Vu, enregistré à son secrétariat le 28 juin 2024, le jugement du 24 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Montpellier, saisi par Mme E... B... d'une demande de condamnation de la caisse d'allocations familiales des Pyrénées-Orientales au paiement de diverses sommes au titre d'allocations de logement familiales et aux fins de prononcer l'annulation d'un constat de non décence dressé le 3 décembre 2019, a renvoyé au Tribunal des conflits, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu le jugement du 17 février 2023 du tribunal judiciaire de Perpignan, juge des contentieux de la protection, saisi aux mêmes fins, ayant décliné la compétence de la juridiction judiciaire en application de l'article L. 825-1 du code de la construction et de l'habitation ;
Vu, enregistrées le 16 septembre 2024, les observations du ministère du travail, de la santé et des solidarités qui s'en remet à la décision du Tribunal ;
Vu les pièces du dossier desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée aux parties qui n'ont pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;
Vu le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Ancel, membre du Tribunal,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 10 novembre 2005, F... C..., aux droits de laquelle vient Mme E... C... épouse B..., a donné à bail à M. D... A... une maison d'habitation avec garage et jardin située à Canet Plage, 23 avenue Eugène Sauvy (66140), moyennant un loyer mensuel de 640 euros, pour une durée de trois ans à compter du 10 novembre 2005. A la suite de la demande de Mme B... en ce sens, la caisse d'allocations familiales (CAF) lui a versé directement l'aide au logement à compter de mars 2018. Le bail a été reconduit tacitement par périodes triennales et pour la dernière, à compter du 10 novembre 2017 jusqu'au 10 novembre 2020, date pour laquelle un congé pour vente a été notifié à Monsieur A.... Ce dernier a quitté les lieux le 3 mai 2021 et l'immeuble a été vendu le 17 août 2021.
2. Le 14 février 2020, la CAF a adressé à Mme B... un courrier l'informant que " [le logement loué] ne répond[ait] pas aux normes de décence " et qu'elle suspendait le paiement de l'allocation de logement. Un " constat-décence " dressé par un organisme dénommé " Urbanis " le 3 décembre 2019, joint à ce courrier, faisait état d'une installation de gaz dégradée, d'une aération pour l'utilisation d'une gazinière en cuisine non conforme, de menuiseries dégradées et non étanches, d'une fissure importante sur un pignon, d'une pergola en béton très dégradée, d'infiltrations en toiture et de matériaux amiantés couvrant le garage. La suspension du paiement de l'allocation a été mise en œuvre à compter du 1er avril 2020. Par courrier du 4 mai 2020, Mme B... a contesté les conclusions de ce constat. Par courrier du 27 août 2021, la CAF, constatant que les travaux de remise en état des lieux du logement " pour le rendre conforme aux critères de décence " n'avaient pas été réalisés au 31 août 2021, a informé Mme B... de la perte définitive de l'allocation de logement et, devant la contestation de cette dernière, l'a invitée, par courrier du 16 novembre 2021, à saisir le " tribunal d'instance de Perpignan ". Par acte du 14 décembre 2021, Mme B... a assigné devant la juridiction judiciaire la CAF des Pyrénées Orientales aux fins de la voir condamner à lui payer diverses sommes au titre de l'allocation de logement en ce compris pour la période de " rétention de l'allocation logement ", outre une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en raison de l'attitude " dolosive " de la CAF pour s'être appuyée sur un rapport non contradictoire pour la priver de ces sommes. Mme B... contestait dans le corps de cette assignation le constat de non-décence établi le 3 décembre 2019, dont elle a ensuite demandé dans le dernier état de ces écritures l'annulation. Par jugement du 17 févier 2023, le tribunal judiciaire de Perpignan, juge des contentieux de la protection, s'est déclaré incompétent et a renvoyé Mme B... à mieux se pouvoir. Le juge a énoncé qu'il résultait " des éléments du débat que les demandes de Mme B... [devaient] s'analyser en une contestation de décisions de la CAF des Pyrénées-Orientales en matière d'aide personnelle au logement, tant concernant la demande de paiement de la somme de 702 euros que celle portant sur une somme de 2110 euros correspondant à une conservation puis arrêt de versement de l'allocation suite à un rapport de non-décence ". Mme B... a alors saisi, par requête du 9 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier aux mêmes fins, en ce compris celle " d'annuler " le constat-décence du 3 décembre 2019. Par jugement du 24 juin 2024, ce tribunal, considérant que la contestation du constat de non-décence établi le 3 décembre 2019 relevait de la compétence judiciaire, a renvoyé sur le fondement de l'article 32 du décret du 27 février 2015 au Tribunal le soin de décider sur la question de compétence et sursis à statuer sur les conclusions tendant à la suspension de l'allocation logement pour la période du 1er mars 2020 au 31 avril 2021 et des conclusions indemnitaires " dont l'issue dépend de la légalité du constat de décence du 3 décembre 2019 ".
