LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 2004, MM. [I] et [J] ont constitué la société à responsabilité limitée ERA, dont ils détenaient respectivement 80 % et 20 % du capital et dont M. [I] était le gérant ; que contestant la régularité des rémunérations perçues par M. [I], M. [J] l'a assigné, ainsi que la société ERA, aux fins de constatation de l'absence de décision d'assemblées sur ces rémunérations et de condamnation du gérant au remboursement des sommes perçues à ce titre ; que la société ERA ayant été mise en liquidation judiciaire, la SCP Silvestri Baujet, désignée en qualité de liquidateur (le liquidateur), est intervenue à l'instance ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de remboursement des rémunérations perçues en 2005 par M. [I] alors, selon le moyen, que la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée ne procède pas d'une convention ; qu'en retenant que la rémunération du gérant pour l'année 2005 était valable dès lors que l'assemblée générale « a adopté la convention intervenue entre la société et [V] [I], telle qu'annoncée dans le rapport spécial sur les conventions visées à l'article L. 223-19 du code de commerce, qui indiquait : « monsieur [V] [I] a perçu une somme de 131 885 Euros, à titre de rémunération », la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 223-19 et L. 233-20 du code de commerce et par refus d'application les articles 1134 du code civil et L. 223-18 du code de commerce ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt relève qu'il résulte des statuts de la société ERA que la rémunération du gérant était déterminée par décision collective ordinaire des associés et que chaque année, dans les six mois de la clôture, les associés statuaient sur les comptes de l'exercice ; qu'il constate que les deux associés ont signé le rapport, annexé au procès-verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2006, mentionnant le montant de la rémunération perçue par M. [I] pour l'année 2005 ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la rémunération avait été déterminée par une décision de la collectivité des associés, la cour d'appel en a justement déduit que les dispositions sur la détermination de la rémunération de la gérance avaient été respectées ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur ce moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles L. 223-18 du code de commerce et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée est déterminée soit par les statuts, soit par une décision de la collectivité des associés ;
Attendu que pour rejeter la demande de remboursement des rémunérations perçues par M. [I] à partir de l'année 2006, l'arrêt, après avoir constaté que le gérant n'avait pas régulièrement convoqué puis réuni l'assemblée de la société ERA en vue de faire approuver les comptes des exercices 2006 et suivants, retient, par motifs propres, qu'il n'est démontré ni que le gérant a commis d'autres fautes que celle consistant à n'avoir pas convoqué et réuni l'assemblée pour l'approbation des comptes, ni que de cette attitude sont résultés directement les dommages invoqués par l'autre associé ainsi que par le liquidateur ; qu'il ajoute, par motifs adoptés, que les rémunérations perçues par le gérant après 2005 ne sont pas exagérées au regard des rémunérations approuvées en 2005 ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté qu'il résultait des statuts de la société ERA que la rémunération du gérant était déterminée par décision collective ordinaire des associés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de remboursement de la rémunération perçue par M. [J] au titre des exercices 2006, 2007 et 2008 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 21 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne M. [I] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Ricard, avocat aux Conseils, pour la société Silvestri Baujet, ès qualités
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté la SCP Silvestri Baujet de sa demande tendant à voir constater l'absence de décision des assemblées générales sur la rémunération de M. [I] et à la condamner à rembourser les rémunérations perçues de 2005 à 2008, soit la somme de 636 635 euros avec intérêts à compter du 31 janvier 2001, outre capitalisation ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE
« Sur l'annulation des assemblées générales :
L'examen du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire annuelle du 30 juin 2006 de la S.A.R.L. ERA, comportant la signature des deux associés [E] [J] et [V] [I] révèle que :
- par une première résolution, adoptée à l'unanimité, l'assemblée a approuvé les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2005 et a donné quitus à la gérance,
- par une seconde résolution, adoptée également à l'unanimité, elle a décidé d'affecter le bénéfice net comptable de l'exercice de 29 016 €, à hauteur de 763 € au compte « réserve légale » et du solde de 28 253 € au compte « autres réserves »,
- par une troisième résolution, à laquelle [V] [I] n'a pas participé, elle a adopté la convention intervenue entre la société et [V] [I], telle qu'annoncée dans le rapport spécial sur les conventions visées à l'article L. 223- 19 du code de commerce, qui indiquait: « monsieur [V] [I] a perçu une somme de 131 885 Euros, à titre de rémunération ». (Pièce 3 de [V] [I]).
