LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° P 16-19.511 et F 16-19.573 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que l'Association nationale des retraités de la police (l'ANRP) est propriétaire d'un centre d'hébergement qu'elle a donné à bail emphytéotique à l'association Ker Beuz, pour une durée de trente ans ; que l'association Ker Beuz a souscrit auprès de la société SMACL assurances (l'assureur) un contrat d'assurance portant sur les locaux, objet du bail et incluant un volet "responsabilité civile" ; qu'à l'automne 2011, l'association Ker Beuz a cessé d'exploiter le centre qui a été laissé à l'abandon ; que les locaux ayant été endommagés par des dégâts des eaux, l'ANRP a assigné, après expertise, l'association Ker Beuz et l'assureur afin d'obtenir la résiliation judiciaire du bail emphytéotique et l'indemnisation de ses préjudices ;
Sur les moyens uniques des deux pourvois incidents de l'association Ker Beuz, qui sont identiques :
Attendu que l'association Ker Beuz fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'ANRP la somme de 1 501 127,96 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en condamnant l'association Ker Beuz à payer à l'ANRP une somme de 1 501 127,96 euros à titre de dommages-intérêts après avoir condamné l'assureur de l'association Ker Beuz, à payer, au titre de l'action directe, la même somme de 1 501 127,96 euros à l'ANRP, quand l'ANRP sollicitait la condamnation conjointe et in solidum de l'assureur et de l'assuré, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; qu'en condamnant l'association Ker Beuz à payer à l'ANRP une somme de 1 501 127,96 euros à titre de dommages-intérêts après avoir condamné l'assureur de l'association Ker Beuz, à payer, au titre de l'action directe, la même somme de 1 501 127,96 euros à l'ANRP, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé l'article 1149 du code civil ;
Mais attendu que sous couvert des griefs de méconnaissance des termes du litige et de violation de la loi, le moyen dénonce en réalité une omission de statuer sur un chef de demande pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile ;
D'où il suit que le moyen n'est pas recevable ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi principal n° P 16-19.511 de l'assureur annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal n° F 16-19.573 de l'ANRP :
Vu l'article L. 124-3 du code des assurances ;
Attendu que, pour dire que l'assureur ne sera tenu de payer l'indemnité d'assurance qu'après reconstruction ou remplacement sur justification de leur exécution par la production de mémoires et de factures, l'arrêt, après avoir retenu la responsabilité de l'association Ker Beuz, énonce que l'assureur revendique, à raison, les stipulations particulières du contrat qui prévoient que l'indemnité n'est payée qu'après reconstruction ou remplacement sur justifications par la production de mémoires ou factures ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en cas d'assurance garantissant la responsabilité civile de l'assuré, une clause subordonnant le versement de l'indemnité à la reconstruction ou à la reconstitution des biens endommagés est inopposable au tiers lésé dont le droit propre ne peut être atteint dans son existence ou dans son principe par un événement postérieur au sinistre et qui peut disposer librement de l'indemnité due par l'assureur, sans être tenu de l'affecter à un usage déterminé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal n° F 16-19.573 de l'ANRP :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour condamner l'assureur à payer à l'ANRP une indemnité de 1 501 127,96 euros et la débouter de ses plus amples demandes indemnitaires tendant au remboursement des frais de maîtrise d'oeuvre, l'arrêt retient qu'il ressort du rapport d'expertise que les réparations consécutives s'élèvent à la somme de 1 501 127,96 euros TTC ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'ANRP qui soutenait que les travaux de toiture et de réparation des dommages intérieurs nécessitaient par leur ampleur l'intervention d'un maître d'oeuvre d'exécution dont l'expert avait omis de chiffrer le coût, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois incidents de la société Ker Beuz et le pourvoi principal n° P 16-19.511 de la société SMACL assurances ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société SMACL assurances à payer à l'Association nationale des retraités de la police une somme de 1 501 127,96 euros TTC au titre de l'action directe, dit que cette indemnité ne sera payée à l'Association nationale des retraités de la police qu'après reconstruction ou remplacement sur justifications de leur exécution par la production de mémoires ou factures et rejeté le surplus des demandes, l'arrêt rendu le 30 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne l'association Ker Beuz et la société SMACL assurances aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à l'Association nationale des retraités de la police, représentée par Mme X..., ès qualités, la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal n° P 16-19.511 par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société SMACL assurances.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société SMACL Assurances à payer à l'Association nationale des retraités de la police une somme de 1 501 127,96 euros TTC au titre de l'action directe ;
