Vu, enregistrée à son secrétariat le 2 juin 2023, l'expédition de l'ordonnance du 23 mai 2023 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Foix, saisi de la demande formée par la société anonyme Ingénierie Gestion Industrie Commerce (IGIC) tendant à l'annulation des titres de recettes émis par la commune d'Aulus-les-Bains (Ariège) les 4 août 2014, 19 mai 2016, 14 juin 2016 et 7 novembre 2017 en vue du recouvrement des redevances dues en exécution d'une convention du 16 décembre 1989 relative à la construction et à l'exploitation d'une centrale de production électrique à partir des rivières de l'Ars et du Garbet, à la condamnation de la commune au remboursement des sommes correspondantes, à ce que soit constaté le caractère fautif de la résiliation prématurée de la convention et à la réparation des conséquences de cette résiliation, a renvoyé au Tribunal des conflits, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu la décision du 29 décembre 2020 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a refusé l'admission du pourvoi formé par la commune d'Aulus-les-Bains contre l'arrêt du 30 décembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté comme présenté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître le recours formé par la société IGIC contre les titres de perception émis les 4 août 2014, 19 mai 2016, 14 juin 2016 et 7 novembre 2017 ;
Vu, enregistré le 26 juillet 2023, le mémoire produit pour la société IGIC, tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente au motif que la convention du 16 décembre 1989 revêt la nature d'un contrat de droit privé ;
Vu, enregistré le 10 août 2023, le mémoire produit pour la commune d'Aulus-les-Bains, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente au motif que la convention du 16 décembre 1989 revêt la nature d'une concession de service public et d'ouvrage public ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Collin, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Capron pour la société anonyme Ingénierie Gestion Industrie Commerce (IGIC),
- les observations de la SCP Galy pour la commune d'Aulus-les-Bains,
- les conclusions de M. Jean Lecaroz, rapporteur public ;
- Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 septembre 2023, présentée pour la commune d'Aulus-les-Bains ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 décembre 1989, la commune d'Aulus-les-Bains (Ariège), alors titulaire, en application de l'article 1er de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, d'une autorisation préfectorale délivrée le 15 novembre 1989 lui permettant de disposer de l'énergie des rivières de l'Ars et du Garbet, a conclu avec la société anonyme Ingénierie Gestion Industrie Commerce (IGIC) une convention confiant à cette dernière, pour une durée de 29 ans et moyennant le versement d'une redevance annuelle, la construction, la gestion et l'exploitation d'une centrale de production d'énergie hydroélectrique, l'électricité ainsi produite étant vendue à Electricité de France (EDF). Trois avenants à ce contrat initial ont été signés en 1990, 1992 et 1994. Par acte authentique du 16 novembre 2000 la commune a cédé à la société les terrains d'assiette de la centrale et par arrêté du 27 août 2002, le préfet de l'Ariège, à la demande de la commune, a transféré l'autorisation de droit d'eau à la société IGIC. Estimant que la convention du 16 décembre 1989 se trouvait privée d'objet, les parties ont conclu le 5 septembre 2002 une convention de mise à disposition de terrains et chemins communaux, annulant et remplaçant la convention du 16 décembre 1989, et prévoyant un nouveau mode de calcul de la redevance annuelle versée à la commune par la société IGIC. Toutefois, par un jugement du 8 janvier 2010 devenu définitif, le tribunal administratif de Toulouse a déclaré inexistante la délibération par laquelle le conseil municipal était réputé avoir approuvé la vente des terrains d'implantation de la centrale et par un jugement du 16 mai 2013, également devenu définitif, le tribunal de grande instance de Toulouse a prononcé la nullité de la vente et ordonné le retour des biens dans le patrimoine de la commune requérante. En conséquence, par un arrêté du 7 septembre 2018, le préfet de l'Ariège a transféré à la commune d'Aulus-les-Bains l'autorisation qu'elle détenait initialement en vertu de l'arrêté préfectoral du 15 novembre 1989.
2. La société IGIC a contesté devant le tribunal administratif de Toulouse les titres exécutoires émis par la commune les 4 août 2014, 19 mai 2016, 14 juin 2016 et 7 novembre 2017 en vue du recouvrement des redevances dues en exécution de la convention du 16 décembre 1989. Par deux jugements des 17 octobre 2017 et 9 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a partiellement fait droit à ces demandes. Mais par un arrêt du 30 décembre 2019, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Bordeaux, estimant que la convention du 16 décembre 1989 revêtait le caractère d'un contrat de droit privé, a rejeté les demandes de la société comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
3. La société IGIC a assigné la commune devant le tribunal judiciaire de Foix aux fins d'annulation des titres de recettes émis par celle-ci les 4 août 2014, 19 mai 2016, 14 juin 2016 et 7 novembre 2017, de condamnation de la commune au remboursement des sommes correspondantes, de constat du caractère fautif de la résiliation prématurée de la convention et de réparation des conséquences de cette résiliation. Par une ordonnance du 23 mai 2023, le juge de la mise en l'état de ce tribunal, après avoir jugé que la convention du 16 décembre 1989 revêtait le caractère d'un contrat administratif, a renvoyé au Tribunal des conflits, sur le fondement de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.
4. D'une part, aux termes des dispositions de l'article 1er de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, en vigueur à la date de la signature de la convention du 16 décembre 1989 : " Nul ne peut disposer de l'énergie des marées, des lacs et des cours d'eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l'État ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " Sont placées sous le régime de la concession les entreprises dont la puissance excède 4 500 kilowatts. Sont placées sous le régime de l'autorisation toutes les autres entreprises ". S'il résulte de ces dernières dispositions ainsi que de l'article 10 de cette même loi, qui prévoit que des obligations sont imposées aux exploitants de ces centrales, que le législateur a entendu donner à l'ensemble des ouvrages de production d'énergie hydroélectrique concédés, que la personne qui en est propriétaire soit publique ou privée, le caractère d'ouvrage public, l'installation hydraulique en cause est d'une puissance inférieure à 4 500 kilowatts et ne relève pas du régime de la concession en application de ces dispositions. Le contrat en litige n'a, par suite, pas la nature d'un contrat administratif par détermination de la loi.
5. D'autre part, l'activité de production d'électricité exercée, dans le seul but de la céder à EDF, par la société ne peut être regardée, en l'espèce, comme poursuivant un but d'intérêt général, de sorte que le contrat ne revêt pas le caractère d'une délégation de service public. Il ne constitue pas davantage, pour le même motif, un contrat de concession de travaux publics et n'a pas pour objet d'autoriser l'occupation de dépendances du domaine public. Enfin, le contrat litigieux ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
6. Il résulte de ce qui précède que la convention du 16 décembre 1989 revêt le caractère d'un contrat de droit privé de sorte que la contestation soulevée par la société IGIC relève de la compétence de la juridiction judiciaire.
D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître des demandes formées par la société IGIC.
Article 2 : L'ordonnance du juge de la mise en l'état du tribunal judiciaire de Foix du 23 mai 2023 est déclarée nulle et non avenue. La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Ingénierie Gestion Industrie Commerce et à la commune d'Aulus-les-Bains.