3. D'une part, selon les deux premiers alinéas de l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, " Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale, défini par un seuil maximal de consommation d'énergie finale par mètre carré et par an, et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation. Un décret en Conseil d'Etat définit le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en œuvre échelonnée./ Les caractéristiques correspondantes sont définies par décret en Conseil d'Etat pour les locaux à usage de résidence principale ou à usage mixte mentionnés au deuxième alinéa de l'article 2 et les locaux visés aux 1° à 3° du même article, à l'exception des logements-foyers et des logements destinés aux travailleurs agricoles qui sont soumis à des règlements spécifiques ". En vertu de l'article 20-1, alinéa 1er, de cette même loi " Si le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième alinéas de l'article 6, le locataire peut demander au propriétaire sa mise en conformité sans qu'il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours. A défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du propriétaire dans un délai de deux mois, la commission départementale de conciliation peut être saisie et rendre un avis dans les conditions fixées à l'article 20. La saisine de la commission ou la remise de son avis ne constitue pas un préalable à la saisine du juge par l'une ou l'autre des parties ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 825-1 du code de la construction et de l'habitation : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale qui attribuent au tribunal de grande instance désigné en application de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire la compétence pour connaître des contestations relatives aux pénalités prononcées en cas de fraude, les recours dirigés contre les décisions prises en matière d'aides personnelles au logement et de primes de déménagement par les organismes mentionnés à l'article L. 812-1 sont portés devant la juridiction administrative ". Aux termes de l'article L. 822-9 de ce même code " Pour ouvrir droit à une aide personnelle au logement, le logement doit répondre à des exigences de décence définies en application des deux premiers alinéas de l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ". L'article L. 843-1 de ce code dispose que " Lorsque l'organisme payeur ou un organisme dûment habilité par ce dernier a constaté que le logement ne satisfaisait pas aux caractéristiques de décence mentionnées à l'article L. 822-9, l'allocation de logement est conservée par l'organisme payeur pendant un délai maximal fixé par voie réglementaire. / L'organisme payeur notifie au propriétaire le constat établissant que le logement ne remplit pas les conditions requises pour être qualifié de logement décent et l'informe qu'il doit le mettre en conformité dans le délai maximal mentionné au premier alinéa pour que l'allocation de logement conservée lui soit versée. / Durant ce délai, le locataire s'acquitte du montant du loyer et des charges récupérables diminué du montant des allocations de logement, dont il a été informé par l'organisme payeur, sans que cette diminution puisse fonder une action du propriétaire à son encontre pour obtenir la résiliation du bail ". L'alinéa 1er de l'article L. 843-2 de ce code prévoit en outre que " Si, à l'issue du délai de mise en conformité prévu à l'article L. 843-1, le logement ne répond toujours pas aux caractéristiques de décence mentionnées à l'article L. 822-9, le montant de l'allocation de logement, conservé jusqu'à cette date par l'organisme payeur au titre de la période durant laquelle il a été fait application de l'article L. 843-1, n'est pas récupéré par le propriétaire. Ce dernier ne peut demander au locataire le paiement de la part de loyer non perçue correspondant au montant de l'allocation conservé ".
5. Il résulte de ces dispositions que les contestations relatives aux aides personnelles au logement relèvent de la compétence du juge administratif. Il en va de même, à la supposer recevable, de la demande d'annulation du constat de non-décence dressé en application de l'article L. 843-1 du code de la construction et de l'habitation, sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour apprécier la valeur probante de ce constat dans les litiges relevant de sa compétence.
6. En conséquence, la juridiction de l'ordre administratif est compétente pour connaître des conclusions formées par Mme B... à l'encontre de la caisse d'allocations familiales tendant à l'annulation du constat de non-décence du logement.
D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction de l'ordre administratif est compétente pour connaître des conclusions formées par Mme B... à l'encontre de la caisse d'allocations familiales des Pyrénées-Orientales tendant à l'annulation du constat de non-décence du logement.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 24 juin 2024 est déclaré nul et non avenu en tant qu'il décline la compétence de l'ordre administratif pour connaître des conclusions de Mme B... tendant à l'annulation du constat de non-décence dressé le 3 décembre 2019. La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal dans cette mesure.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme E... C... épouse B..., à la caisse d'allocations familiales des Pyrénées-Orientales, au ministère de la santé et de l'accès aux soins, au ministère des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes, au ministère du logement et de la rénovation urbaine et au ministère du travail et de l'emploi.