N° 4035
Conflit positif
Région Ile-de-France c/ M. N. et autres
M. Edmond Honorat Rapporteur
M. Michel Girard Rapporteur public
Séance du 16 novembre 2015 Lecture du 16 novembre 2015
LE TRIBUNAL DES CONFLITS
Vu la lettre par laquelle a été transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant la région Ile-de-France à M. Léon N. et vingt-quatre autres intimés devant la cour d'appel de Paris ;
Vu le déclinatoire, présenté le 6 octobre 2014 par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour connaître de ce litige par les motifs que l'action en responsabilité engagée par la région Ile-de-France contre les auteurs d'ententes au cours de la procédure de passation de marchés publics relève de la compétence du juge administratif ;
Vu l'arrêt du 24 juin 2015 par lequel la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence ;
Vu l'arrêté du 8 juillet 2015 par lequel le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a élevé le conflit ;
Vu le mémoire, enregistré au parquet de la cour d'appel de Paris, présenté par la société Gespace France et tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que l'action de la région Ile-de-France, fondée sur la responsabilité délictuelle de personnes privées et intéressant le droit de la concurrence, qui ne pourrait être renvoyée, en l'espèce, devant la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu le mémoire présenté par la région Ile-de-France, tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par les motifs que la procédure de conflit n'est contraire ni aux dispositions de l'article 4 ni à celles de l'article 6 de l'ordonnance du 1er juin 1828, ni au principe de loyauté de la procédure ni aux stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le litige, né à l'occasion du déroulement de la procédure de passation de contrats qui ont le caractère de marchés publics, relève, quand bien même il n'aurait pas de caractère contractuel, de la compétence de la juridiction administrative ;
Vu les mémoires, présentés par M. Gérard P. et M. François M., tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit et à ce que soit mise à la charge de l'Etat le versement à chacun des exposants de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que l'arrêté de conflit méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, applicable à la présente procédure dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige, issu du même fait générateur, dans son arrêt du 27 février 2007 ; que l'élévation du conflit méconnaît, en l'espèce, le principe général de l'estoppel ainsi que les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, dont aucune disposition législative n'attribue la connaissance à la juridiction administrative, qui tend à la réparation des conséquences de pratiques anticoncurrentielles et d'infractions pénales commises à l'occasion de la conclusion de contrats ne constituant pas, en tout état de cause, des marchés publics et qui met en cause des personnes n'ayant pas la qualité de cocontractants, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu les mémoires, présentés par Mme Danielle P., tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que la procédure d'élévation du conflit méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, applicable à la présente procédure, dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige, issu du même fait générateur, dans son arrêt du 27 février 2007 ; que l'élévation du conflit méconnaît, en l'espèce, le principe général de l'estoppel ainsi que les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, dont aucune disposition législative n'attribue la connaissance à la juridiction administrative, qui tend à la réparation des conséquences de pratiques anticoncurrentielles et d'infractions pénales commises à l'occasion de la conclusion de contrats ne constituant pas, en tout état de cause, des marchés publics et qui met en cause des personnes n'ayant pas la qualité de cocontractants, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu les mémoires, présentés par la société Nord France Boutonnat et tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que la procédure d'élévation du conflit méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007, ainsi que, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, à laquelle l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi MURCEF », n'est pas applicable, qui est relative à la responsabilité délictuelle de personnes physiques et morales de droit privé à raison de pratiques anticoncurrentielles, qui porte sur des préjudices ne trouvant pas leur origine dans le déroulement de procédures de passation de marchés publics déterminés mais dans des agissements de la région à l'occasion de leur conception et de leur répartition, et qui ne pourrait être attribuée, en l'espèce, à la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu les mémoires, présentés par la société Compagnie générale de bâtiment et construction (CBC), M. Patrick B., M. Jacques B., M. Jacques D., M. Xavier J. et M. Bruno B. et tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que la procédure d'élévation du conflit viole, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le principe de loyauté procédurale ou estoppel ainsi que l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007 ; que l'action de la région Ile-de-France, fondée sur la responsabilité délictuelle de personnes privées, dont plusieurs n'ont aucun lien contractuel avec la région, et intéressant le droit de la concurrence, et qui ne pourrait être portée, en l'espèce, devant la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu le mémoire, présenté par la société Vinci Construction et la société Dumez