C'est donc à juste titre que le premier juge a débouté [E] [J] de sa demande d'annulation de cette assemblée après avoir relevé qu'il n'avait pas contesté la signature figurant sur le procès-verbal de l'assemblée et qu'il avait également signé le rapport de la gérance concernant la rémunération, étant précisé en outre que si [E] [J] vise expressément dans ses conclusions « les dispositions de l'article L. 223- 27 du code de commerce», il semble oublier que le dernier alinéa de ce texte énonce : « Toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée. Toutefois, l'action en nullité n'est pas recevable lorsque tous les associés étaient présents ou représentés».
Par ailleurs, pour les exercices suivants clôturés le 31 décembre des années 2006 à 2008, il n'est produit par bordereau de communication de pièces aucun procès-verbal concernant la tenue d'une ou plusieurs assemblées générales de la S.A.R.L. ERA.
C'est donc également avec raison que les premiers juges ont débouté l'appelant de ses demandes d'annulation concernant « les autres assemblées » dont la tenue attestée par la production de procès-verbaux n'est pas établie.
Ainsi la décision déférée doit être confirmée en ce que les premiers juges ont débouté l'appelant de ses demandes d'annulation d'assemblées générales.
Sur la responsabilité du gérant et les demandes des intimés :
En vertu de l'article 9 du Code de procédure civile: "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention".
Et, en application de l'article L. 223 - 22 alinéa 1er du code de commerce :
« Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. ».
Celui qui engage la responsabilité du gérant et demande l'indemnisation d'un dommage doit donc rapporter la preuve d'une ou plusieurs fautes du gérant ayant été à l'origine directe du préjudice qu'il invoque.
En l'espèce, la cour est saisie de deux demandes formulées au nom de la société :
- l'une, par le liquidateur à la liquidation judiciaire de la société, qui réclame la condamnation de l'ancien gérant à lui payer la somme de 636 635 € en principal correspondant au remboursement des rémunérations perçues de 2005 à 2008,
- l'autre, par l'appelant, qui réclame non seulement le remboursement par l'ancien gérant de l'intégralité des rémunérations et primes perçues pendant la même période, mais encore, sa condamnation à payer à la société la somme de 200 000€.
En outre, elle est saisie d'une demande formulée par l'appelant "à titre personnel" concernant la somme de 150 000 € réclamée au gérant à titre de dommages et intérêts pour« faute commise par lui dans ses fonctions ».
Il ne peut être sérieusement contesté que le gérant n'a pas régulièrement convoqué puis réuni l'assemblée de la S.A.R.L. ERA en vue de faire approuver les comptes des exercices clôturés à compter du 31 décembre 2006, et ce, dans le délai de six mois de leur clôture.
Pour autant, il appartient à l'associé demandeur et au liquidateur à la liquidation judiciaire de la société d'établir la réalité des dommages qu'ils invoquent et de prouver qu'ils résultent directement de cette faute du gérant.
Alors qu'il n'est produit aucun extrait du registre du commerce et des sociétés, aucun bilan, aucun compte de résultats, aucune des décisions rendues relativement à la procédure de liquidation judiciaire de la société, qu'il est fait état de conventions passées par la société, non seulement avec l'ancien gérant, mais encore avec l'autre associé, que les diverses correspondances échangées entre les deux associés révèlent d'abord la volonté de [E] [J] de céder ses parts sociales et l'existence d'un important contentieux concernant la valeur de ces parts, que la cour reste dans l'ignorance du mode de fonctionnement de la société pendant la période considérée et des conditions ayant conduit le tribunal de commerce à ouvrir une procédure de liquidation judiciaire, il n'est pas démontré que le gérant a commis d'autres fautes que celle concernant l'absence de convocation et de réunion de l'assemblée générale pour approuver les comptes, et qu'en outre, de cette attitude il en soit résulté directement les dommages invoqués par les intimés.
