Vu, enregistrée à son secrétariat le 26 janvier 2022, l'expédition du jugement n° 2102333 en date du 20 janvier 2022, par lequel le tribunal administratif de Rouen, saisi des demandes de M. B... J..., Mme H... J..., épouse D..., Mme C... M... N..., divorcée J..., Mme K... M..., épouse A..., et Mme I... F..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses deux enfants mineurs (les consorts J...), tendant à la condamnation de l'État à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subi en raison du décès en garde à vue de Christian J..., a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu l'arrêt du 15 mai 2018, par lequel la cour d'appel de Paris s'est déclarée incompétente pour connaître des demandes d'indemnisation formées par les consorts J... et les a invités à les porter devant les juridictions de l'ordre administratif ;
Vu, enregistré le 1er mars 2022, le mémoire du Garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à ce que les juridictions de l'ordre judiciaire soient déclarées compétentes pour connaître de ces demandes, par le motif que le médecin ayant examiné Christian J... en garde à vue et dont les fautes sont à l'origine de son décès était collaborateur occasionnel du service public de la justice ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. L... G..., membre du Tribunal,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Christian J... est décédé le 8 avril 2009, alors qu'il était en garde à vue au commissariat de Rouen. Par arrêt du 15 mai 2018, devenu définitif, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris, après avoir retenu que ce décès avait pour cause une faute commise par M. E..., médecin intervenu en tant que collaborateur occasionnel du service public, et que cette faute n'était pas détachable de sa mission, s'est déclarée incompétente pour connaître des demandes d'indemnisation formées par les consorts J....
2. Les dommages que peuvent causer les agents et collaborateurs occasionnels du service public dans les opérations de police judiciaire, qui ont pour objet la recherche d'un délit ou d'un crime déterminé, relèvent du fonctionnement défectueux du service public de la justice.
3. Le placement en garde à vue, en application des articles 63 et suivants du code de procédure pénale, d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, a le caractère d'une opération de police judiciaire et il n'appartient par conséquent qu'aux tribunaux judiciaires de connaître des litiges survenus à l'occasion d'un tel placement.
4. Dès lors, la juridiction judiciaire est compétente pour connaître des demandes des consorts J... en réparation des préjudices résultant du décès en garde à vue de Christian J....
D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige.
Article 2 : L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mai 2018 est déclarée nul et non avenu, en tant qu'il déclare cette juridiction incompétente pour connaître des demandes d'indemnisation formées par les parties civiles appelantes et intimées. La cause et les parties sont renvoyées devant la cour d'appel de Paris.
Article 3 : La procédure suivie devant le tribunal administratif de Rouen est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement rendu le 26 janvier 2022 par ce tribunal.
Article 4 : La présente décision est notifiée à M. B... J..., à Mme H... J..., épouse D..., à Mme C... M... N..., divorcée J..., à Mme K... M..., épouse A..., et à Mme I... F..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses deux enfants mineurs, ainsi qu'au ministre de l'intérieur et au Garde des sceaux, ministre de la justice.