LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Jean-Bernard,
- Y... Ludo,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 28 novembre 2007, qui, pour banqueroute, les a condamnés, le premier à deux ans d'emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, le second à un an d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Jean-Bernard X... par la SCP Coutard et Mayer, pris de la violation de l'article 121-3 du code pénal, des articles L. 654-2, 4°, L. 654-2-2°, L. 654-2-1°, L. 654-1, L. 654-3, L. 654-5, L. 654-6, L. 653-8, L. 626-1 du code de commerce, des articles 488, 512, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Bernard X... coupable de banqueroute par tenue d'une comptabilité fictive, par détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif et par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, en sa qualité de gérant de fait de la société Christel et l'a condamné à la peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis simple et à une peine de 20 000 euros d'amende avec, au surplus, une mesure d'interdiction des droits civiques, civils et de famille ; l'a déclaré responsable du préjudice subi par la société Christel et l'a condamné au titre des frais irrépétibles réclamés par le liquidateur ;
" aux motifs propres et adoptés que, bien que Jean-Bernard X... conteste la qualité de dirigeant de fait de la SA Christel, après qu'il ait quitté ses fonctions de président du conseil d'administration, il apparaît que, actionnaire majoritaire, il continuait à utiliser la signature bancaire au nom de la société, et percevait un salaire supérieur à sa rémunération en tant que président directeur général ; sa qualité de dirigeant de fait est soulignée, non seulement par Ludo Y... qui prétend n'avoir été qu'un dirigeant « de paille » mais également par le directeur commercial qui affirme que Jean-Bernard X... était son véritable patron, et par le commissaire aux comptes lui-même ; que le changement de dirigeant était essentiellement motivé par l'existence d'une procédure pendante devant le tribunal de commerce de Pontoise à l'encontre de Jean-Bernard X... et que Ludo Y... qui l'a remplacé, était de nationalité belge, dirigeait des sociétés en Belgique et était peu présent en France ; l'ensemble de ces éléments conduit à retenir que Jean-Bernard X... était effectivement co-dirigeant de la société et doit à ce titre répondre des infractions commises dans le cadre de cette gestion (jugement p. 6 et arrêt p. 12) ;
" 1. / alors que, la direction de fait se caractérise par des éléments démontrant la participation à titre personnel à une activité positive de direction générale exercée habituellement et en toute indépendance ; que les juges du fond doivent préciser les éléments de fait d'où se déduit le pouvoir de direction de celui qu'ils qualifient de dirigeant de fait ; que le fait, pour Jean-Bernard X..., salarié de la société Christel, d'avoir utilisé la signature bancaire au nom de la société, de percevoir un salaire supérieur à sa rémunération en tant que président directeur général et d'avoir été considéré par le dirigeant de droit, le directeur commercial et le commissaire aux comptes comme le véritable « patron » ne suffisait pas à caractériser l'activité personnelle et autonome en tant que gérant de fait ; qu'en se déterminant ainsi, sans autrement préciser en quoi le prévenu avait personnellement participé à la conduite de la société Christel de manière active, régulière, indépendante et pris effectivement des décisions quant à sa gestion, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2. / alors que, en statuant par mêmes motifs à l'encontre des deux prévenus, sans caractériser les actes délictueux, personnellement attribués à Jean-Bernard X..., distincts et autonomes de ceux imputés au gérant de droit, Ludo Y..., ni l'intention coupable de Jean-Bernard X..., placé en état de subordination au sein de la société Christel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour Jean-Bernard X... par la SCP Coutard et Mayer, pris de la violation de l'article 121-3 du code pénal, des articles L. 654-2, 4°, L. 654-2-2°, L. 654-2-1°, L. 654-1, L. 654-3, L. 654-5, L. 654-6, L. 653-8, L. 626-1 du code de commerce, des articles 485, 512, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale l'a déclaré responsable du préjudice subi par la société Christel et l'a condamné au paiement des frais irrépétibles du liquidateur ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Bernard X... coupable de banqueroute par tenue d'une comptabilité fictive, par détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif et par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, et l'a condamné à la peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis simple et à une peine de 20 000 euros d'amende avec au surplus une mesure d'interdiction des droits civiques, civils et de famille ;
