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25/07/2025 | FRANCE | N°C2590685

France | France, Cour de cassation, Assemblee pleniere, 25 juillet 2025, C2590685


LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :


COUR DE CASSATION MFM




ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE




Arrêt du 25 juillet 2025


CASSATION


M. SOULARD, premier président


Arrêt n° 685 B+R


Pourvoi n° C 24-84.393










R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E






AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS






ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 25 JUILLET 2025
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LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

COUR DE CASSATION MFM

ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Arrêt du 25 juillet 2025

CASSATION

M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 685 B+R

Pourvoi n° C 24-84.393

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 25 JUILLET 2025

La procureure générale près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 26 juin 2024, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée, des chefs de complicité de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, a prononcé sur la demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 30 septembre 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Par ordonnance en date du 5 mars 2025, le premier président de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière de ladite Cour.

Un mémoire a été produit par la procureure générale près la cour d'appel de Paris.

Un mémoire en défense au pourvoi a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [D] [R], Mme [M] [L], M. [P] [Y] [X], Mme [V] [J], M. [O] [K] et Mme [H] [K], [A] [C] [CB], les associations [3], [5], le [2], MM. [EU] [I], [F] [N], [G] [B], [T] [W] et l'[6].

Des observations ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat des défendeurs.

Le rapport écrit de Mme Leprieur, conseillère, et l'avis écrit de M. Heitz, procureur général, ont été mis à la disposition des parties.

Sur le rapport de Mme Leprieur, conseillère, assistée de Mme Camus, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, et l'avis de M. Heitz, procureur général, auquel la SCP Sevaux et Mathonnet, invitée à le faire, n'a pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 4 juillet 2025 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Bonnal, Vigneau, Mmes Champalaune, Martinel, présidents, MM. Huglo, Boyer, doyens de chambre faisant fonction de présidents, Mme Leprieur, conseillère rapporteure, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, M. Ponsot, doyens de chambre, Mmes Mariette, Renaud-Malignac, Proust, conseillères faisant fonction de doyennes de chambre, Mmes Guihal, Degouys, Isola, de Lacaussade, Foucher-Gros, conseillères, M. Heitz, procureur général, et Mme Mégnien, cadre greffière,

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 4 mars 2021, Mme [M] [L], de nationalités française et syrienne, ainsi qu'une association, ont porté plainte et se sont constituées parties civiles contre personne non dénommée des chefs de crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Mme [L] a dénoncé avoir été la cible, avec sa famille, de deux attaques chimiques en Syrie, la première, le 5 août 2013, à [Localité 4], et la seconde, le 21 août suivant, dans la périphérie de cette ville.

3. Le 26 avril 2021, une information a été ouverte contre personne non dénommée des chefs de crimes contre l'humanité et crimes de guerre, faits commis en Syrie, courant août 2013.

4. Selon l'arrêt attaqué, l'information a permis d'établir que deux attaques chimiques au gaz sarin avaient eu lieu les 5 et 21 août 2013 en Syrie, visant la population civile de [Localité 1], [Localité 4] et de la Ghouta orientale, qu'elles étaient le fait d'unités militaires syriennes et s'inscrivaient dans une stratégie militaire générale d'offensive de l'armée syrienne dans la Ghouta orientale. L'usage des armes chimiques par l'État syrien s'avérait dépendre d'une chaîne de commandement spécifique, placée sous les ordres directs du président, M. [Z] [S].

5. Le 13 novembre 2023, les juges d'instruction ont décerné, à l'encontre de ce dernier, un mandat d'arrêt des chefs de complicité de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

6. Par requête du 19 décembre 2023, le procureur national antiterroriste a saisi la chambre de l'instruction afin qu'il soit statué sur la régularité de ce mandat d'arrêt.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen est pris de la violation de la coutume internationale relative à l'immunité personnelle des chefs d'État en exercice, ainsi que de l'article 591 du code de procédure pénale.

8. Il critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation du mandat d'arrêt décerné à l'encontre de M. [S], alors :

1°/ que l'immunité personnelle reconnue par la coutume internationale couvre l'ensemble des actes commis par le chef de l'État, tant à titre officiel qu'à titre privé, de sorte qu'à supposer que les actes incriminés puissent être qualifiés d'actes détachables des fonctions, cette seule circonstance ne suffirait pas à écarter le bénéfice de cette immunité ; qu'au demeurant, les actes dont il s'agit ne sauraient être qualifiés d'actes détachables des fonctions ;

2°/ que l'immunité personnelle du chef de l'État, principe fondamental de l'ordre juridique international, procédant du principe d'égalité souveraine des États, conserve un caractère absolu devant les juridictions nationales ; que si la Cour de cassation a réservé la possibilité d'une exception, qui relèverait de la compétence de la communauté internationale, elle n'en a jamais admis ; que les juridictions internationales n'ont pas établi l'existence, en droit international coutumier, d'une exception à cette règle et que la doctrine internationale s'accorde sur le caractère absolu de l'immunité personnelle ;

3°/ que le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et ne s'oppose pas à une limitation de ce droit découlant de l'immunité des États étrangers et de leurs représentants ; qu'au demeurant, l'immunité de juridiction d'un chef d'État en exercice ne signifie pas qu'il bénéficie d'une impunité au titre de crimes qu'il aurait pu commettre.