Construction, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que la procédure d'élévation du conflit méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007, ainsi que, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, à laquelle l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi MURCEF », n'est pas applicable, qui est relative à la responsabilité délictuelle de personnes physiques et morales de droit privé à raison de pratiques anticoncurrentielles, qui porte sur des préjudices ne trouvant pas leur origine dans le déroulement de procédures de passation de marchés publics déterminés mais dans des agissements de la région à l'occasion de leur conception et de leur répartition, et qui ne pourrait être attribuée, en l'espèce, à la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu le mémoire, présenté par la société industrielle de construction rapide (SICRA), tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que la procédure d'élévation du conflit méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007, ainsi que, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, à laquelle l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi MURCEF », n'est pas applicable, qui est relative à la responsabilité délictuelle de personnes physiques et morales de droit privé à raison de pratiques anticoncurrentielles, qui porte sur des préjudices ne trouvant pas leur origine dans le déroulement de procédures de passation de marchés publics déterminés mais dans des agissements de la région à l'occasion de leur conception et de leur répartition, et qui ne pourrait être attribuée, en l'espèce, à la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu le mémoire, présenté par la société SPIE Opérations, anciennement SPIE, et la société SPIE SCGPM, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que la procédure d'élévation du conflit méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007, ainsi que, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, à laquelle l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi MURCEF », n'est pas applicable, qui est relative à la responsabilité délictuelle de personnes physiques et morales de droit privé à raison de pratiques anticoncurrentielles, qui porte sur des préjudices ne trouvant pas leur origine dans le déroulement de procédures de passation de marchés publics déterminés mais dans des agissements de la région à l'occasion de leur conception et de leur répartition, et qui ne pourrait être attribuée, en l'espèce, à la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu le mémoire, présenté par la société Fougerolle, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que la procédure d'élévation du conflit méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007, ainsi que, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, à laquelle l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi MURCEF », n'est pas applicable, qui est relative à la responsabilité délictuelle de personnes physiques et morales de droit privé à raison de pratiques anticoncurrentielles, qui porte sur des préjudices ne trouvant pas leur origine dans le déroulement de procédures de passation de marchés publics déterminés mais dans des agissements de la région à l'occasion de leur conception et de leur répartition, et qui ne pourrait être attribuée, en l'espèce, à la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu le mémoire, présenté par la société Eiffage Construction, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que la procédure d'élévation du conflit méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007, ainsi que, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, à laquelle l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi MURCEF », n'est pas applicable, qui est relative à la responsabilité délictuelle de personnes physiques et morales de droit privé à raison de pratiques anticoncurrentielles, qui porte sur des préjudices ne trouvant pas leur origine dans le déroulement de procédures de passation de marchés publics déterminés mais dans des agissements de la région à l'occasion de leur conception et de leur répartition, et qui ne pourrait être attribuée, en l'espèce, à la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu les mémoires, présentés par la société Bouygues, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 par les motifs que la procédure d'élévation du conflit, qui viole, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui méconnaît l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828 dès lors que la cour d'appel de Paris a statué définitivement bien que de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007, et qui est fondée sur les dispositions de la loi du 16 février 2015 et du décret du 27 février 2015, inapplicables en l'espèce, est irrégulière ; que l'action de la région Ile-de-France, qui demeure de la compétence du juge judiciaire en vertu de l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi MURCEF », qui est relative à la responsabilité délictuelle de personnes physiques et morales de droit privé à raison de pratiques anticoncurrentielles, qui porte sur des préjudices ne trouvant pas leur origine dans le déroulement de procédures de passation de marchés publics, et qui ne pourrait être attribuée, en l'espèce, à la juridiction administrative sans porter atteinte à la bonne administration de la justice garantie notamment par l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu le mémoire, présenté par la société Bouygues Bâtiment Ile-de-France et la société Entreprise de travaux publics André et Max Brezillon et tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que l'action engagée par la région