" aux motifs que Jean-Bernard X... contestait la date de cessation des paiements, telle que déterminée par l'expert commis par le juge commissaire, et concluait au caractère régulier des relations financières entre la société débitrice et les deux sociétés de droit belge, celles-ci ayant pour objet d'assurer le financement des achats de la SA Christel et de rembourser les avances réalisées par les sociétés CLEYF et NCL, inclues leurs commissions ; de même, il considérait que le contrat Intermarché était réel, et pouvait dès lors être comptabilisé, comme il avait été fait ; tous deux devaient être confrontés le 25 mars 2004 ; Jean-Bernard X... maintenait ne pas avoir été dirigeant de fait, même s'il avait eu un rôle important dans la société, Ludo Y..., réaffirmant avoir exercé conjointement avec ce dernier la direction sociale ; concernant le contrat Intermarché, comptabilisé au bilan 1997, tout deux affirmaient ne pas l'avoir signé, le bilan ayant été établi à partir de factures prises en compte informatiquement ; Jean-Bernard X... maintenait que ce contrat avait reçu un commencement d'exécution, mais disait ignorer les raisons ainsi que les circonstances de sa comptabilisation pour l'intégralité de la commande ; les commissions versées à la société NCL correspondaient selon les deux prévenus à des factures, en lien avec une relation de client entre NCL et Christel : la société NCL passait commande, sur les indications de Christel aux fournisseurs asiatiques ; ceux-ci facturaient à NCL, qui refacturait à Christel ; parfois NCL était amenée à procéder à des ventes directes auprès de grandes surfaces, démarchées par le personnel de la SA Christel ; aucun dividende n'a été versé aux associés de NCL, laquelle société a, par la suite, aussi déposé son bilan, de sorte que ses associés soutenaient, auprès des enquêteurs, n'en avoir tiré aucun profit ; tant Jean-Bernard X... que Ludo Y... convenaient, le premier, avoir perçu son salaire de directeur commercial, ramené à 30 000 francs par mois à compter du 1er février 1999, le second, sa rémunération telle que prévue au contrat de consulting, de 24 000 francs par mois, et ce jusqu'au dépôt de bilan ; au vu des éléments du dossier, qui restent constants et des débats ayant eu lieu devant la cour, il n'est pas possible d'envisager, en droit comme en fait, quant à la culpabilité de Jean-Bernard X... et de Ludo Y..., une solution différente de celle des premiers juges qui ont fait une exacte appréciation des circonstances de la cause et une juste appréciation de la loi ; les deux prévenus ont en effet poursuivi une activité commerciale déficitaire au sein de la SA Christel, dont ils étaient les dirigeants, de droit pour ce qui concerne Ludo Y..., de fait pour ce qui concerne Jean-Bernard X..., dans leur intérêt personnel et au détriment des créanciers sociaux, notamment en payant la somme de 26 875 892, 60 francs, dont les justificatifs prêtaient à discussion, alors même qu'ils n'ignoraient pas les pertes financières dégagées par la société, ni l'absence de marge dans les transactions réalisées ; ils n'ont pas hésité à fausser les postes du bilan 1997, pour y faire apparaître au contraire un bénéfice fictif, dans le but de poursuivre l'activité sociale, sans égard aux précédentes difficultés qui les avaient conduit à différer le règlement de la TVA et à en minorer les déclarations de chiffres d'affaires ; par ailleurs, faute de pouvoir disposer de concours bancaires en France, du fait de la situation financière déficitaire de la SA Christel, ils ont mis en place des contrats de consulting, faisant appel à des sociétés de droit belge, qu'ils contrôlaient, pour obtenir de nouvelles lignes de crédit, ce qui caractérise un recours à des moyens ruineux de crédit, dans la mesure où les contrats de consulting s'accompagnaient de versements de commissions, venant dès lors alourdir le coût du crédit ainsi sollicité ; les relations commerciales nouées sous le couvert de ces contrats de consulting