Réponse de la Cour

Vu les principes généraux du droit international relatifs à l'immunité de juridiction des chefs d'État en exercice :

9. L'immunité pénale de juridiction procède de l'égalité souveraine des États.

10. Elle s'applique devant les juridictions nationales. Le principe de l'immunité ne peut être opposé devant les juridictions internationales, dont les statuts écartent expressément toute immunité, et qui agissent au nom de la communauté internationale.

11. L'immunité personnelle, distincte de l'immunité fonctionnelle, est reconnue aux seuls chef d'État, chef du gouvernement et ministre des affaires étrangères, en exercice. Elle concerne tous les actes accomplis, tant à titre privé qu'à titre officiel.

12. Constituant ainsi un obstacle procédural manifeste à l'exercice de sa compétence par une juridiction nationale, l'immunité personnelle doit être examinée d'office par le juge.

13. L'immunité personnelle, qui trouve son fondement dans la coutume internationale, a pour objet de permettre l'exercice des fonctions régaliennes de représentation internationale et de préserver un État souverain de toute ingérence étrangère.

14. Le principe de l'égalité souveraine des États, qui signifie que tous les États sont des membres égaux de la communauté internationale, nonobstant les différences d'ordre économique, social, politique ou d'une autre nature, comprend l'inviolabilité de l'indépendance politique de l'État (Résolution 2625 (XXV) de l'assemblée générale des Nations unies du 24 octobre 1970, portant Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations unies).

15. Par ailleurs, l'article 29 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques prévoit que la personne de l'agent diplomatique est inviolable et que celui-ci ne peut être soumis à aucune forme d'arrestation ou de détention. La Cour internationale de justice a jugé que la règle de droit international coutumier reflétée à cet article, bien que concernant les agents diplomatiques, est nécessairement applicable aux chefs d'État (CIJ, arrêt du 4 juin 2008, Certaines questions concernant l'entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), § 174).

16. L'objet de l'immunité personnelle, ainsi défini, commande que celle-ci ne soit pas liée à la reconnaissance de la qualité de chef d'État par l'État du for ou à l'existence de relations diplomatiques entre les deux États.

17. En effet, la reconnaissance de gouvernement est un acte unilatéral, politique, par lequel un État accorde à ce gouvernement des droits dans leurs relations bilatérales. Le droit international coutumier ne prescrit pas d'obligation de reconnaissance et ne règle ni les conditions ni les effets sur les immunités d'un tel acte discrétionnaire.

18. Si l'immunité personnelle devait être conditionnée à la reconnaissance, cela aboutirait à attribuer à chaque État, démocratique ou non, la compétence discrétionnaire d'autoriser devant ses juridictions des poursuites pénales à l'encontre d'un chef d'État étranger. Il serait ainsi porté atteinte à la substance même de l'immunité personnelle.

19. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'acte unilatéral par lequel un État décide de ne plus reconnaître un gouvernement ne saurait emporter des effets sur l'immunité personnelle d'un chef d'État en exercice en dérogeant à la coutume internationale.

20. Il convient par conséquent de retenir que M. [S] est susceptible de bénéficier de l'immunité personnelle, sans qu'il soit nécessaire d'apprécier si, au jour des poursuites, il était reconnu par la France en qualité de chef d'État.

21. Par ailleurs, la régularité d'un mandat d'arrêt, au regard du droit des immunités, doit s'apprécier en fonction de la situation factuelle au jour de sa délivrance.

22. Ainsi, la perte par M. [S] de la qualité de chef d'État en exercice postérieurement à l'émission du mandat d'arrêt ne saurait avoir une incidence sur la validité de cet acte.

23. Dès lors, le présent pourvoi pose la question de savoir si, en droit international, l'immunité de juridiction pénale personnelle connaît des exceptions.

24. La Cour de cassation a jugé que la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger (Crim., 13 mars 2001, pourvoi n° 00-87.215, Bull. crim. 2001, n° 64).

25. Elle a ajouté qu'iI appartient à la communauté internationale de fixer les éventuelles limites de ce principe, lorsqu'il peut être confronté à d'autres valeurs reconnues par cette communauté, et notamment celle de la prohibition de la torture. Elle a retenu que le crime de tortures et actes de barbarie, quelle qu'en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l'immunité de juridiction des chefs d'État étrangers en exercice (Crim., 2 septembre 2020, pourvoi n° 18-84.682, publié au Bulletin).

