N° 3986
Conflit sur renvoi du tribunal administratif de Melun
M. H. c/ Préfet de Seine-et-Marne
M. Jean-Marc BéraudRapporteur
M. Bertrand DacostaCommissaire du gouvernement
Séance du 12 janvier 2015Lecture du 9 février 2015
LE TRIBUNAL DES CONFLITS
Vu l'expédition de l'ordonnance rendue le 9 octobre 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun, saisi d'une demande de M. H. tendant à obtenir sa mise en liberté alors qu'il était placé en rétention administrative par décision du préfet de Seine-et-Marne, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu l'ordonnance du 6 octobre 2014 par laquelle le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux s'est déclaré incompétent pour connaître du litige ;
Vu les observations présentées pour M. H. par la SCP Roger, Sevaux, Mathonnet tendant à ce que le juge judiciaire soit déclaré compétent en tant que gardien de la liberté individuelle et que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Vu les pièces du dossier desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au ministre de l'intérieur qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu les articles 66 et 62 de la Constitution ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Béraud, membre du Tribunal,- les observations de la SCP Spinosi, Sureau, pour la Cimade,- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la constitution en intervention volontaire de la Cimade n'ayant pas été accompagnée ni suivie d'observations écrites, il n'y a pas lieu de se prononcer sur son admission ;
Considérant que par arrêté du 28 août 2014, le préfet de Seine-et-Marne a fait obligation à M. H. de quitter sans délai le territoire français et, dans l'attente de son départ, l'a placé en rétention dans des locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire ; qu'après que la mesure a été prolongée deux fois pour vingt jours par le juge judiciaire, M. H. a saisi ce même juge d'une demande de mise en liberté au motif que le consulat d'Egypte, sollicité par l'administration en vue de la délivrance de documents de voyage, avait fait connaître l'impossibilité de fournir lesdits documents faute d'avoir pu établir la nationalité égyptienne de l'intéressé, que l'administration a alors sollicité le consulat de Tunisie sans qu'aucun indice ne laisse penser que M. H. soit ressortissant de ce pays, de sorte qu'il n'existait plus de perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement dans le délai restant à courir de la rétention ; qu'après que le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux se fut déclaré incompétent pour apprécier la condition de délai de mise en oeuvre de la mesure d'éloignement, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, estimant que le maintien en rétention résultait d'une décision du juge judiciaire et que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile attribuait compétence à ce dernier pour y mettre fin, a renvoyé au Tribunal le soin de décider sur la question de compétence ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ; que selon les articles L. 552-1 et L. 552-7 du même code, la prolongation de la rétention, dans la limite de deux fois vingt jours, est subordonnée à des décisions du juge judiciaire ; qu'il résulte des réserves d'interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti la déclaration de conformité à la Constitution de ces dispositions législatives, dans ses décisions n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 et n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, et qui s'imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l'article 62 de la Constitution, qu'il appartient au juge judiciaire de mettre fin, à tout moment, à la rétention administrative, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient ; qu'il résulte de ce qui précède que le juge judiciaire est seul compétent pour mettre fin à la rétention lorsqu'elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit ; que ce juge est dès lors compétent pour connaître du litige opposant M. H. au préfet de Seine-et-Marne ; que, toutefois, les délais légaux de rétention étant expirés, il n'y a pas lieu de renvoyer les parties devant cette juridiction ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande M. H... en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
Article 1er : Le juge judiciaire est compétent pour connaître du litige opposant M. H. au préfet de Seine-et-Marne.
Article 2 : L'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux en date du 6 octobre 2014 est annulée.
Article 3 : La procédure suivie devant le tribunal administratif de Melun est déclarée nulle et non avenue à l'exception de l'ordonnance du 9 octobre 2014.
Article 4 : Les conclusions de M. H. tendant à l'application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. H., au préfet de Seine-et-Marne, à la Cimade et au garde des sceaux, ministre de la justice.