Vu, enregistrée à son secrétariat le 19 juillet 1991, la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant la compagnie financière de C.I.C. et de l'union européenne, la banque internationale pour l'Afrique occidentale, la banque Louis Dreyfus, l'Européenne de banque, le crédit commercial de France, la banque Paribas, la banque Indosuez et la banque nationale de Paris, à la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur devant la cour d'appel de Paris ;
Vu le déclinatoire présenté le 17 juillet 1990 par le préfet de Paris, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;
Vu l'ordonnance des 12-21 mars 1831 modifiée ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié et complété par le décret du 25 juillet 1960 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de X... de Lacoste, membre du Tribunal,
- les observations de Me Choucroy, avocat de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur et de la S.C.P. Boré, Xavier, avocat de la compagnie financière de C.I.C. et de l'union européenne,
- les conclusions de M. Abraham, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure de conflit :
Considérant que l'arrêté de conflit a été signé par M. Y..., préfet, secrétaire général de la préfecture de Paris, agissant "par délégation" ; que, par un arrêté du 2 janvier 1991 régulièrement publié le 21 janvier 1991, le préfet de Paris lui avait donné délégation à l'effet de signer tous actes, arrêtés ... à l'exception de la présentation au conseil de Paris, siégeant en formation de conseil général, du rapport annuel des chefs de service de l'Etat dans le département ; que, dès lors, l'arrêté de conflit signé le 21 juin 1991 par M. Y... est régulier ;
Sur la compétence :
Considérant que la société française Creusot Loire et la société colombienne Papelcol ont signé un contrat ayant pour objet la construction d'une papeterie en Colombie ; que deux pools bancaires, constitués en France pour financer l'opération, ont consenti à la société Papelcol, l'un, un crédit acheteur de 1.141.391.300 F, l'autre, un crédit financier de 45.000.000 de dollars américains ; que la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (COFACE) a garanti le remboursement du crédit acheteur à concurrence de 95 % de son montant ;
Considérant que, les travaux de construction de l'usine ayant été interrompus et la société Papelcol faisant l'objet d'une procédure concordataire, la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur a versé aux banques ayant consenti le crédit acheteur une somme de 1.382.599.744 F en principal et intérêts ; que des négociations, engagées par les gouvernements français et colombien en vue d'un règlement amiable, ont abouti le 9 août 1988 à la signature : 1° par les ministres de l'économie des deux pays, d'un accord aux termes duquel les créances des banques seraient cédées, au plus tard le 9 octobre 1988, à l'Instituto de Fomento Industrial (IFI) moyennant le prix de 450.000.000 de francs, payable dans un délai de six mois et devant être versé à un compte ouvert à la banque française du commerce extérieur (BFCE), les deux Etats déclarant en outre se porter garants de l'application des engagements pris par les parties concernées ; 2° par les banques et l'Instituto de Fomento Industrial, d'une convention contenant les engagements réciproques mentionnés dans l'accord intergouvernemental, convention qui a été exécutée ;
Considérant que, par une décision du 18 avril 1988, modifiée le 7 octobre 1988, le ministre français de l'économie et des finances a fixé la répartition, entre la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur et les banques des deux pools, du prix de cession des créances ; que les banques ayant consenti le crédit financier, contestant cette répartition et prétendant avoir droit à une somme supplémentaire de 42.150.000 F, ont, d'une part, obtenu en référé la consignation de cette somme, d'autre part, assigné la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur et la banque française du commerce extérieur devant le tribunal de commerce de Paris pour en avoir paiement ;
Considérant que la répartition, entre les banques des deux pools et la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, du prix de cession des créances n'était pas prévue par l'accord intergouvernemental précité ; qu'elle procède d'une décision du ministre français de l'économie et des finances, qui en a pris seul l'initiative et en a fixé les modalités ; que, dès lors, cette décision ne peut être regardée ni comme une mesure d'exécution de l'accord intergouvernemental - accord dont elle est détachable -, ni comme un acte relevant de la protection diplomatique et qui, comme tel, ne serait pas susceptible de faire l'objet d'une action contentieuse ;
Considérant que le litige, qui oppose des personnes morales de droit privé et qui porte sur la répartition, entre elles, de fonds provenant de la cession de créances, ressortit à la juridiction de l'ordre judiciaire ;
Considérant que la décision précitée du ministre de l'économie et des finances constitue un acte administratif individuel faisant grief, dont il appartient à la seule juridiction administrative - en l'absence de toute voie de fait - d'apprécier la validité ; que, dans la mesure où l'issue du litige dépend de cette appréciation, il incombe à la juridiction judiciaire de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la question préjudicielle ainsi posée ; qu'ainsi, dans la même mesure, c'est à bon droit que le conflit a été élevé ;
Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 21 juin 1991 par le préfet de Paris est confirmé en ce qu'il revendique, pour la juridiction administrative, la connaissance de la question préjudicielle afférente à la validité de la décision prise par le ministre de l'économie et des finances quant à la répartition, entre les parties concernées, des fonds versés par l'Instituto de Fomento Industrial ; il est annulé pour le surplus.
Article 2 : Est déclaré nul et non avenu l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 5 juin 1991 en tant que, par cet arrêt, la cour d'appel a refusé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative ait tranché la question préjudicielle définie à l'article 1er.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est charge d'en assurer l'exécution.