Sur le moyen unique :
Attendu que M. X..., né en 1916, locataire, depuis le 30 mars 1954, d'une parcelle de terre appartenant à la Caisse des dépôts et consignations et vendue par cette dernière, le 27 avril 1990, à M. Y..., fait grief à l'arrêt attaqué (Amiens, 31 janvier 1995) de le débouter de sa demande en annulation de cette vente et en indemnisation de son préjudice, alors, selon le moyen, 1o que pour apprécier si l'exploitant en place peut ou non bénéficier du droit de préemption, il convient de se placer à la date de la vente et non au jour où se prononce le juge, saisi de l'action en nullité de la vente consentie au mépris du droit de préemption ; que dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles L. 412-5 et L. 412-12 du Code rural ; 2o que le titulaire du bail conserve son droit de préemption sur les parcelles qui ont fait l'objet d'un échange en jouissance au titre de l'article L. 411-39 du Code rural ; qu'il convient de se placer à la date de la vente pour apprécier si la parcelle mise en vente et objet de l'échange est exploitée par le bénéficiaire du droit de préemption ou par un coéchangiste ; que, dès lors, en retenant que la parcelle en cause n'était plus exploitée depuis septembre 1991 et en se plaçant à une date largement postérieure à la date de la vente, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 412-5, L. 411-39 et L. 411-12 du Code rural ; 3o qu'en cas de vente d'une parcelle ayant fait l'objet d'un échange de jouissance au titre de l'article L. 411-39 du Code rural, la condition générale mise par la loi à l'exercice du droit de préemption, tirée de l'exploitation par le preneur ou sa famille du fonds mis en vente, est considérée comme remplie si la ou les parcelles reçues en contre-échange sont normalement exploitées ; qu'en l'espèce il résultait des pièces versées aux débats et des constatations des juges du fond que l'échange était particulièrement ancien, remontant aux années 1950, que M. Z... exploitant de la parcelle E 917, la mettait en valeur depuis de très nombreuses années, tandis que M. X... exploitait les biens appartenant à celui-ci, reçus en contre-échange sans aucune contestation sérieuse ; que, dès lors, en, se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 411-39 et L. 412-5 du Code rural ; 4o qu'en vertu de l'article L. 411-37 du Code rural, lorsque le preneur a mis les biens donnés à bail à la disposition d'une société d'exploitation agricole, tous les membres de la société sont tenus de participer à la mise en valeur des biens qu'elle exploite dans les conditions de l'article L. 411-59 du Code rural ; que, dès lors, en retenant que l'exploitation générale des terres au sein d'une SCEA, ne permettait pas d'établir l'existence d'une exploitation personnelle par M. X... ou par ses enfants, membres de la société, de la parcelle reçue en contre-échange, ni de caractériser un acte effectif d'exploitation de cette parcelle, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
5o qu'en toute hypothèse c'est à l'acquéreur évincé par le droit de préemption qu'il appartient de rapporter la preuve, d'une part, que le bénéficiaire du droit de préemption ne remplit pas, à la date de la vente, les conditions pour exercer son droit et, d'autre part, de l'impossibilité pour le bénéficiaire du droit de préemption de poursuivre normalement l'exploitation du bien acquis, et non au bénéficiaire du droit de préemption de justifier lui-même qu'il est en mesure de répondre aux obligations lui incombant en application des articles L. 411-59 et L. 412-5 du Code rural ; que, dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil, et L. 412-5 et L. 412-12 du Code rural ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, sans inverser la charge de la preuve, que M. X..., bénéficiaire du droit de préemption, ne justifiait pas, à l'époque où ce droit pouvait être exercé, qu'il satisfaisait aux obligations lui incombant en application de l'article L. 411-59 du Code rural et, notamment, qu'il pouvait se consacrer à l'exploitation du bien repris pendant 9 ans en participant aux travaux de façon effective et permanente, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.