permettaient par ailleurs d'assurer, au profit des deux prévenus, une rémunération indirecte pour ce qui concerne Ludo Y..., directe pour ce qui concerne Jean-Bernard X... pendant toute la durée de la société débitrice, sans égard aux pertes constatées, ainsi que de payer certains créanciers par préférence à d'autres ; le résultat de ces diverses manoeuvres a été d'appauvrir la société débitrice dont les dettes ont augmenté, tandis que les actifs subsistant diminuaient dans des proportions inverses, générant de ce fait une insuffisance d'actif hors de proportion avec l'activité poursuivie ; eu égard, d'une part, à la personnalité commerciale douteuse de Jean-Bernard X..., celle de Ludo Y... s'avérant moins marquée, d'autre part, aux circonstances ayant présidé à la commission des faits reprochés, lesquels tendent à s'inscrire dans une recherche menée avec détermination de profit sans égard aux prescriptions légales régissant les activités commerciales et le fonctionnement des sociétés, ni aux droits légitimes des créanciers, les dispositions du jugement relatives aux pénalités seront aggravées ; il sera aussi prononcé à l'encontre des deux prévenus une mesure d'interdiction des droits civils, civiques et de famille ; s'agissant de la constitution de partie civile du liquidateur judiciaire de la SA Christel, c'est à bon droit que le tribunal correctionnel l'a déclaré recevable et dit que les deux prévenus étaient responsables du préjudice subi par celle-ci, leurs agissements ayant contribué à l'insuffisance d'actif constatée à la faveur des opérations de vérification du passif et de réalisation des actifs subsistants, aussi les dispositions civiles du jugement seront-elles confirmées en l'état ;
" alors, d'une part, qu'en matière de banqueroute, l'état de cessation des paiements est une condition préalable à l'exercice de l'action publique, de sorte que pour déclarer ce délit constitué, le juge répressif doit préalablement déterminer la date de la cessation des paiements, sans se borner, sur ce point, à s'en remettre à la décision des juges consulaires ; qu'ainsi, en se bornant à énoncer que le tribunal de commerce a estimé que la société Christel était en cessation des paiements depuis le 31 décembre 1997, sans constater elle-même l'état de cessation des paiements de la société Christel, ni sa date, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;
" alors, d'autre part, que le délit de banqueroute par production d'une comptabilité fictive suppose, pour être constitué, l'existence d'une intention coupable de son auteur ; qu'en l'espèce, il était acquis qu'une facture Intermarché avait été à tort passée dans la comptabilité de la société Christel, la livraison de la marchandise n'ayant pas eu lieu bien que la commande ait été effective ; qu'en se bornant à énoncer que Jean-Bernard X... avait faussé les postes du bilan 1997 pour y faire apparaître un bénéfice fictif sans caractériser l'élément intentionnel de l'infraction, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;
" alors, de troisième part, que le délit de banqueroute par détournement ou dissimulation d'actif suppose l'existence d'une dissipation volontaire d'un élément de patrimoine d'un débiteur en état de cessation des paiements, accompli personnellement par le débiteur ; qu'en se bornant à constater que les relations commerciales nouées sous le couvert de contrats de consulting permettaient d'assurer au profit des deux prévenus, une rémunération directe au profit de Jean-Bernard X... sans égard aux pertes constatées ainsi que de payer certains créanciers par préférence à d'autres, notamment pour la somme de 26 875 892, 60 francs sans préciser en quoi les justificatifs prêtaient à discussion et sans vérifier si les factures versées au débat pour ce montant n'étaient pas afférentes au paiement de marchandises livrées et sans caractériser d'acte de disposition personnellement accompli par Jean-Bernard X... sur l'actif de la société en liquidation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;
