LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, en sa rédaction alors en vigueur ;
Attendu qu'après avoir, par acte du 16 mars 2004, assigné en référé, aux fins de désignation d'un expert judiciaire, la société Sanofi Pasteur, venant aux droits de la société Institut Mérieux, fabricant du vaccin contre la poliomyélite qui lui avait été administré, sous la forme de doses buvables, en trois prises, les 16 février, 16 mars et 6 avril 1974, Mme X... a introduit à l'encontre de cette société, par acte du 8 septembre 2006, une action tendant à la réparation de ses préjudices consécutifs à l'atteinte de poliomyélite apparue peu de temps après la deuxième vaccination et qu'elle imputait au vaccin ;
Attendu que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Sanofi Pasteur, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le délai de prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction alors en vigueur, ne pouvait être invoqué pour une telle action diligentée par un particulier contre un laboratoire pharmaceutique et relative au caractère défectueux du produit et non au contrat de vente lui-même, la qualité de commerçant de l'institut Mérieux, de la société Sanofi Pasteur ou du pharmacien d'officine n'ayant dès lors pas à être prise en considération, et, par motifs propres, que les dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce ne trouvaient pas à s'appliquer en l'absence de contrat de vente entre les parties, de sorte qu'était applicable la prescription trentenaire de droit commun ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, quand l'article L. 110-4 du code de commerce, qui régit la prescription des actions introduites par les non-commerçants à l'encontre des commerçants et fondées sur les obligations nées entre eux à l'occasion du commerce, ne fait aucune distinction selon que ces actions sont de nature contractuelle ou de nature délictuelle ni selon qu'il s'agit d'actions en responsabilité ou d'actions en garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 mai 2011 par la cour d'appel de Douai ;
Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare prescrite l'action introduite par Mme X... contre la société Institut Mérieux aux droits de laquelle se trouve la société Sanofi Pasteur ;
Condamne Mme X... aux dépens exposés devant les juges du fond et de la Cour de cassation ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils, pour la société Sanofi Pasteur
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement ayant rejeté l'exception de prescription relative à l'action diligentée par Mme Céline X..., épouse Y... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE Céline X..., épouse Y..., soutient à juste titre que la prescription applicable à l'action qu'elle diligente contre la société Sanofi Pasteur sur le fondement contractuel est celle reprise à l'article 2262 ancien du Code civil ; que c'est en effet à tort que la société Sanofi Pasteur lui oppose :
- les dispositions de l'article 1386-16 du code civil, lesquelles ne sont pas applicables à un vaccin dont la mise en circulation est antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi n°98-389 du 19 mai 1998,
- un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 24 janvier 2006 dès lors qu'il a été rendu au visa des articles 1147 et 1384 alinéa 1er du Code civil interprétés à la lumière de la directive CEE n°85-374 du 24 juillet 1985, l'accident en cause étant survenu en 1992, car cette jurisprudence ne saurait être appliquée au cas d'espèce, tant la mise en circulation du vaccin que la poliomyélite dont Céline X... a été atteinte étant antérieure à ladite directive,
- les dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce, en l'absence de contrat de vente entre les parties ;