En conséquence, ils doivent être déboutés de leurs réclamations qui ne sont pas fondées, y compris de celle concernant les conventions réglementées, et le jugement déféré doit ici être confirmé » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE
« L'article 20 des statuts de la SARL ERA dispose que « Chaque gérant a droit à traitement fixe ou proportionnel déterminé par décision collective ordinaire des associés, il a droit en outre au remboursement de ses frais de représentation et de déplacement ».
L'article 22 des statuts de la SARL ERA stipule que « chaque année dans les six mois de la clôture de l'exercice, les associés sont réunis par la gérance pour statuer sur les comptes de l'exercice et l'affectation des résultats.
Au moyen de décisions ordinaires, les associés peuvent en outre, à toute époque se prononcer sur toutes autres propositions concernant la société, pourvu qu'elles n'emportent pas modification ma statuts ou approbation de transmission de pans sociales soumise à agrément.
Les décisions collectives ou ordinaires doivent, pour être valables, être adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des pans sociales. »
Le Tribunal note que Monsieur [S] [I] produit au débat le procès-verbal d'assemblée générale ordinaire de la SARL ERA du 30 juin 2006 ayant statué sur les comptes clos au 31 décembre 2005. Ce procès-verbal est signé par les deux associés et même si dans ses conclusions Monsieur [E] [J] soutient d'une manière générale que les assemblées n'ont jamais eu lieu ci qu'il n'a jamais été convoqué à aucune assemblée, il ne conteste pas, dans ses conclusions, sa signature sur ce procès-verbal.
Au terme de ce procès-verbal, le Tribunal relève que la SARL ERA a réalisé un chiffre d'affaires de 2 752 382 € pour un résultat de 29 016 € que les associés ont décidé d'affecter au compte « réserve légale » pour 763 € et au compte « titre réserve » pour 28 253 €.
Par ailleurs, au terme du rapport et la gérance sur les opérations visées par les articles L 223-19 du Code de Commerce et 35 du décret du 23 mars 1953 annexé au procès-verbal d'assemblée du 30 juin 2006, le Tribunal note, d'une part, qu'il est indiqué que Monsieur [V] [I] a perçu une rémunération de 131 885 € et que, d'autre part ce rapport est signé par les deux associés dont Monsieur [E] [J].
Par conséquent, le Tribunal dira que pour les comptes 2005, la gérance a respecté les dispositions statutaires de la SARL ERA tant sur la tenue des assemblées que sur la détermination de la rémunération de la gérance.
Pour les autres assemblées, le Tribunal remarque qu'il n'y a, dans les dossiers respectifs des parties, aucun document se rapportant aux dites assemblées mais le Tribunal observe que Monsieur [E] [J] a été convoqué à une assemblée générale ordinaire le 23 octobre 2007 ayant pour objet de statuer sur les comptes de la SARL ERA clos au 31 décembre 2006.
Cette assemblée était prévue le 10 novembre 2007 à 10h00 au siège de la société. Monsieur [E] [J] s'est bien présenté à cette assemblée mais pour des raisons obscures qui lui appartiennent, il a quitté cette assemblée en indiquant dans un courrier du 13 novembre 2007 qu'il avait été mis à la porte alors que le 10 novembre 2007, jour de l'assemblée, Monsieur [V] [I] lui adressait un courrier en faisant remarquer à Monsieur [E] [J] qu'il avait refusé de signer la feuille de présence prétextant qu'il ne s'agissait pas d'une assemblée mais d'une simple réunion d'information.
Dans un courrier du 14 décembre 2007 adressé à Monsieur [V] [I], Monsieur [E] [J] explique finalement qu'il a quitté l'assemblée en raison de la présence de Maître [Z] et qu'il n'était pas assisté de son avocat. Auparavant Monsieur [E] [J] a envoyé plusieurs courriers à Monsieur [V] [I] lui demandant de nombreuses explications sur les comptes de la SARL ERA.
