Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une ordonnance n° 2303082 du 20 septembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, à la demande du ministre de la justice, ordonné une expertise, confiée à M. A... G..., en présence du ministre de la justice, de la société Apave international, de la société Entreprise A. Girard agissant en son nom et venant aux droits de la société Mastran, de M. F... B..., de la société Brizot Masse Ingenierie, de la société Girard, de la société GEI Génie Climatique, de la société Missenard Quint B et de la société Ineo Provence et Cote d'Azur, aux fins notamment de déterminer l'origine des désordres affectant les systèmes de chauffage et de ventilation du palais de justice de Tarascon situé 28 allée du Général Jennings de Kilmaine.
Le ministre de la justice a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille d'étendre les opérations d'expertise, d'une part, à M. D... H..., à la Mutuelle des architectes français, à M. E... C... et à la SA Axa France Iard et, d'autre part, à des nouveaux désordres affectant les façades du bâtiment.
Par une ordonnance n° 2303082 du 14 juin 2024, il a été fait droit à ces demandes.
Procédures devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2024 sous le n° 24MA01698, la société Apave International, représentée par Me Martineu, demande à la Cour :
1°) de réformer l'ordonnance du 14 juin 2024 en ce qu'elle a étendu la mission de l'expert aux nouveaux désordres affectant les façades du palais de justice ;
2°) statuant en référé, de rejeter cette demande d'extension.
Elle soutient que le juge des référés s'est mépris sur les textes applicables à la prescription ; que le ministre de la justice ne peut agir à l'encontre des constructeurs que sur le fondement de la responsabilité civile décennale dont les règles en matière de droit administratif s'inspirent des principes issus des articles 1792 et suivants du code civil ; qu'en vertu de l'ancien article 2270 du code civil comme du nouvel article 1792-4-1, le point de départ de la prescription procède de la date de réception de l'ouvrage et non de celle de la découverte du dommage ; que la réception de l'ouvrage est intervenue le 31 juillet 2013 ; que le mémoire du ministère de la justice faisant état de nouveaux désordres n'a été enregistré que le 6 mars 2024, soit postérieurement à l'expiration du délai décennal ; que toute action concernant ces nouveaux désordres est aujourd'hui forclose, si bien que le ministère ne dispose pas de motif légitime à ce que ces nouveaux désordres puissent être intégrés à l'expertise judiciaire en cours.
Par un mémoire, enregistré le 1er août 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'en vertu d'une convention tripartite, conclue le 2 mars 2007, entre la commune de Tarascon, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône et l'Etat, pris en la personne du garde des sceaux, au visa de l'article L. 1321-2 du code général des collectivités territoriales, l'Etat s'est substitué à la commune propriétaire des bâtiments dans l'ensemble de ses droits et de ses obligations, dont notamment ceux découlant des contrats antérieurement conclus ; que, sur ce fondement, l'Etat serait éventuellement recevable à intenter ultérieurement un recours sur le fondement de la fraude et du dol, dont le délai de prescription est fixé à cinq ans à compter de la manifestation du dommage ; que l'article L. 1321-2 du code général des collectivités territoriales autorise, en outre, expressément l'Etat, en sa qualité de collectivité bénéficiaire de la mise à disposition du bien, à agir en justice en lieu et place de la commune propriétaire ; que l'extension de la mesure opérée par l'ordonnance du 14 juin 2024 est donc utile au sens de l'article R. 532-1 du code de justice administrative.
II. Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2024 sous le n° 24MA01708, la société Entreprise A. Girard, représentée par Me Bouty-Duparc, demande à la Cour :
1°) de réformer l'ordonnance du 14 juin 2024 en ce qu'elle a étendu la mission de l'expert aux nouveaux désordres affectant les façades du palais de justice ;
2°) statuant en référé, de rejeter cette demande d'extension ;
3°) mettre à la charge du ministre de la justice la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'action engagée par le ministre de la justice à l'encontre des différents intervenants à l'acte de construire est fondée sur la convention de transfert de l'action décennale du 16 juin 2022 passée avec la commune de Tarascon, qui était maître d'ouvrage des travaux ; que le délai de prescription applicable à cette action est donc nécessairement celui fixé par l'article 1792-4-1 du code civil, soit dix ans à compter de la réception, délai qui était expiré à la date à laquelle le ministère de la justice a saisi le juge des référés de sa demande d'extension à de nouveaux désordres ; que le ministère de la justice ne saurait contourner la prescription en se prévalant d'une action extracontractuelle ; que c'est à tort que le juge des référés a estimé pouvoir appliquer le délai de prescription de droit commun applicable aux actions sur le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle.
Par un mémoire, enregistré le 1er août 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir la même argumentation que sous la requête n° 24MA01698.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes présentées par la société Apave International et par la société Entreprise A. Girard sont dirigées contre la même ordonnance et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il soit y soit statué par la même ordonnance.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête (...) prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". Aux termes de l'article R. 532-3 : " Le juge des référés peut, à la demande de l'une des parties formée dans le délai de deux mois qui suit la première réunion d'expertise à laquelle elle a été convoquée, (...), étendre l'expertise à des personnes autres que les parties initialement désignées par l'ordonnance, ou mettre hors de cause une ou plusieurs des parties ainsi désignées. / Il peut, dans les mêmes conditions, étendre la mission de l'expertise à l'examen de questions techniques qui se révélerait utile à la bonne exécution de cette mission, ou, à l'inverse, réduire l'étendue de la mission si certaines des recherches envisagées apparaissent inutiles ". En vertu de l'article L. 555-1 du même code, le président de la cour administrative d'appel est compétent pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par le juge des référés.