26. Si la Cour de cassation a ainsi admis la possibilité d'exceptions au principe de l'immunité de juridiction personnelle, elle n'en a jamais concrètement reconnu. Elle a statué dans des cas qui ne concernaient ni des crimes contre l'humanité ni des crimes de guerre.

27. Aussi, il convient de déterminer si le principe d'immunité personnelle peut être opposé lorsque les faits poursuivis constituent des crimes internationaux par nature, tels un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

28. En premier lieu, il a pu être soutenu que des crimes internationaux ne peuvent pas être considérés comme relevant de l'exercice légitime de ses fonctions officielles par un chef d'État et qu'à ce titre ils ne peuvent être couverts par une immunité personnelle de juridiction.

29. Cependant, l'immunité en matière pénale s'applique, par principe, à des actes ne relevant pas de l'exercice normal des fonctions et l'immunité personnelle du chef d'État en exercice n'est pas limitée aux actes de souveraineté.

30. Au demeurant, certains crimes internationaux impliquent nécessairement l'exercice de prérogatives étatiques. En droit français, l'article 212-1,10°, du code pénal énonce que constituent un crime contre l'humanité les actes de ségrégation commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime.

31. En deuxième lieu, il a pu être également soutenu, pour soustraire les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre au champ d'application de l'immunité personnelle, que ceux-ci violent des normes de jus cogens, lesquelles, selon l'article 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, s'entendent de normes impératives de droit international général, acceptées et reconnues par la communauté internationale des États dans son ensemble.

32. En l'état, le droit international n'admet cependant pas d'exception à l'immunité personnelle en raison de ce que le crime en cause est prohibé par une telle norme impérative.

33. La Cour internationale de justice, statuant en matière d'immunité civile d'un État, a d'ailleurs écarté l'existence d'un conflit de normes entre les règles de jus cogens et celles de droit coutumier relatives à l'immunité. Selon cette Cour, les règles régissant l'immunité, qui se bornent à déterminer si les tribunaux d'un État sont fondés à exercer leur juridiction à l'égard d'un autre, sont sans incidence sur la question de savoir si le comportement incriminé est licite ou illicite (CIJ, arrêt du 3 février 2012, Immunités juridictionnelles de l'État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant), § 93)). Cette analyse apparaît transposable à l'immunité personnelle de juridiction en matière pénale.

34. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le bénéfice de l'immunité ne doit pas être considéré comme un tempérament à un droit matériel, mais comme un obstacle procédural à la compétence des cours et tribunaux nationaux pour statuer sur ce droit (CEDH, décision du 23 mai 2024, M.M. c. France, n° 13303/21).

35. L'immunité n'équivaut pas à l'impunité. Elle n'exonère pas la personne qui en bénéficie de sa responsabilité pénale.

36. En effet, d'une part, les crimes reprochés à un chef d'État peuvent être jugés devant les tribunaux nationaux de son propre pays, voire, dans certains cas, une juridiction pénale internationale ou ad hoc.

37. D'autre part, l'immunité personnelle est temporaire, car limitée à la durée du mandat. Après avoir cessé ses fonctions, un chef d'État est susceptible de bénéficier d'une immunité fonctionnelle. Or, cette dernière, comme la Cour de cassation le juge désormais, ne peut pas être opposée en cas de poursuites des chefs de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre (Ass. plén., 25 juillet 2025, pourvoi n° 24-84.071, publié au Bulletin).

38. En troisième lieu, la coutume internationale ne reconnaît pas d'exception ou de limitation à la règle consacrant l'immunité de juridiction pénale d'un chef d'État en exercice, lorsqu'il est soupçonné d'avoir commis des crimes internationaux, tels des crimes contre I'humanité ou des crimes de guerre.

39. La rapporteure spéciale de la Commission du droit international des Nations unies, dans son cinquième rapport sur l'immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l'État, a conclu qu'il n'est pas possible de déterminer, sur la base de la pratique, l'existence d'une règle coutumière permettant d'appliquer des limites ou des exceptions à l'immunité personnelle, ni d'identifier une tendance en ce sens (14 juin 2016, A/CN. 4/701, § 240).

40. A cet égard, si la chambre des Lords a jugé, le 24 mars 1999, qu'[U] [E] bénéficiait de l'immunité de juridiction pour tous les actes accomplis avant le 8 décembre 1988, date de la ratification par le Royaume-Uni de la Convention sur la torture, mais ne pouvait en bénéficier après cette date (Regina v. Bartle and the Commissioner of Police for the Metropolis and Others Ex Parte Pinochet et Regina v. Evans and Another and the Commissioner of Police for the Metropolis and Others Ex Parte Pinochet, R v. [1999] UKHL 17, 24 mars 1999), cette décision ne concerne pas l'immunité personnelle d'un chef d'État en exercice, mais l'immunité fonctionnelle d'un ancien chef d'État.