Le même jour (14 décembre 2007), Monsieur [E] [J] adressait un courrier à Maître [Z] en ces termes « C'est vous qui avez provoqué mon départ de la réunion du 10 novembre en tentant de me faire signer une feuille de présence. Je comprends très bien que ma signature aurait permis de valider l'assemblée. »
A l'examen de tout ce qui précède le Tribunal dira que conformément à l'article 22 des statuts de la SARL ERA, une assemblée a bien été convoquée par la gérance le 23 octobre 2007 pour le 10 novembre 2007. Que cette assemblée, bien que tardive, aurait dû permettre à Monsieur [J] de faire valoir ses droits d'associé mais que celui-ci a choisi de ne pas assister à cette assemblée.
Contrairement à ce que Monsieur [E] [J] avance dans son courrier du 14 décembre 2007 adressé à l'avocat de la SARL ERA, le fait que celui-ci émarge la feuille de présence ne l'engageait pas sur la validité de l'assemblée mais ne faisait que prouver sa présence. Si Monsieur [E] [J] émit resté à cette assemblée, il aurait pu faire valoir son droit de vote lors dc la mise aux voix de chaque résolution.
Cependant le Tribunal relève que le texte des résolutions de l'assemblée du 10 novembre 2007 même sous la sous seule signature de Monsieur [V] [I], n'est pas produit au débat et dira qu'il ne peut prononcer la nullité ou la validité d'un texte qui n'existe pas.
Pour les autres assemblées devant statuer sur les comptes 2007 et 2008, le Tribunal observe, au vu des correspondances échangées après le mois de novembre 2007, que tant Monsieur [V] [I] que Monsieur [E] [J] ne font allusion à une quelconque programmation des dites assemblées. Les seules préoccupations des parties étant la cession des parts sociales de Monsieur [E] [J] et l'organisation de la distribution des bénéfices pour les exercices 2005, 2006 et 2007.
Quant aux rémunérations de Monsieur [V] [I], le Tribunal rappellera que pour l'exercice 2005, celles-ci ont été approuvées par l'assemblée à hauteur de 131 885 €. Pour les autres exercices, le Tribunal note que les rémunérations de Monsieur [V] [I] se situent en dessous de celles perçues en 2005 et bien qu'aucune assemblée, après 2005, n'ait statué sur les dites rémunérations, le Tribunal dira que celle-ci ne sont pas exagérées au regard des rémunérations approuvées en 2005.
En conséquence, le Tribunal déboutera Monsieur [E] [J] et la SCP SILVESTRI BAUJET es qualités de toutes leurs demandes fins et conclusions ».
1°) ALORS QUE la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée ne procède pas d'une convention ; qu'en retenant que la rémunération du gérant pour l'année 2005 était valable dès lors que l'assemblée générale « a adopté la convention intervenue entre la société et [V] [I], telle qu'annoncée dans le rapport spécial sur les conventions visées à l'article L. 223- 19 du code de commerce, qui indiquait:
« monsieur [V] [I] a perçu une somme de 131 885 Euros, à titre de rémunération », la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 223-19 et L. 233-20 du code de commerce et par refus d'application les 1134 du code civil et L. 223-18 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée est déterminée soit par les statuts, soit par une décision de la collectivité des associés ; qu'aux termes de l'article 20 des statuts de la société Era, « chaque gérant a droit à un traitement fixe ou proportionnelle déterminé par décision collective ordinaire des associés » ; qu'il ressortait des propres constations des juges du fond qu'après 2005, aucune assemblée n'avait statué sur les rémunérations de M. [I] (jugement, p. 7, 3ème §) ; qu'en déboutant la SCP Silvestri Baujet de sa demande de remboursement des rémunérations irrégulièrement perçues par M. [I], au motif inopérant que les rémunérations litigieuses n'étaient pas exagérées au regard des rémunérations approuvés en 2005, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1134 du code civil et L. 223-18 du code de commerce.