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31/03/2020 | FRANCE | N°19-82171

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 31 mars 2020, 19-82171


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° J 19-82.171 FS-P+B+I

N° 606

CK
31 MARS 2020

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 MARS 2020

M. X... E... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 26 février 2019, qui, pour blessures involontaires et infractions au code

de la consommation et au code rural, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et 50 000 euros d'ame...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° J 19-82.171 FS-P+B+I

N° 606

CK
31 MARS 2020

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 MARS 2020

M. X... E... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 26 février 2019, qui, pour blessures involontaires et infractions au code de la consommation et au code rural, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et 50 000 euros d'amende, à une interdiction professionnelle définitive, à une interdiction définitive de gérer une entreprise commerciale, a ordonné une mesure de confiscation et une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de M. X... E..., les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. L... P..., Mme B... M... et en qualité de représentants légaux de J... P..., Mme O... C... et en qualité de représentant légal de D... Q..., parties civiles, UFC Que choisir", la société CHUBB European Group SE, parties civiles et de Me Balat, avocat de la SNC LIDL, partie civile, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 mars 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, M. Pers, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, MM. Bellenger, Lavielle, Mme Goanvic, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Méano, M. Leblanc, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Au mois de juin 2011, seize enfants du département du Nord ont présenté les symptômes d'un syndrome hémolytique et urémique (SHU), dû à la bactérie E-coli O157H7, susceptible d'engendrer une insuffisance rénale aigüe. Les investigations ont établi qu'ils avaient consommé de la viande hachée élaborée le 11 mai 2011 par la Société économique bragarde (société SEB) dont M. X... E... était le gérant depuis sa fondation en 1966 et vendue à la société LIDL. Elles ont également révélé que, sur les 13 unités de production dénommées "mêlées" fabriquées ce jour-là, seules 3 avaient fait l'objet d'une recherche en E-coli dont l'une avait donné un résultat non satisfaisant de 770 E-coli par gramme, dépassant le seuil de déclenchement de la recherche d'E-coli O157H7, fixé à 150 par gramme en application du plan de maîtrise sanitaire validé par l'administration (PMS 2). L'enquête a encore mis en évidence qu'aucune recherche de cette nature n'avait été effectuée, seules de nouvelles analyses en E-Coli ayant été réalisées, en application d'un PMS 3 jamais approuvé par l'administration.

3. A l'issue de l'information judiciaire ouverte sur ces faits, M. E... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir, par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, causé une incapacité totale de travail supérieure à trois mois au préjudice d'un enfant et une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois au préjudice de quinze autres enfants. Il a également été poursuivi notamment pour tromperie sur les qualités substantielles de steaks hachés dont la consommation est dangereuse pour la santé de l'homme, pour mise sur le marché de produits d'origine animale dangereux et détention de denrées servant à l'alimentation de l'homme falsifiées, corrompues ou toxiques nuisibles à la santé de l'homme.

4. Les juges du premier degré l'en ont déclaré coupable. Le prévenu, le ministère public et plusieurs parties civiles ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles 121-3, 222-19, 222-20 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. E... coupable de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois ou n'excédant pas trois mois, par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, puis l'a condamné aux peines de trois ans d'emprisonnement, dont une année avec sursis, et 50 000 euros d'amende, ainsi qu'à une interdiction d'exercer une activité dans la filière bovine et à une interdiction de gérer, les deux à titre définitif, puis l'a déclaré responsable des préjudices subis par les parties civiles et l'a condamné à les indemniser alors :

« 1°/ que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; que le règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002, qui établit les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, notamment en matière de sécurité des denrées alimentaires, constitue une norme générale et n'institue dès lors pas une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; qu'en déclarant néanmoins M. E... coupable de blessures involontaires, motif pris qu'il avait violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement CE n° 178/2002, en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux, sans faire réaliser les analyses qui s'imposaient, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

2°/ que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; que le règlement, au sens de l'article 121-3 du code pénal, s'entend des actes des autorités administratives à caractère général et impersonnel ; qu'en déclarant néanmoins M. E... coupable de blessures involontaires, motif pris qu'il n'avait pas respecté le plan de maîtrise sanitaire n° 2 de la Société SEB, pour en déduire qu'il avait violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement (CE) n° 178/2002, en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux, sans faire réaliser les analyses qui s'imposaient, après avoir exactement énoncé qu'un Plan de Maîtrise Sanitaire ou une autorisation individuelle ne pouvaient constituer une loi ou un règlement au sens de l'article L. 121-3 du code pénal, la cour d'appel a voué sa décision à la cassation. »

Réponse de la Cour

8. Pour confirmer le jugement des chefs des délits de blessures involontaires ayant causé une incapacité totale de travail de plus de trois mois et des incapacités totales de travail de moins de trois mois, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il convient de rechercher si le prévenu a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, c'est à dire un acte administratif à caractère général et impersonnel, ce qui ne peut être le cas d'un plan de maîtrise sanitaire (PMS) ou d'une autorisation individuelle.

