Vu, enregistrée à son secrétariat le 12 février 2020, la lettre par laquelle le greffe du tribunal judiciaire de Nanterre a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant le syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne à la société Grid Solutions devant le président du tribunal de grande instance de Nanterre statuant en référé.
Vu le déclinatoire de compétence, présenté le 19 novembre 2019 par le préfet des Hauts-de-Seine, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente, par le motif que le litige est relatif à l'évaluation et à la prévention des risques dans le cadre de la procédure d'adoption d'un plan de sauvegarde de l'emploi.
Vu l'ordonnance de référé du 11 décembre 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté le déclinatoire et retenu sa compétence ;
Vu l'arrêté du 27 décembre 2019 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a élevé le conflit ;
Vu le mémoire, enregistré le 2 mars 2020, présenté pour la société Grid Solutions, qui conclut à la confirmation de l'arrêté de conflit, à ce que soient déclarés nulles et non avenues la procédure engagée par le syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne devant le Président du tribunal de grande instance de Nanterre statuant en référé et l'ordonnance de référé de cette juridiction du 11 décembre 2019; elle soutient que le litige s'inscrit dans le bloc de compétence du juge administratif sur la procédure de plan de sauvegarde de l'emploi et qu'il relève, par suite, de la compétence de la juridiction administrative ;
Vu le mémoire en intervention volontaire, enregistré le 4 mai 2020, présenté pour les syndicats Sud FPA solidaires et CGT AFPA, qui conclut à la compétence du juge judiciaire au motif que la méconnaissance de l'obligation de sécurité est de la compétence du juge judiciaire ;
Vu le mémoire, enregistré le 25 mai 2020, présenté par la ministre du travail, qui conclut à la compétence du juge administratif ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne, qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée aux ministres de la justice et de l'économie et des finances, qui n'ont pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les lois des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code du travail;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme A... B..., membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Célice, Texidor, Perier pour la SAS Grid Solutions,
- les observations de la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy pour les syndicats Sud FPA et CGT AFPA ;
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Grid Solutions, qui appartient au groupe Général Electric, a initié en juin 2019 un projet de réorganisation concernant ses établissements du Rhône et de Savoie. Dans ce cadre, un plan de sauvegarde de l'emploi a été adopté par un accord collectif majoritaire signé le 19 novembre 2019 et soumis à la validation de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la région Auvergne Rhône-Alpes. La DIRECCTE l'a validé le 31 décembre 2019.
2. Entre temps, le 13 novembre 2019, le syndicat CGT Asltom Grid Villeurbanne (le syndicat CGT) a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de demander la suspension du projet de réorganisation jusqu'à ce qu'il soit mis fin au trouble manifestement illicite résultant, selon lui, de l'absence de mesures d'identification et de prévention des risques psychosociaux et de la souffrance au travail des salariés.
3. Le préfet des Hauts-de-Seine a déposé un déclinatoire de compétence le 20 novembre 2019. Le 11 décembre 2019, le président du tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté le déclinatoire de compétence et ordonné à la société Grid Solutions de suspendre le projet de réorganisation jusqu'à ce qu'il ait été procédé à une évaluation précise des risques psychosociaux liés aux tâches et à la charge de travail supplémentaires supportées par les salariés qui n'auront pas fait l'objet d'un licenciement et qu'ait été présenté un plan de prévention des risques permettant de garantir aux personnels demeurant dans l'entreprise après la restructuration des conditions normales de sécurité et de santé au travail. Par un arrêté du 27 décembre 2019, le Préfet a élevé le conflit.
Sur l'intervention volontaire des syndicats Sud FPA et CGT AFPA
4. Les syndicats Sud FPA et CGT AFPA, parties à un litige similaire pendant devant le juge judiciaire, posant la même question de compétence juridictionnelle, justifient d'un intérêt à intervenir dans la présente affaire. Leur intervention est donc recevable.
Sur la régularité de l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Nanterre du 11 décembre 2019 :
5. Il résulte de l'article 22 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles que la juridiction qui rejette le déclinatoire de compétence doit surseoir à statuer pendant le temps laissé au préfet pour, s'il l'estime opportun, élever le conflit. Il s'ensuit que l'ordonnance du tribunal de grande instance de Nanterre du 11 décembre 2019 doit être déclarée nulle et non avenue en tant que, après avoir écarté le déclinatoire présenté par le préfet, elle a statué au fond sur la demande du syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne.
Sur la compétence :
6. La loi du 14 juin 2013 a prévu que le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi qui doit être établi en cas de licenciement d'au moins dix salariés sur une période de trente jours est fixé par un accord collectif majoritaire ou, à défaut, par un document élaboré par l'employeur. En vertu de l'article L. 1233-57-1 du code du travail, cet accord ou ce document est transmis à l'autorité administrative pour validation ou homologation. Selon l'article L. 1235-7-1 de ce code, les litiges relatifs à la décision de validation ou d'homologation relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux, sans que l'accord collectif, le document élaboré par l'employeur, le contenu du plan de sauvegarde de l'employeur, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 de ce code ni la régularité de la procédure de licenciement collectif ne puissent faire l'objet d'un litige distinct.
7. En vertu des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail, le contrôle de la régularité de la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi incombe à l'autorité administrative, lors de sa décision de validation ou d'homologation.
8. Dans le cadre d'une réorganisation qui donne lieu à élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'autorité administrative de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; à cette fin, elle doit contrôler, tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable de ceux qui sont mentionnés au point 7. Il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître de la contestation de la décision prise par l'autorité administrative.
9. Le juge judiciaire est pour sa part compétent pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige, soit est sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l'opération de réorganisation et de réduction des effectifs en cours, soit est liée à la mise en œuvre de l'accord ou du document ou de l'opération de réorganisation.
10. En l'espèce, le litige porté devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre avait pour objet l'insuffisance des mesures d'évaluation et de prévention des risques dans le cadre d'un projet de réorganisation qui donnait lieu à élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Il résulte de ce qui précède qu'un tel litige relève de la compétence administrative. C'est dès lors à bon droit que le préfet des Hauts-de-Seine a élevé le conflit.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention des syndicats Sud FPA solidaires et CGT AFPA est admise.
Article 2 : L'arrêté de conflit pris le 27 décembre 2019 par le préfet des Haut-de-Seine est confirmé.
Article 3 : Sont déclarées nulles et non avenues la procédure engagée par le syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne contre la société Grid Solutions devant le tribunal de grande instance de Nanterre et l'ordonnance du président de cette juridiction du 11 décembre 2019.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne, à la société Grid Solutions, aux syndicats Sud FPA solidaires et CGT AFPA, à la ministre de justice, au ministre de l'économie et des finances et à la ministre du travail.