" alors, de quatrième part, que les dirigeants de droit ou de fait d'une personne morale en redressement judiciaire ne peuvent être déclarés coupables de banqueroute qu'à la condition d'avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ; que le fait de faire appel à des sociétés dans lesquelles il était intéressé pour obtenir de nouvelles lignes de crédit ne constitue pas un moyen ruineux de se procurer des fonds ; qu'en se bornant, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de Jean-Bernard X..., à relever qu'il avait mis en place des contrats de consulting, faisant appel à des sociétés de droit belge, qu'il contrôlait, pour obtenir de nouvelles lignes de crédit, ce qui caractérisait un recours à des moyens ruineux de crédit, dans la mesure où les contrats de consulting s'accompagnaient de versements de commissions, venant dès lors alourdir le coût du crédit ainsi sollicité (arrêt p. 12, dernier alinéa) sans caractériser en quoi l'emprunt contracté et les commissions versées, dont les conditions ne sont pas précisées, avaient constitué un moyen ruineux de se procurer des fonds, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
" alors, de cinquième part, que le délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux destiné à se procurer des fonds, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, est une infraction intentionnelle qui exige que le prévenu ait conscience d'avoir recouru à un moyen ruineux avec la volonté de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; qu'en se bornant à retenir que Jean-Bernard X... avait mis en place des contrats de consulting, faisant appel à des sociétés de droit belge, qu'ils contrôlaient, pour obtenir de nouvelles lignes de crédit, ce qui caractérisait un recours à des moyens ruineux de crédit (arrêt p. 12, dernier alinéa), sans caractériser l'intention délictueuse de Jean-Bernard X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Ludo Y... par la SCP Piwnica et Molinié, pris de la violation des articles 6-1 et 6-2 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-1 du code pénal, L. 654-1 et L. 654-2 du code de commerce (anciens articles L. 626-1 et L. 626-2 du code de commerce), préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Ludo Y... coupable de banqueroute par tenue de comptabilité fictive ;
" alors qu'en l'état d'une poursuite visant à la fois le dirigeant de droit et le dirigeant de fait, la cour d'appel devait préciser la participation de chacun des prévenus aux faits dont elle était saisie et rechercher en particulier lequel des deux dirigeants avait fait établir le bilan comportant une écriture fictive ; qu'elle devait d'autant plus y procéder qu'elle constatait, tant par motifs propres que par adoption des premiers juges, que Jean-Bernard X..., poursuivi en qualité de dirigeant de fait était, à l'époque des faits reprochés, le seul dirigeant de la société Christel et qu'en omettant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Ludo Y... par la SCP Piwnica et Molinié, pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 du Protocole n° 7 annexé à cette convention, préliminaire, 6 et 593 du code de procédure pénale, ensemble violation de la règle non bis in idem et violation des droits de la défense, défaut de motif, manque de base légale ;
" en ce qu'en violation de la règle non bis in idem, la cour d'appel a déclaré Ludo Y... coupable de banqueroute par dissimulation de tout ou partie de l'actif social et emploi de moyens ruineux pour un même fait : le règlement d'une dette de 26 875 892, 60 francs ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Ludo Y... par la SCP Piwnica et Molinié, pris de la violation des articles 121-1 du code pénal, L. 654-1 et L. 654-2 du code de commerce (anciens articles L. 626-1 et L. 626-2 du code de commerce), 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Ludo Y... coupable de banqueroute par emploi de moyens ruineux ;
" aux motifs que Jean-Bernard X... avait été désigné lors de la constitution de la société Christel aux fonctions de président du conseil d'administration dont il démissionnait le 28 mars 1997 ; que Ludo Y... devait être désigné lors de l'assemblée générale du 28 mars 1997 aux fonctions de président du conseil d'administration en remplacement de Jean-Bernard X... ; que Jean-Bernard X... avait, postérieurement à la nomination de Ludo Y... en qualité de président du conseil d'administration, le 21 mars 1997, continué d'exercer une direction de fait de ladite société, tout en étant devenu le salarié de cette dernière ; qu'il disposait toujours de la signature bancaire, créant des traites, émettant des chèques et donnant des ordres de virement et se livrait à de véritables actes positifs de gestion ; que la SA Christel avait conclu le 17 décembre 1993 avec la société de droit belge CLEYT un contrat de consulting