Ile-de-France, qui n'est que le prolongement de l'action civile sur laquelle le juge pénal a déjà statué, qui tend à la réparation de préjudices nés de pratiques anticoncurrentielles n'ayant aucun caractère dolosif et qui met en cause des personnes n'ayant aucun lien contractuel avec la région, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu le mémoire, présenté par M. Patrick L. et tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit et à ce que la somme de 7 500 euros soit mise à la charge de l'Etat et de la région Ile-de-France au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 par les motifs que la procédure d'élévation du conflit méconnaît les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828, la cour d'appel de Paris ayant statué définitivement de manière implicite sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige dans son arrêt du 27 février 2007, ainsi que, en l'espèce, les stipulations de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'action de la région Ile-de-France, qui tend à la mise en oeuvre de la responsabilité quasi délictuelle de personnes privées, dont certaines tel l'exposant n'ont aucun lien contractuel avec la région, en vue de réparer un préjudice né de pratiques anticoncurrentielles et d'infractions pénales, relève, en l'absence de disposition législative contraire, de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à M. Léon N., M. Gilbert S., à la société de participations et de gestions immobilières (SPGI) et au ministre des finances et des comptes publics, qui n'ont pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 modifiée par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, notamment le III de son article 13 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 ;
Vu l'ordonnance du 12 mars 1831 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015, notamment son article 50 ;
Vu la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 6 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Edmond Honorat, membre du Tribunal, - les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan pour la Région Ile-de-France, - les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet pour MM. B., D., J., B., B. et la société Compagnie générale de Bâtiment et de construction (CBC), - les observations de la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois pour M. L., - les observations de la SCP Coutard, Munier-Apaire pour MM. P., M. et Mme P., - les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix pour la société Nord France Boutonnat, - les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon pour la société Bouygues Bâtiment Ile-de-France et la société Entreprise de travaux publics André et Max Brezillon, - les observations de la SCP Piwnica, Molinié pour la société Bouygues, - les observations de la SCP Celice, Blancpain, Soltner, Texidor pour la société industrielle de constructions rapides (SICRA), la société SPIE opérations, anciennement dénommée SA SPIE, la société Dumez Construction, la société Vinci Construction, la société Eiffage Construction, la société Fougerolle, la société SPIE SCGPM, - les conclusions de M. Michel Girard, rapporteur public ;
Considérant qu'au cours des années 1988 à 1997, la région Ile-de-France a conclu des marchés publics en vue de la rénovation et de la reconstruction des lycées dont elle assurait la gestion, l'entretien et la construction en vertu de la loi du 22 juillet 1983 ; qu'à la suite d'une information ouverte par le procureur de la République de Paris le 3 juin 1997, la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 27 février 2007, devenu irrévocable, a confirmé la condamnation, prononcée par jugement du tribunal correctionnel de Paris en date du 26 octobre 2005, à l'encontre notamment de divers préposés d'entreprises attributaires des marchés, pour participation personnelle et déterminante à une entente anticoncurrentielle, et condamné les intéressés à verser à la région une somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral ; que, par arrêt du 3 juillet 2008, lui aussi devenu irrévocable, la cour d'appel de Paris a rejeté le recours de diverses entreprises attributaires des marchés contre la décision du Conseil de la concurrence du 9 mai 2007 les condamnant à des amendes sur le fondement de l'article L. 420-1 du code de commerce pour entente dans l'attribution de ces marchés ; que, par assignations délivrées au mois de février 2010, la région Ile-de-France a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande tendant, dans le dernier état de ses écritures, à la condamnation de M. N. et de vingt-quatre autres personnes physiques ou morales à lui verser in solidum la somme de 232 134 173,40 euros avec intérêts de droit à compter du 7 juillet 1997, en réparation du préjudice matériel que lui auraient causé les ententes illicites nouées à l'occasion du programme de rénovation des lycées ; que, par jugement du 17 décembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré prescrite l'action en indemnisation formée par la région et déclaré irrecevables ses demandes en indemnisation formées envers l'ensemble des défendeurs ; que le 22 janvier 2014, la région Ile-de-France a interjeté appel de ce jugement ; que, par arrêté du 6 octobre 2014, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a formé un déclinatoire de compétence ; que, par arrêt du 24 juin 2015, la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence et s'est déclarée compétente pour connaître du litige ; que le préfet a élevé le conflit par arrêté du 8 juillet 2015 ;
Sur la régularité de la procédure de conflit :