AUX MOTIFS QUE « 4. La SMACL Assurances dénie sa garantie en indiquant que l'association Ker Beuz n'est pas locataire, titulaire d'un bail de droit commun mais emphytéote. Elle soutient que le bail emphytéotique n'est pas soumis aux dispositions du code civil et que les textes des articles L. 451-1 à L. 451-13 du code rural ne sont aucunement visés dans la police d'assurance. Cependant, il ressort de ces textes, notamment de l'article L. 451-3 qu'en l'absence de dispositions prévues au code rural et de la pêche maritime et de conventions contraires, les règles du code civil sont applicables au bail emphytéotiques. En conséquence, l'association Ker Beuz était un locataire au sens du contrat d'assurance » ; (…) 7. Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que les répérations des dommages consécutifs aux sinistres s'élèvent à la somme de 1 501 127,96 euros TTC (1 375 000 + 126 127,96) ; qu'il convient de condamner SMACL Assurances à payer cette somme à l'Association nationale des retraités de la police au titre de l'action directe » ;
ALORS, 1°), QUE, dans ses conclusions d'appel (p. 30 et 31), l'assureur faisait valoir, en s'appuyant sur les stipulations de l'avenant n° 3 du 21 janvier 2010, que sa garantie au titre de l'assurance de responsabilité ne pouvait être acquise qu'à raison des dommages « provenant des locaux assurés », ce dont il déduisait que sa garantie ne pouvait pas être mobilisée à raison de dommages affectant les locaux de l'assuré ; qu'en laissant ce moyen déterminant sans réponse, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, 2°), QUE, dans ses conclusions d'appel (p. 33, 34 et 37), l'assureur faisait valoir qu'en dépit de l'état de délabrement de l'ouvrage, l'expert n'avait pas tenu compte de la vétusté, en méconnaissance des stipulations du contrat d'assurance applicables aussi bien à l'assurance dommages aux biens qu'à l'assurance de responsabilité ; qu'en se bornant à retenir qu'il ressortait du rapport d'expertise judiciaire que les réparations des dommages consécutifs aux sinistres s'élèvent à la somme de 1 501 127,96 euros, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
Moyens produits au pourvoi principal n° F 16-19.573 par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour l'Association nationale des retraités de la police.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR décidé que la SMACL ASSURANCES ne sera tenue de payer l'indemnité d'assurance à l'ANRP qu'après reconstruction ou remplacement sur justification de leur exécution par la production de mémoires ou factures ;
AU MOTIF QUE la SMACL ASSURANCES revendique à raison les stipulations particulières du contrat qui prévoient que l'indemnité n'est payée qu'après reconstruction ou remplacement sur justifications par la production de mémoires ou factures ;
ALORS QUE s'il est loisible à l'assureur de prévoir, en cas d'assurance aux biens, que l'indemnité d'assurance sera affectée à la remise en état du bien ou pour son remplacement, la victime d'un dommage peut disposer librement de l'indemnité qui lui est due par l'assureur, en cas d'assurance garantissant la responsabilité civile de l'assuré, sans qu'il soit au pouvoir de l'assureur d'en subordonner le paiement, par une clause du contrat d'assurance, à la condition qu'elle soit affectée à la réparation du bien endommagé par le fait de son assuré ; qu'en décidant que la SMACL assurances revendique à raison les stipulations particulières du contrat qui prévoient que l'indemnité n'est payée qu'après reconstruction ou remplacement sur justifications de leur exécution par la production de mémoires ou factures , quand une telle restriction était inopposable à l'ANRP dont le droit à réparation est d'ordre public, la cour d'appel a violé les articles L. 124-1 et L. 124-3 du code des assurances.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société mutuelle SMACL assurances à payer à l'ANRP, une indemnité de 1.501.127,96 € T.T.C. et D'AVOIR débouté l'ANRP de ses plus amples demandes indemnitaires tendant au remboursement des frais de maitrise d'oeuvre ;
AUX MOTIFS QU'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que les réparations des dommages consécutifs aux sinistres s'élèvent à la somme de 1 501 127 € 96 TTC ( 1 375 000 + 126 117,96) ; qu'il convient de condamner la société d'assurance SMACL assurances à payer cette somme à l'ANRP, au titre de l'action directe ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce sens ;
ALORS QUE l'ANRP a ainsi rappelé que « l'expert prend toutefois soin de préciser que l'étude réalisée par M. Y... ne correspond[ait] pas à des frais de maîtrise d'oeuvre de réparation, […] que les travaux de toiture et les travaux de réparation des dommages intérieurs nécessitent, compte-tenu de leur ampleur, la présence d'un maître d'oeuvre pour le suivi des travaux » et que « ces frais de maîtrise d'oeuvre que l'expert a omis de chiffrer dans son rapport, peuvent être estimés comme c'est l'usage à 5 %
desdits travaux, soit […] 75.056,40 € TTC » (conclusions, p. 13, in fine) ; qu'en affirmant qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que les réparations des dommages consécutifs aux sinistres s'élèvent à la somme de 1.501.127,96 € T.T.C. (1.375.000 € + 126.127,96 €) sans s'expliquer sur la réparation du préjudice constitué par les frais de maîtrise d'oeuvre, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
Moyen unique produit en termes identiques aux pourvois incidents n° P 16-19.511 et F 16-19.573 par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour l'association Ker Beuz.
