LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 juillet 2025
Cassation sans renvoi
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 391 FS-B
Pourvoi n° Z 24-16.379
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 JUILLET 2025
1°/ Le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, domicilié [Adresse 4], agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques,
2°/ la directrice générale des finances publiques, domiciliée [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° Z 24-16.379 contre l'arrêt rendu le 2 avril 2024 par la cour d'appel de Versailles (chambre civile 1-1), dans le litige les opposant à Mme [Z] [V], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques et de la directrice générale des finances publiques, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [V], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, à la suite duquel le premier président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Vigneau, président, M. Alt, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Ducloz, de Lacaussade, MM. Thomas, Gauthier, conseillers, Mmes Vigneras, Lefeuvre, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des premier président, président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 avril 2024) et les productions, [P] [V] a, de son vivant, procédé à diverses donations au profit de deux personnes en 1999, 2002 et 2005, pour lesquelles il s'est acquitté des droits de mutation à titre gratuit correspondants.
2. [P] [V] est décédé le [Date décès 2] 2016, en laissant pour lui succéder son épouse et sa fille unique, Mme [Z] [V]. Les 9 janvier et 14 mars 2017, à la suite d'une action exercée par Mme [V] en réduction des donations consenties par son père, celle-ci a signé avec chacune des deux donataires des protocoles d'accord prévoyant le versement d'une indemnité de réduction par chacune d'elles.
3. Le 28 juin 2019, Mme [V] a déposé deux réclamations contentieuses sollicitant la restitution de la totalité des droits de mutation à titre gratuit perçus au titre des deux dons manuels.
4. Les 20 et 29 août 2019, l'administration fiscale a accueilli intégralement ses demandes.
5. Par lettre du 6 juillet 2020, Mme [V] a présenté une demande en vue d'obtenir le versement d'une certaine somme au titre des intérêts moratoires afférents aux restitutions des droits de mutation à titre gratuit prononcées par l'administration fiscale, puis a assigné l'administration en paiement de cette somme.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris fait grief à l'arrêt d'accueillir les demandes de Mme [V], alors « que, lorsqu'un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts ; que les intérêts courent du jour du paiement et ne sont pas capitalisés ; que, par conséquent, pour bénéficier du versement des intérêts moratoires, le dégrèvement doit intervenir à la suite d'une réclamation contentieuse qui tend à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions ; qu'en jugeant que Mme [V] devait bénéficier du versement des intérêts moratoires, quand, au cas présent, aucune erreur n'a été commise dans la liquidation initiale des droits restitués et qu'ainsi les conditions de versement des intérêts moratoires n'étaient pas remplies; la cour d'appel a violé l'article L. 208 du livre des procédures fiscales (LPF). »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 190, alinéa 1 et L. 208, alinéa 1, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2023-322 du 29 décembre 2023, du livre des procédures fiscales :
7. Aux termes du premier de ces textes, les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire.
8. Selon le second, quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts.
9. Il résulte de la combinaison des articles L. 190 et L. 208 susvisés que les dégrèvements prononcés par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à obtenir le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire n'ouvrent pas droit au versement par l'Etat au contribuable d'intérêts moratoires. Il n'en va autrement que si le dégrèvement intervient postérieurement au rejet, explicite ou né du silence gardé par l'administration au-delà du délai prévu à l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, de la réclamation formée à cette fin.
10. Pour condamner l'administration fiscale à payer des intérêts moratoires à Mme [V], l'arrêt, après avoir relevé qu'elle avait, le 28 juin 2019, saisi cette administration d'une réclamation contentieuse aux motifs d'une réduction, pour atteinte aux règles relatives à la réserve héréditaire, des dons manuels consentis par [P] [V], et que l'administration fiscale avait, les 20 et 29 août 2019, prononcé des dégrèvements de droits de mutation à titre gratuit, retient que l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ne cantonne pas son application aux circonstances que l'erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions l'ait été dès l'origine par l'administration fiscale, de sorte qu'introduire cette condition pour sa mise en oeuvre en limiterait la portée. Il ajoute que ce texte s'applique dès la constatation d'une erreur dans l'assiette ou le calcul de l'imposition, peu important que l'administration fiscale ne soit pas à l'origine de celle-ci, et donc peu important que l'erreur soit initiale ou résulte de circonstances intervenues postérieurement au calcul initial de l'administration fiscale.
11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la réclamation contentieuse, que l'administration avait accueillie dans le délai de l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, visait à obtenir le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire, de sorte que la restitution effectuée par l'administration n'ouvrait pas droit au versement d'intérêts moratoires, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. Il résulte de ce qui est indiqué au paragraphe 8 que les sommes restituées à Mme [V] ne peuvent donner lieu au paiement d'intérêts moratoires.
15. Le jugement rejetant les demandes de Mme [V] doit, en conséquence, être confirmé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 avril 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre ;
Condamne Mme [V] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [V] et la condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.