41. Le Comité de rédaction de la Commission du droit international a provisoirement adopté, en 2024, un projet d'article 4 relatif à la portée de l'immunité personnelle, selon lequel cette immunité s'étend à tous les actes qui sont accomplis, tant à titre privé qu'à titre officiel, par les chefs d'État, les chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères au cours de leur mandat ou antérieurement à celui-ci. Aucune exception ou limitation n'est prévue (23 juillet 2024, A/CN.4/L.1001).

42. En outre, si le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté diverses résolutions relatives à la Syrie, notamment celle du 27 septembre 2013 selon laquelle les personnes responsables de l'emploi d'armes chimiques en République arabe syrienne doivent répondre de leurs actes, de telles résolutions sont dépourvues d'effet en ce qui concerne les immunités. La Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction, en date du 13 janvier 1993, ne contient aucune disposition concernant les immunités.

43. Il résulte de ce qui précède qu'en l'état du droit international, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ne font pas exception au principe de l'immunité de juridiction des chefs d'État étrangers en exercice.

44. Cette solution n'est pas contraire au droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui n'est pas absolu et ne s'oppose pas à une limitation, découlant de l'immunité des États étrangers et de leurs représentants, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en matière d'immunité des États (Crim., 2 septembre 2020, pourvoi n° 18-84.682, publié au Bulletin).

45. En l'espèce, pour écarter la nullité du mandat d'arrêt délivré à l'encontre de M. [S], l'arrêt attaqué énonce que le droit international pose désormais des exceptions au principe de l'immunité personnelle en matière de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.

46. Après avoir énoncé que, si la finalité de l'immunité personnelle est de permettre au chef d'État d'exercer normalement ses fonctions de représentation internationale, cet objectif doit être écarté quand celui-ci sort du champ de ladite protection, les juges relèvent que M. [S] s'est de lui-même exclu du champ d'application de l'immunité personnelle en utilisant des armes chimiques contre sa propre population, ce qui ne constitue pas un acte relevant des fonctions normales d'un chef d'État.

47. Ils précisent que le recours à de telles armes chimiques est formellement interdit par une norme impérative de droit international, que ce soit sous une qualification autonome ou comme constitutive d'un crime international.

48. Ils ajoutent que les crimes internationaux dont il s'agit ne pouvant être considérés comme faisant partie des fonctions officielles d'un chef d'État, ils sont détachables de la souveraineté naturellement attachée à ces fonctions.

49. Selon les juges, c'est ce qu'a estimé le Conseil de sécurité des Nations unies, qui a adopté des résolutions exigeant que les auteurs des crimes constitués par les attaques chimiques de 2013 en Syrie soient poursuivis, et ce quelle que soit leur qualité officielle.

50. Enfin, pour écarter l'immunité, les juges soulignent encore que la Syrie ne poursuivra jamais M. [S] pour ces crimes, qu'elle ne renoncera jamais d'elle-même à l'immunité personnelle de son président, et qu'aucune juridiction internationale n'est compétente, la Syrie n'étant pas partie au Statut de Rome.

51. En statuant comme elle l'a fait, la chambre de l'instruction a méconnu les principes ci-dessus rappelés et énoncés.

52. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

53. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

54. Il convient dès lors de prononcer l'annulation du mandat d'arrêt du 13 novembre 2023. Pour les motifs exposés au paragraphe 37, cette annulation est sans incidence sur la validité d'un mandat d'arrêt délivré postérieurement à la perte de la qualité de chef d'État en exercice.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 26 juin 2024 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que le mandat d'arrêt délivré le 13 novembre 2023 contre M. [S] est nul ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt-cinq juillet deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Assemblee pleniere
Numéro d'arrêt : C2590685
Date de la décision : 25/07/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Analyses

IMMUNITE

1°) L'immunité personnelle reconnue aux chef d'État, chef du gouvernement et ministre des affaires étrangères, en exercice, doit être examinée d'office par le juge national. 2°) L'acte unilatéral par lequel un État décide de ne plus reconnaître un gouvernement ne saurait emporter des effets sur l'immunité personnelle d'un chef d'État en exercice en dérogeant à la coutume internationale. 3°) La régularité d'un mandat d'arrêt, au regard du droit des immunités, doit s'apprécier en fonction de la situation factuelle au jour de sa délivrance. 4°) En l'état du droit international, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ne font pas exception au principe de l'immunité de juridiction des chefs d'État étrangers en exercice


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 26 juin 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Ass. Plén., 25 jui. 2025, pourvoi n°C2590685


Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2590685
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