Que, dans ces conditions, la prescription trentenaire a commencé à courir à compter du 29 avril 1974 ; que c'est à cette date en effet que d'une part le diagnostic de poliomyélite a été posé par le docteur Emile Z... et que d'autre part la question de son imputabilité au vaccin s'est posée, le médecin traitant de Céline X... demandant par courrier à sa mère de lui indiquer le jour d'achat à la pharmacie du vaccin administré le 16 mars 1974 en vue de retrouver le lot du vaccin ; que dès lors que ce délai a été interrompu par l'assignation en référé délivrée par Céline X... épouse Y... le 16 mars 2004 à l'encontre de la société Aventis Pasteur, aux droits de laquelle se trouve à ce jour la société Sanofi Pasteur, jusqu'au 5 novembre 2004, date du dépôt du rapport de l'expert, que le nouveau délai qui a commencé a ensuite été interrompu par l'assignation au fond en date du 8 septembre 2006, l'action de Céline X... épouse Y... n'est pas prescrite (cf. arrêt, p. 4 § 8 à 12 et p. 5 § 1) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la prescription résultant de l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction ancienne, selon laquelle les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes, ne saurait être invoquée en ce qui concerne la présente action diligentée par un particulier contre un laboratoire pharmaceutique et relative au caractère défectueux d'un produit et non au contrat de vente luimême, la qualité de commerçant de l'Institut Mérieux, de la société Sanofi Pasteur ou du pharmacien d'officine n'ayant dès lors pas à être prise en considération ;qu'il convient en conséquence de retenir la prescription trentenaire applicable aux actions en responsabilité contractuelle (cf. jugement, p. 6 § 7 et 8) ;
1°) ALORS QUE, l'obligation de réparer est de nature extracontractuelle chaque fois qu'il n'existe aucun lien contractuel entre la victime et le prétendu responsable ; qu'en l'espèce, la société Sanofi Pasteur contestait la qualification contractuelle de la responsabilité invoquée par Mme Y... en soutenant que cette responsabilité relevait du régime jurisprudentiel applicable aux produits mis en circulation avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 consacrant une responsabilité extracontractuelle (cf. concl., p. 15 § 6 et 7) ; qu'après avoir retenu « l'absence de contrat de vente entre les parties » (cf. arrêt, p. 4 § 12), ce dont il résultait que la responsabilité du fabricant ne pouvait être qu'extracontractuelle et soumise à la prescription décennale applicable entre commerçant et noncommerçant, la cour d'appel a néanmoins considéré que l'action exercée par Mme Y... reposait sur un fondement contractuel (cf. arrêt, p. 4 § 8 ; cf. égal. jugement, p. 6 § 8) ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1147 et par refus d'application l'article 1382 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE, EN TOUT ETAT DE CAUSE, la prescription décennale en matière commerciale concerne les relations entre commerçants, et entre commerçants et non-commerçants et s'applique quelle que soit la nature ou le caractère de l'obligation en cause ; qu'en conséquence, se prescrit par dix ans l'obligation accessoire de sécurité due par un commerçant à l'utilisateur final du produit qu'il fabrique, par exemple un vaccin ; que la cour d'appel comme le tribunal ont considéré que l'action exercée par Mme Y... était de nature contractuelle (cf. jugement, p. 6 § 8 ; arrêt, p. 4 § 8) tout en écartant l'application de la prescription décennale en matière commerciale au motif propre de l'absence de contrat de vente entre les parties (cf. arrêt, p. 4 § 12) et au motif adopté de l'absence de lien entre l'action fondée sur le défaut du produit et le contrat de vente lui-même (cf. jugement, p. 6 § 7) ; qu'en se prononçant ainsi par des motifs impropres à écarter la prescription décennale applicable aux obligations entre commerçant et non-commerçant, la cour d'appel a violé les articles 2262 ancien du code civil et L. 110-4 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir condamné la société Sanofi Pasteur à payer à Céline X..., épouse Y..., les sommes de 100.000 euros au titre de l'incidence professionnelle,10.000 euros au titre des frais de véhicule adapté,33.860 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,20.000 euros au titre des souffrances endurées,61.500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,10.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, 30.000 euros au titre du préjudice d'agrément,1.000 euros au titre du préjudice moral et 10.000 euros au titre du préjudice spécifique consécutif aux accouchements par césarienne.