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'association Ker Beuz à payer à l'ANRP une somme de 1 501 127,96 € TTC à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE la convention du 12 octobre 2005 prévoyait expressément que l'association Ker Beuz supporterait la charge de toutes les réparations, y compris de gros entretien et de grosses réparations, les signataires de la convention précisant d'ores et déjà que la toiture nécessitait des réparations et que l'association Ker Beuz les ferait effectuer et en supporterait le coût dès la signatures du bail ; qu'or le bail emphytéotique a été signé en 2007 et l'association ne justifie aucunement d'avoir fait réaliser ces travaux ; qu'enfin, un rapport d'expertise d'assurance en date du 10 juin 2010, effectuée suite à un dégât des eaux liées à un orage, signale expressément à l'assuré que l'ancienneté des couvertures et la présence de tuiles gélives nécessitaient l'engagement d'une opération d'entretien significative ; que tel n'a pas été le cas ; que l'assureur reproche à l'ANRP de s'être totalement désintéressée de la surveillance et de l'entretien des lieux à la suite de la décision de l'association Ker Beuz de ne plus les exploiter ; qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que le siège des deux désordres dont les effets se conjuguent sont le gel du circuit de chauffage par suite de la fermeture annuelle du centre fin 2011 sans précautions de mise hors gel des locaux et de vidange de circuit de chauffage et les infiltrations quasi généralisées par les toitures des deux bâtiments ; que comme le relève justement l'expert judiciaire, la mise hors gel d'un circuit de chauffage incombe à un défaut d'opérations normales d'entretien de l'association locataire ; qu'en ce qui concerne les infiltrations par les toitures, l'expert judiciaire indique qu'elles ont apparemment été activées par la tempête Joachim du 18 décembre 2011 et leurs conséquences grandement aggravées par leur découverte tardive un an plus tard le 8 décembre 2012 et par les malfaçons intrinsèques des toitures ; qu'il convient de rappeler que l'état de la toiture est imputable à l'association Ker Beuz qui n'a pas effectué les travaux convenus lors de la signature de la convention de 2005 et du bail emphytéotique de 2007, travaux dont la nécessité a été rappelée par un expert d'assurance en 2010 ; que plus l'association Ker Beuz, même si elle avait décidé de ne plus exploiter les lieux comme village de vacances, se devait en tant que locataire, qui plus est emphytéotique, d'en assurer la surveillance et de maintenir un entretien minimum ; qu'enfin l'ANRP démontre avoir demandé à plusieurs reprises, d'abord le 21 septembre 2011 puis le 25 novembre 2011 et le 29 décembre 2011, la visite des lieux qui ne pouvait être faite qu'avec l'assentiment des dirigeants de l'association Ker Beuz, ces derniers ayant sans cesse différé la visite ; que dans ces conditions, aucune faute n'est imputable à l'association nationale des retraités de la police et la responsabilité du sinistre incombe totalement à l'association Ker Beuz ; qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que les réparations des dommages consécutifs aux sinistres s'élèvent à la somme de 1 501 127,96 € TTC (1 375 000 + 126 127,96) ; qu'il convient de condamner la société d'assurance mutuelle SMACL assurances à payer cette somme à l'association nationale des retraités de la police au titre de l'action directe ; que le jugement déféré sera infirmé en ce sens ; que la SMACL assurances revendique à raison les stipulations particulières du contrat qui prévoient que l'indemnité n'est payée qu'après reconstruction ou remplacement sur justifications de leur exécution par la production de mémoires ou factures ; que l'association Ker Beuz, responsable des sinistres, sera condamnée à payer la même somme à L'ANRP ; que comme le soutient la SMACL assurances, les demandes dirigées contre cette dernière par l'association Ker Beuz n'ont plus lieu d'être dans la mesure où il a été fait droit à l'action directe engagée par l'ANRP ;
1°/ ALORS QU'en condamnant l'association Ker Beuz à payer à l'ANRP une somme de 1 501 127,96 € à titre de dommages et intérêts après avoir condamné la société SMALC, assureur de l'association Ker Beuz, à payer, au titre de l'action directe, la même somme de 1 51 127,96 € à l'ANRP, quand l'ANRP sollicitait la condamnation conjointe et in solidum de l'assureur et de l'assuré, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2 / ALORS QUE les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; qu'en condamnant l'association Ker Beuz à payer à l'ANRP une somme de 1 501 127,96 € à titre de dommages et intérêts après avoir condamné la société SMALC, assureur de l'association Ker Beuz, à payer, au titre de l'action directe, la même somme de 1 51 127,96 € à l'ANRP, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé l'article 1149 du code civil.