Considérant, en premier lieu, que, le déclinatoire de compétence ayant été déposé par le préfet devant la cour d'appel de Paris le 6 octobre 2014, les dispositions de la loi du 16 février 2015 ainsi que celles du décret du 27 février 2015 ne sont pas applicables à la présente procédure en vertu de l'article 50 de ce décret, aux termes duquel : « S'agissant des conflits positifs, les dispositions de l'article 13 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 et celles du présent décret sont applicables aux procédures donnant lieu à un déclinatoire de compétence présenté à compter du 1er avril 2015 » ; que la circonstance que l'arrêté de conflit mentionne que la loi du 24 mai 1872, qu'il vise, a été modifiée par la loi du 16 février 2015 et vise le décret du 27 février 2015, est sans influence sur la régularité de la procédure de conflit ; que, si l'arrêté de conflit, le déclinatoire de compétence ainsi que les autres pièces du dossier ont été transmis non par le garde des sceaux, ministre de la justice, comme ils auraient dû l'être en vertu l'article 6 de l'ordonnance du 12 mars 1831, applicable à la présente procédure, mais par le greffe de la cour d'appel de Paris, comme le prévoit désormais l'article 28 du décret du 27 février 2015, cette circonstance, qui n'est pas imputable au préfet et n'affecte pas la nature des pièces qui doivent être transmises au Tribunal ainsi que, en l'espèce, les droits des parties, n'est pas non plus de nature à entacher d'irrégularité la procédure de conflit ;
Considérant, en deuxième lieu, que la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction est, en principe, par elle-même, sans incidence sur les droits garantis par l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que ces stipulations ne s'opposent notamment pas à ce que le préfet use des pouvoirs que lui donnent l'ordonnance du 1er juin 1828 sur les conflits d'attribution, et désormais l'article 13 de la loi du 24 mai 1872, dans sa rédaction issue de la loi du 16 février 2015, pour dessaisir la juridiction judiciaire devant laquelle une action est engagée, lorsque celle-ci ressortit à la compétence de la juridiction administrative ; que, eu égard aux fonctions du Tribunal, qui se limitent à déterminer l'ordre de juridiction compétent pour connaître d'un litige, le principe de loyauté procédurale ou estoppel ne saurait non plus être utilement invoqué ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828 : « (...) il ne pourra jamais être élevé de conflit après des jugements rendus en dernier ressort ou acquiescés, ni après des arrêts définitifs (...) » ; que l'arrêt, devenu irrévocable, de la cour d'appel de Paris du 27 février 2007, qui n'a pas tranché le même litige, faute notamment d'identité de parties et d'objet, n'a statué ni expressément ni implicitement sur la compétence de la juridiction civile pour connaître du présent litige ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté du 6 octobre 2014 par lequel le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a élevé le conflit n'est pas entaché d'irrégularité ;
Sur la compétence :
Considérant que les litiges relatifs à la responsabilité de personnes auxquelles sont imputés des comportements susceptibles d'avoir altéré les stipulations d'un contrat administratif, notamment ses clauses financières, dont la connaissance relève de la juridiction administrative, et d'avoir ainsi causé un préjudice à la personne publique qui a conclu ce contrat, relèvent de la compétence de la juridiction administrative ;
Considérant que le présent litige a pour objet l'engagement de la responsabilité de sociétés et de leurs préposés en raison d'agissements susceptibles d'avoir conduit la région Ile-de-France à passer des marchés publics à des conditions de prix désavantageuses et tend à la réparation du préjudice qui résulterait de la différence entre les termes des marchés publics effectivement conclus et ceux auxquels ils auraient dû l'être dans des conditions normales de concurrence ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'un tel litige relève de la compétence de la juridiction administrative ; qu'il suit de là que c'est à bon droit que le préfet a élevé le conflit ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. L., M. M., Mme P., M. P., la société Nord France Boutonnat et la société Bouygues au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 8 juillet 2015 par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, est confirmé.
Article 2 : Sont déclarés nuls et non avenus la procédure engagée par la région Ile-de-France contre M. N. et autres devant le tribunal de grande instance de Paris, le jugement de cette juridiction du 17 décembre 2013, de même que la procédure engagée devant la cour d'appel de Paris et l'arrêt de cette cour en date du 24 juin 2015.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. L., M. M., Mme P., M. P., la société Nord France Boutonnat et la société Bouygues au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Ile-de-France, à MM. Léon N., Jacques B., Jacques D., Xavier J., Bruno B., Patrick L., Gérard P., Patrick B., à Mme Danièle P., à MM. François M., Gilbert S., la société Compagnie générale de bâtiment et construction (CBC), la société Nord France Boutonnat, la société Bouygues Bâtiment Ile-de-France, la société Entreprise de travaux publics André et Max Brézillon, la société Bouygues, la société Gespace France, la société industrielle de construction rapide (SICRA), la société Fougerolle, la société SPIE Opérations, la société SPIE SCGPM, la société Dumez Construction, la société Vinci Construction, la société Eiffage Construction, la société de participations et de gestions immobilières (SPGI), au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris et au ministre des finances et des comptes publics.