9. A cette fin, les juges relèvent qu'en matière de viandes hachées, le règlement (CE) 853/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 prévoit que les matières premières ne peuvent provenir que d'ateliers de découpe agréés. Ils précisent que l'agrément délivré par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations suppose que le professionnel a mis en place des contrôles de conformité des produits qu'il réceptionne et qu'il fabrique en établissant un plan de maîtrise sanitaire (PMS) qui doit obligatoirement prendre en compte le risque lié à la contamination par la bactérie E-Coli et par la bactérie E-Coli 0157H7 et être approuvé par l'administration.

10. Après avoir également rappelé les principales dispositions du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002, ils ajoutent que le PMS est un élément essentiel d'une entreprise alimentaire, en particulier de fabrication de viande hachée surgelée, et que, le 11 mai 2011, le PMS 2 validé par l'administration n'a pas été respecté, aucune analyse des matières premières n'ayant eu lieu et aucune analyse en E-Coli 0157H7 des produits finis n'ayant été pratiquée, alors qu'elle s'imposait à la suite de la découverte, sur une partie de ces produits, d'un taux préoccupant de 770/g d'E-Coli « classique ».

11. La cour d'appel en conclut qu'en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux sans faire réaliser les analyses qui s'imposaient, le prévenu a violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement (CE) n° 178/2002.

12. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.

13. En effet, constituent des obligations particulières de prudence ou de sécurité les prescriptions des articles 14, 17 et 19 du règlement CE n° 178/2002 du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2002 aux termes desquels notamment, d'une part, lorsqu'une denrée alimentaire dangereuse fait partie d'un lot ou d'un chargement de denrées alimentaires de la même catégorie ou correspondant à la même description, il est présumé que la totalité des denrées alimentaires de ce lot ou chargement sont également dangereuses, sauf si une évaluation détaillée montre qu'il n'y a pas de preuve que le reste du lot ou du chargement soit dangereux, d'autre part, dans une telle situation l'exploitant doit retirer les denrées du marché, enfin, les exploitants du secteur alimentaire veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions.
14. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

15. Le moyen est pris de la violation des articles 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, 388-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, 512 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la mise en cause de la société CHUBB European Group SE et, par voie de conséquence, la mise en cause de Maître S... T... , pris en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société Economique Bragarde (SEB), alors « que la personne morale répond des fautes dont elle s'est rendue coupable par ses organes et en doit réparation à la victime ; que devant la juridiction répressive saisie de poursuites pour homicide ou blessures involontaires, l'assureur du prévenu ou de la personne civilement responsable peut intervenir ou être mis en cause en tant qu'assureur de responsabilité ; qu'en déclarant irrecevable la mise en cause de la Société société CHUBB European Group SE et, par voie de conséquence, celle de Maître T... , pris en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société économique bragarde (SEB), motifs pris que cette demière n"avait pas été poursuivie, que seul M. E..., son gérant, était prévenu de l'infraction de blessures involontaires et que la société CHUBB European Group SE justifiait avoir consenti un contrat d'assurance de responsabilité civile à la seule Société économique bragarde (SEB), bien que la mise en cause de la société CHUBB European Group SE ait été recevable dès lors que la Société économique bragarde (SEB) était civilement responsable des dommages causés par M. E..., la cour d'appel a exposé sa décision à la cassation. »

Réponse de la Cour

17. Le prévenu est sans qualité pour contester la mise hors de cause de l'assureur de la personne morale qu'il dirige et, par voie de conséquence, du mandataire liquidateur de la dite personne morale.

18. Dès lors, le moyen est irrecevable.

19. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. E... devra payer à la société Chubb en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. E... devra payer à l'UFC Que Choisir en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. E... devra payer à la société LIDL en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. E... devra payer à la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat à la Cour, en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et 618-1 du code de procédure pénale.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente et un mars deux mille vingt.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 19-82171
Date de la décision : 31/03/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 26 février 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 31 mar. 2020, pourvoi n°19-82171, Bull. crim.
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : Me Balat, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Richard

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.82171
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