LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 juillet 2025
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, présidente
Arrêt n° 502 F-D
Pourvoi n° R 23-18.437
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2025
1°/ M. [X] [K],
2°/ Mme [C] [M], épouse [K],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° R 23-18.437 contre l'arrêt rendu le 14 avril 2023 par la cour d'appel d'Angers (chambre A - civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [T] [B], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société Yannick Riou, notaire, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de M. [T] [B],
3°/ à la société HSA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à M. [V] [G], domicilié [Adresse 6],
5°/ à la société Gloaguen & associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de M. et Mme [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [B] et de la société Gloaguen & associés, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présents Mme Champalaune, présidente, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseillère doyenne, et Mme Vignes, greffière de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme [K] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Selarl Yannick Riou, venant aux droits de M. [B], de la Selarl HSA et de M. [G].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 14 avril 2023), statuant sur renvoi après cassation (1re Civ., 27 novembre 2019, pourvoi n° 18-22.147), après consultation de la société Gloaguen & associés (la société d'avocats), M. et Mme [K] (les donateurs) ont, suivant acte authentique reçu le 10 décembre 2010 par M. [B] (le notaire), fait donation à titre de partage anticipé entre leurs deux enfants de la nue-propriété des parts sociales de deux sociétés civiles immobilières.
3. Courant 2014, l'administration fiscale a notifié à M. [K], en sa qualité de gérant des sociétés, et aux donateurs, des propositions de rectification sur l'ensemble des revenus imposables au motif que, si chaque société était propriétaire de deux maisons pour lesquelles il avait été opté pour le dispositif dit « Borloo neuf », le démembrement des parts sociales par l'acte de donation-partage remettait en cause le bénéfice de ce dispositif.
4. Estimant que le notaire et la société d'avocats avaient manqué à leurs obligations d'information et de conseil, les donateurs les ont assignés en responsabilité et indemnisation.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens, pris en leur troisième branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Les donateurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes dirigées contre le notaire, alors « que le notaire est tenu d'indemniser tous les préjudices en lien de causalité avec la faute professionnelle qu'il a commise ; que la cour d'appel a retenu que le notaire avait commis une faute en n'attirant pas l'attention les donateurs sur le fait que la donation-partage au profit de leurs enfants de la nue-propriété des parts sociales qu'ils détenaient dans deux SCI était de nature à remettre en cause le bénéfice du dispositif fiscal « Borloo neuf », lequel était subordonné à l'engagement de maintenir les biens en location pendant une durée d'au moins neuf ans ; que, pour rejeter l'action en responsabilité contre ce notaire, la cour d'appel a retenu que, s'il était établi que les deux SCI avaient opté pour le dispositif « Borloo neuf » en s'engageant à louer les immeubles leur appartenant pendant au moins neuf ans, en revanche, les donateurs ne justifiaient pas voir satisfait à leurs propres obligations déclaratives de conservation des parts de ces SCI pendant la même durée, auxquelles était également subordonné le bénéfice du dispositif fiscal, et considéré qu'il importait peu « que l'administration fiscale se soit uniquement prévalue, pour remettre en cause l'avantage fiscal du dispositif « Borloo neuf », du non-respect par les donateurs des engagements de conservation des parts que ceux-ci auraient dû souscrire, et non de l'absence de ces engagements, dès lors qu'il ne ressort nullement des propositions de rectification et réponses aux contribuables que ces engagements ont effectivement été souscrits », de sorte que la faute du notaire était sans lien avec la perte de l'avantage fiscal ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses propres constatations que l'administration fiscale avait fondé les redressements sur le « non-respect par les donateurs des engagements de conservation des parts que ceux-ci auraient dû souscrire », ce dont il résulte que l'administration n'avait pas remis en cause la réalité de cet engagement, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil (dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; nouvel article 1240 du code civil). »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
7. Il résulte de ce texte qu'ouvre droit à réparation le dommage en lien causal direct et certain avec la faute délictuelle.