par lequel cette dernière mettait à la disposition de la première ses compétences et expérience en matière d'organisation financière et administrative, ainsi que de soutien commercial au travers de progiciels financiers et de relations bancaires, moyennant la rémunération d'un intervenant, désigné en la personne de Ludo Y..., fixée à 3 000 francs par jour ; qu'un second contrat de consulting était conclu le 26 février 1997 entre la SA Christel et la société de droit belge NCL dans le cadre de laquelle la SA Christel mettait à la disposition de la société NCL trois cadres, dont Jean-Bernard X..., moyennant un tarif journalier allant de 3 000 à 2 000 francs pour le suivi des ventes auprès des clients de la SA Christel en France, dont des grandes surfaces ; en contrepartie, la société NCL offrait son soutien financier pour toute opération d'achat hors CEE ; que sous couvert de ce contrat, alors qu'il devait être établi par les enquêteurs que les deux salariés de la SA Christel n'avaient jamais travaillé pour la société NCL, cette dernière a facturé pour plus de 1 000 000 francs des frais de « commissions d'assistance technique et financière à la SA Christel », laquelle a ainsi payé d'une part, à la société CLEYT une somme totale de 624 109, 56 francs, d'autre part, à la société NCL, dont Jean-Bernard X... et Ludo Y... étaient les associés, la somme totale de 26 875 892, 60 francs, ces paiements dont les justificatifs prêtaient à discussion, l'ayant été au détriment des autres créanciers sociaux ; que par ailleurs, faute de pouvoir disposer de concours bancaires en France, du fait de la situation financière déficitaire de la SA Christel, ils ont mis en place des contrats de consulting, faisant appel à des sociétés de droit belge, qu'ils contrôlaient, pour obtenir de nouvelles lignes de crédit, ce qui caractérise un recours à des moyens ruineux de crédit, dans la mesure où les contrats de consulting s'accompagnaient de versements de commissions, venant dès lors alourdir le coût du crédit ainsi sollicité ; que les relations commerciales nouées sous le couvert de ces contrats de consulting permettaient par ailleurs d'assurer, au profit de deux prévenus, une rémunération indirecte pour ce qui concerne Ludo Y..., directe pour ce qui concerne Jean-Bernard X... pendant toute la durée de la société débitrice, sans égard aux pertes constatées, ainsi que de payer certains créanciers par préférence à d'autres ; que le résultat de ces diverses manoeuvres a été d'appauvrir la société débitrice dont les dettes ont augmenté, tandis que les actifs subsistant diminuaient dans des proportions inverses, générant de ce fait une insuffisance d'actif hors de proportion avec l'activité poursuivie ;
" 1°) alors que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le contrat de consulting du 17 décembre 1993 avec la société de droit belge CLEYT et le contrat de consulting du 26 février 1997 avec la société de droit belge NCL considérés comme des moyens ruineux de se procurer des fonds ont été conclus par la société Christel à une époque antérieure à la désignation de Ludo Y... comme dirigeant de droit (28 mars 1997) et que dès lors la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire et violer ce faisant l'article 121-1 du code pénal, déclarer Ludo Y... coupable en sa qualité de dirigeant de droit, de banqueroute par emploi de moyens ruineux ;
" 2°) alors qu'il ne résulte d'aucun des motifs de l'arrêt que par l'exécution de ces contrats de consulting, à supposer même qu'elle lui soit imputable, Ludo Y... ait eu, en sa qualité de dirigeant de droit à l'époque visée par la prévention, l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que la société Christel, dirigée par Jean-Bernard X..., actionnaire majoritaire et président du conseil d'administration jusqu'au 21 mars 1997, date de sa démission pour devenir cadre commercial, puis par Ludo Y..., a été déclarée en redressement judiciaire le 6 mai 1999, la date de la cessation des paiements ayant été reportée au 31 décembre 1997 ; que Jean-Bernard X... et Ludo Y... sont poursuivis du chef de banqueroute en leurs qualités respectives de dirigeants de fait et statutaire ; qu'il leur est reproché d'avoir, d'une part, fait comptabiliser, dans les livres et comptes de l'exercice clos le 31 décembre 1997, une marge fictive de 2, 5 millions francs sur un contrat de fourniture de matériel qui n'avait été ni signé ni exécuté, d'autre part, pour