3. Par une ordonnance n° 2303082 du 20 septembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, à la demande du ministre de la justice, ordonné une expertise, confiée à M. A... G..., " en présence du ministre de la justice, de la société Apave international, de la société Entreprise A. Girard agissant en son nom et venant aux droits de la société Mastran, de M. F... B..., de la société Brizot Masse Ingenierie, de la société Girard, de la société GEI Génie Climatique, de la société Missenard Quint B et de la société Ineo Provence et Cote d'Azur ", aux fins notamment de déterminer l'origine des désordres affectant les systèmes de chauffage et de ventilation du palais de justice de Tarascon. Par l'ordonnance attaquée, la juge des référés a, à la demande du ministre de la justice formée en application de l'article R. 532-3 du code de justice administrative, étendu les opérations d'expertise, d'une part, à M. D... H..., à la Mutuelle des architectes français, à M. E... C... et à la SA Axa France Iard et, d'autre part, à des " nouveaux désordres affectant les façades du bâtiment ". La société Apave International et la société Entreprise A. Girard demandent l'annulation de cette ordonnance exclusivement en tant que les opérations d'expertise ont été étendues à ces " nouveaux désordres ", en faisant valoir qu'une éventuelle action de l'Etat à l'égard de ces désordres, sur le fondement de la responsabilité décennale, était prescrite à la date à laquelle le ministre de la justice a demandé cette extension.
4. Lorsqu'il est saisi d'une demande d'une partie ou de l'expert tendant à l'extension de la mission de l'expertise à des personnes autres que les parties initialement désignées par l'ordonnance, le juge des référés ne peut ordonner cette extension qu'à la condition qu'elle présente un caractère utile (cf. CE, 4.02.2021, n° 441593). Cette utilité doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui se heurtent à la prescription (cf. CE, 14.02.2017, n° 401514).
5. Le ministre de la justice ne conteste pas l'argumentation des sociétés Apave International et Entreprise A. Girard selon laquelle une éventuelle action en responsabilité décennale ne pourrait plus être exercée par l'Etat à l'encontre des constructeurs du palais de justice de Tarascon, s'agissant des désordres affectant les façades du bâtiment, objets de sa demande d'extension des opérations d'expertise, formée plus de dix ans après la réception des travaux. Le ministre de la justice soutient néanmoins que l'Etat qui s'est substitué à la commune propriétaire dans l'ensemble de ses droits et obligations, en application de l'article L. 1321-2 du code général des collectivités territoriales, reste, le cas échéant, recevable à exercer une éventuelle action en responsabilité pour fraude ou dol, laquelle ne serait prescrite qu'à l'issue d'une durée de cinq ans à compter de la manifestation du dommage. Toutefois, la mission confiée à l'expert de " décrire les désordres, dysfonctionnements et dommages qui seraient constatés et de réunir les éléments d'information permettant au tribunal de dire s'ils sont évolutifs ou généralisés et s'ils sont de nature à compromettre sa solidité ou un de ces éléments indissociables et ou le rendre impropre à sa destination ; préciser si ces désordres étaient apparents ou étaient prévisibles lors de la réception ; indiquer leur gravité actuelle " et de " donner un avis motivé sur les causes et origines des désordres, dysfonctionnements et dommages dont s'agit, en précisant s'ils sont imputables aux travaux de construction, à la conception, à un défaut de direction ou de surveillance, à leur exécution non conforme aux stipulations contractuelles ou aux règles de l'art ou encore aux conditions d'utilisation et d'entretien de l'ouvrage endommagé et, dans le cas de causes multiples, d'évaluer les proportions relevant de chacune d'elles ; définir leur nature, leur date d'apparition, leur importance et leur éventuel caractère évolutif " a précisément pour objet de rechercher les éléments techniques permettant, le cas échéant, d'étayer une éventuelle action en responsabilité décennale mais n'a pas pour objet de rechercher les éléments techniques permettant d'étayer une éventuelle fraude ou un éventuel dol. Dans ces conditions, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir qu'en l'état de l'instruction, l'extension de la mission de l'expert à l'égard des désordres affectant les façades du bâtiment, nouvellement constatés, ne présente pas de caractère d'utilité.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Apave International et la société Entreprise A. Girard sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif a fait droit à la demande du ministre de la justice tendant à l'extension des opérations d'expertise confiée à M. A... G..., par l'ordonnance du 20 septembre 2023, aux " nouveaux désordres affectant les façades du bâtiment " du palais de justice de Tarascon.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à la société Entreprise A. Girard, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2303082 du 14 juin 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée en tant qu'elle a étendu l'expertise confiée à M. A... G... par ordonnance du 20 septembre 2023, aux " nouveaux désordres affectant les façades du bâtiment " du palais de justice de Tarascon.
Article 2 : La demande du ministre de la justice tendant à l'extension de l'expertise à ces nouveaux désordres est rejetée.
Article 3 : L'Etat (ministère de la justice) versera à la société Entreprise A. Girard une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Apave International, à la société Entreprise A. Girard, au ministre de la justice et à M. A... G..., expert.
Fait à Marseille, le 20 août 2024
N° 24MA01698, 24MA017082
LH