8. Pour rejeter la demande d'indemnisation dirigée contre le notaire, l'arrêt retient que les donateurs ne justifient pas avoir satisfait à leurs propres obligations déclaratives en tant que porteurs de parts des sociétés civiles immobilières, faute de produire leurs engagements personnels à conserver celles-ci pendant une durée de neuf ans, engagements qui devaient être constatés lors du dépôt de leur déclaration de revenus de l'année au titre de laquelle les parts ont été souscrites ou acquises ou, si elle est postérieure, de l'année de l'acquisition ou de l'achèvement de l'immeuble, soit l'année 2009.
9. Il ajoute qu'il importe peu que l'administration fiscale se soit uniquement prévalue, pour remettre en cause l'avantage fiscal du dispositif « Borloo neuf », du non-respect par les donateurs des engagements de conservation des parts que ceux-ci auraient dû souscrire, et non de l'absence de ces engagements, dès lors qu'il ne ressort nullement des propositions de rectification et réponses aux contribuables que ces engagements ont effectivement été souscrits.
10. Il en déduit qu'il ne peut être considéré que le manquement du notaire à son devoir de conseil et d'information est en lien de causalité avec le redressement fiscal dont les donateurs ont fait l'objet sur la période 2009-2013 et la perte de l'avantage lié au dispositif « Borloo neuf » pour les années suivantes.
11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'administration n'avait pas remis en cause la réalité des engagements personnels des donateurs à conserver leurs parts pendant une durée de neuf ans, de sorte que seul le manquement du notaire à ses obligations était la cause du redressement notifié par l'administration, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. Les donateurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation des préjudices financiers et moral contre la société d'avocats, alors « que l'avocat est tenu d'indemniser tous les préjudices en lien de causalité avec la faute professionnelle qu'il a commise ; que la cour d'appel a retenu que la société d'avocats avait commis une faute pour s'être abstenue de vérifier les éventuels avantages fiscaux associés à la détention des parts des SCI, le cas échéant en réclamant la communication du dernier avis d'imposition et/ou de la dernière déclaration de revenus des donateurs ; que, pour rejeter l'action en responsabilité contre l'avocat, la cour d'appel a retenu que, s'il était établi que les deux SCI avaient opté pour le dispositif « Borloo neuf » en s'engageant à louer les immeubles leur appartenant pendant au moins neuf ans, en revanche, les donateurs ne justifiaient pas avoir satisfait à leurs propres obligations déclaratives de conservation des parts de ces SCI pendant la même durée, et considéré qu'il importait peu « que l'administration fiscale se soit uniquement prévalue, pour remettre en cause l'avantage fiscal du dispositif « Borloo neuf », du non-respect par les donateurs des engagements de conservation des parts que ceux-ci auraient dû souscrire, et non de l'absence de ces engagements, dès lors qu'il ne ressort nullement des propositions de rectification et réponses aux contribuables que ces engagements ont effectivement été souscrits », de sorte que la faute de l'avocat était sans lien avec la perte de l'avantage fiscal ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses propres constatations que l'administration fiscale avait fondé les redressements sur le « non-respect par les donateurs des engagements de conservation des parts que ceux-ci auraient dû souscrire », ce dont il résulte que l'administration n'avait pas remis en cause la réalité de cet engagement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil (dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; nouvel article 1231-1 du code civil). »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
13. Il résulte de ce texte qu'ouvre droit à réparation le dommage en lien causal direct et certain avec la faute contractuelle.
14. Pour rejeter la demande d'indemnisation dirigée contre la société d'avocats, l'arrêt retient que la faute de celle-ci n'est, pas plus que celle du notaire ayant le même objet, en relation de causalité avec les préjudices financier et moral invoqués par les donateurs.
15. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'administration n'avait pas remis en cause la réalité de l'engagement des donateurs à conserver leurs parts pendant une durée de neuf ans, de sorte que seul le manquement de la société d'avocats à ses obligations était la cause du redressement notifié par l'administration, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne M. [B] et la société Gloaguen & associés aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] et la société Gloaguen & associés et condamne chacun à payer à M. et Mme [K] la somme de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.