retarder l'ouverture d'une procédure collective, obtenu des lignes de crédit sous le couvert de contrats rémunérant des prestations fictives, conclus avec les sociétés belges CLEYF et NLC, dans lesquelles les prévenus avaient des intérêts, enfin, soustrait de l'actif social les sommes payées à ces sociétés après la date de cessation des paiements ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de banqueroute par tenue d'une comptabilité fictive, emploi de moyens ruineux et détournement d'actif, l'arrêt prononce par les motifs propres et adoptés partiellement repris aux moyens ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dépourvues d'insuffisance comme de contradiction, qui établissent la qualité de dirigeant de fait de Jean-Bernard X... et la participation personnelle de chaque prévenu aux faits poursuivis, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les infractions retenues et n'a prononcé qu'une seule peine sans méconnaître le principe du non-cumul des qualifications, a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour Jean-Bernard X... par la SCP Coutard et Mayer, pris de la violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles L. 654-2, 4°, L. 654-2-2°, L. 654-2-1°, L. 654-1, L. 654-3, L. 654-5, L. 654-6, L. 653-8, L. 626-1 du code de commerce, des articles 131-26, 131-29, 132-24 du code pénal, des articles 485, 512, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Bernard X... coupable de banqueroute par tenue d'une comptabilité fictive, par détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif et par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, et l'a condamné à la peine de 2 ans d'emprisonnement avec sursis simple et à une peine de 20. 000 euros d'amende avec au surplus une mesure d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, a déclaré Jean-Bernard X... responsable du préjudice subi par la société Christel et l'a condamné au paiement des frais irrépétibles réclamés par le liquidateur ;
" aux motifs qu'eu égard d'une part à la personnalité commerciale douteuse de Jean-Bernard X..., celle de Ludo Y... s'avérant moins marquée, d'autre part aux circonstances ayant présidé à la commission des faits reprochés, lesquels tendent à s'inscrire dans une recherche menée avec détermination de profit sans égard aux prescriptions légales régissant les activités commerciales et le fonctionnement des sociétés, ni aux droits légitimes des créanciers, les dispositions du jugement relatives aux pénalités seront aggravées ; il sera aussi prononcé à l'encontre des deux prévenus une mesure d'interdiction des droits civils, civiques et de famille ;
" alors, d'une part, que l'interdiction des droits civiques, civils et de famille constitue une ingérence directe dans la vie privée du prévenu ; qu'elle n'est pas une mesure discrétionnaire et doit donc faire l'objet d'une motivation particulière ; qu'en prononçant pareille interdiction, quand la prévention, exclusivement liée à un comportement professionnel, n'intéressait pas la vie personnelle ou familiale du demandeur, la cour n'a pas proportionné l'ingérence dont s'agit, en violation des textes visés au moyen ;
" alors, d'autre part, qu'une juridiction du second degré qui confirme un jugement sur la qualification des faits et la déclaration de culpabilité ne peut prononcer une peine complémentaire sans expliquer les raisons d'une appréciation différente de celle des premiers juges ; qu'en condamnant le prévenu à une peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civils et de famille sans s'en expliquer davantage et sans même viser l'article 131-26 du code pénal, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, enfin, qu'une juridiction qui prononce la peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civils et de famille doit, dans ses motifs, en préciser la durée ; qu'en ne précisant pas la durée de l'interdiction des droits civils, civiques et de famille dans les motifs de son arrêt, la cour d'appel a privé sa décision de motifs " ;
Attendu qu'aucune disposition légale ou conventionnelle n'imposant au juge de motiver le choix de la peine complémentaire de l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, dans la limite de la durée prévue par la loi, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Dulin conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Rognon conseiller rapporteur, Mme Thin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;