AUX MOTIFS QU'à la date des faits, tout producteur est responsable du dommage causé par son produit à l'égard d'une victime et il suffit à celle-ci de rapporter la preuve par des présomptions graves, précises et concordantes de l'imputabilité de la maladie à ce produit ; qu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes d'imputabilité de la poliomyélite à la vaccination antipoliomyélitique du 16 mars 1974, alors même que le virus n'avait pu être isolé chez l'enfant postérieurement au diagnostic de la maladie ; que l'expert a en effet relevé que les premiers signes de la maladie chez Céline X... qui était en bonne santé avant l'administration du vaccin, en dehors d'une banale angine récente, sont apparus une dizaine de jours plus tard, alors que l'incubation de la poliomyélite varie entre deux et dix jours après une phase pré-paralytique de quelques jours et que l'hypothèse d'une poliomyélite de rencontre était sinon impossible à cette date du moins très improbable, ce que ni les données chiffrées ni les données médicales produites par l'intimée ne contredisent (cf. arrêt, p. 6 § 1 et 2) ;
1°) ALORS QUE la responsabilité d'un fabricant du fait d'un produit défectueux est subordonnée à la preuve préalable du lien de causalité entre le dommage et le produit ; que la preuve de l'existence de ce lien de causalité ne peut être rapportée, le cas échéant, par présomptions au moyen d'un raisonnement par exclusion qu'en l'absence de toute autre cause possible de dommage ; qu'en l'espèce, en l'état d'une incertitude sur l'origine de la poliomyélite développée par Mme Y..., l'hypothèse d'une poliomyélite sauvage dite de rencontre non seulement ne pouvait être exclue, mais en outre était la plus probable ; qu'il en résultait l'absence de causalité directe et certaine puisqu'il n'était pas établi que la poliomyélite vaccinale était la seule cause possible du dommage ; qu'en retenant une causalité entre la maladie contractée par Mme Y... et le vaccin litigieux, aux motifs que « l'expert a en effet relevé que les premiers signes de la maladie chez Céline X... qui était en bonne santé avant l'administration du vaccin, en dehors d'une banale angine récente, sont apparus une dizaine de jours plus tard alors précisément que l'incubation de la poliomyélite varie entre deux et dix jours avec une phase pré-paralytique de quelques jours et que l'hypothèse d'une poliomyélite de rencontre était sinon impossible à cette date du moins très improbable, ce que ni les données chiffrées ni les données médicales produites par l'intimée ne contredisent » (cf. arrêt, p. 6 § 2), sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions de Sanofi Pasteur (p.36 §4 et §6 à 9), si, en l'état d'une incertitude sur l'origine de la maladie de Mme Y..., compte tenu des statistiques invoquées par la société Sanofi Pasteur et du caractère improbable d'une contamination à la suite d'une deuxième administration de vaccin, l'hypothèse d'une poliomyélite sauvage n'était pas également vraisemblable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1353 et 1147 du code civil ;
2°) ALORS QUE la responsabilité d'un fabricant du fait d'un produit défectueux est subordonnée à la preuve d'un défaut de sécurité du produit; qu'en énonçant que « tout producteur est responsable du dommage causé par son produit à l'égard d'une victime et il suffit à celle-ci de rapporter la preuve par des présomptions graves, précises et concordantes de l'imputabilité de la maladie à ce produit » (cf. arrêt, p. 6 § 1), dispensant ainsi Mme Y... d'établir la condition liée au défaut de sécurité du produit, la cour d'appel, qui a retenu une responsabilité contractuelle, a violé l'article 1147 du code civil ;
3°) ALORS QUE la responsabilité d'un fabricant du fait d'un produit défectueux est subordonnée à la preuve d'un défaut de sécurité du produit ; qu'un produit, notamment un médicament ou un vaccin, n'est pas défectueux par le seul fait qu'il induit des effets indésirables ou secondaires ; qu'en se bornant à retenir qu'il suffisait à Mme Y... de caractériser l'imputabilité de la poliomyélite au vaccin litigieux pour établir la responsabilité de la société Sanofi Pasteur et que tel était le cas en l'espèce (cf. arrêt, p. 6 § 1 et 2), sans rechercher, comme elle y était invitée (cf. concl., p. 41 § 8), si la contamination par le virus de la poliomyélite à la suite de la vaccination en solution buvable, obligatoire, ne constituait pas un effet indésirable de cette forme vaccinale, exclusif d'un défaut de sécurité, la cour d'appel, qui a retenu la responsabilité contractuelle du fabricant, a privé sa décision de base légale au regard de l' article 1147 du code civil ;
4°) ALORS QUE la responsabilité d'un fabricant du fait d'un produit défectueux est subordonnée à la preuve d'un défaut de sécurité du produit, qu'il appartient au demandeur d'établir ; qu'en l'espèce, la société Sanofi Pasteur faisait valoir que le vaccin litigieux ne comportait aucun défaut de fabrication puisque, si tel avait été le cas, et dans la mesure où chaque lot de vaccin comporte entre 500.000 et 700.000 doses, les contaminations par le virus de la poliomyélite auraient « littéralement explosé » (cf. concl., p. 42 § 2 à 7) ; qu'en retenant le caractère défectueux du vaccin administré à Mme Y... au seul motif de l'imputabilité de la poliomyélite au vaccin de type «Sabin », sans rechercher si le lot dont était issu ce vaccin avait présenté un défaut à l'origine de nombreux cas de poliomyélites vaccinales, la cour d'appel a privé la décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.