles 1315 ancien [1353 nouveau] du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien [1231-1 nouveau] du code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant la Caisse de ses demandes, au motif qu'il n'était pas établi avec certitude que les manquements imputables au Dr [W] avaient perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien [1231-1 nouveau] du code civil.
Le greffier de chambre