La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2025 | FRANCE | N°12500459

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 25 juin 2025, 12500459


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


MY1






COUR DE CASSATION
______________________




Arrêt du 25 juin 2025








Rejet




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 459 F-D


Requête n° D 24-50.009














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________

________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 JUIN 2025


M. [N] [R], domicilié [Adresse 1], a formé la requête n° D 24-50.009 contre l'avis rendu le 25 janvier 2024 par le conseil de l'ordre des avocats à la Cour de cassa...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 25 juin 2025

Rejet

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 459 F-D

Requête n° D 24-50.009

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 JUIN 2025

M. [N] [R], domicilié [Adresse 1], a formé la requête n° D 24-50.009 contre l'avis rendu le 25 janvier 2024 par le conseil de l'ordre des avocats à la Cour de cassation, dans le litige l'opposant à la SCP Fabiani Pinatel, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [R], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 mai 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Le 3 septembre 2004, M. [R] a été engagé par l'organisme de gestion du lycée privé [3] (l'Ogec) en qualité de surveillant d'internat.

2. Il a été placé en arrêt de travail du 18 septembre 2008 au 1er juillet 2011 et a ensuite repris ses fonctions en mi-temps thérapeutique.

3. Il a été licencié pour faute grave le 30 septembre 2011.

4. Il a contesté son licenciement devant le conseil de prud'hommes qui, par jugement du 9 juillet 2013, a retenu que le licenciement pour faute grave était justifié.

5. Par arrêt du 3 mai 2016, la cour d'appel a, d'une part, rejeté ses demandes en annulation du licenciement en lien avec des faits de harcèlement, réintégration et paiement de dommages et intérêts, d'autre part, requalifié son licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse en raison de faits d'insubordination et de dénigrement de l'employeur par le salarié et condamné l'Ogec au paiement de diverses indemnités.

6. M. [R], représenté par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel (la SCP) a formé un pourvoi en cassation le 30 juin 2016 (n° P 16-19.741), auquel a été joint un second pourvoi formé le 4 juillet 2016 (n° Z 1619958). La SCP a déposé, le 31 octobre 2016, deux mémoires ampliatifs identiques.

7. Le 7 février 2018, le pourvoi a été rejeté par décision non spécialement motivée.

8. Par requête du 30 décembre 2022, M. [R] a saisi le conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (le conseil de l'ordre) d'une demande d'avis, en vue d'engager la responsabilité de la SCP.

9. Par un avis du 25 janvier 2024, le conseil de l'ordre a conclu que la responsabilité de la SCP n'était pas engagée.

10. Par requête reçue au greffe le 15 mars 2024, M. [R] a saisi la Cour de cassation, en application des articles 13, alinéa 2, de l'ordonnance du 10 septembre 1817 et R. 411-3 du code de l'organisation judiciaire. Il demande la condamnation de la SCP à lui payer des indemnités de 278 010,47 euros au titre de sa perte de chance d'obtenir l'annulation du licenciement en lien avec un harcèlement ou de 161 475,47 euros au titre de sa perte de chance de faire juger que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, outre une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

11. La SCP n'a pas conclu en défense.

Examen de la requête

Exposé de la requête

12. En premier lieu, M. [R] soutient que la SCP a commis une faute lui ayant fait perdre une chance d'obtenir la cassation de l'arrêt, en s'abstenant de soulever différents griefs qui auraient pu aboutir à la censure de la décision s'ils avaient été présentés.

13. Il prétend, d'abord, que la cour d'appel s'est fondée sur des motifs insuffisants et impropres à exclure le harcèlement invoqué comme étant en lien avec le licenciement et que la SCP aurait dû soulever des moyens pour contester :

- sa motivation dès lors qu'elle n'a pas examiné, d'une part, l'ensemble des faits invoqués pour caractériser le harcèlement - défaut de communication des horaires de travail, affectation à des tâches subalternes à son retour dans l'établissement en fin d'arrêt-maladie, placement sous l'autorité d'un nouveau chef d'internat, alors qu'il en était lui-même le chef avant son arrêt de travail, sans vérification de la qualification de la personne désignée à ce poste, absence de réponse à ses multiples demandes de réorganisation du service - et qu'elle n'a pas pris en considération, d'autre part, certains éléments versés au dossier, comme le compte-rendu établi par la personne l'ayant assisté lors de l'entretien préalable, l'avis du médecin du travail du 4 juillet 2011 ou encore la lettre de licenciement adressée à la directrice de l'établissement pour harcèlement au préjudice de plusieurs salariés dont le chef d'internat ;

- l'exclusion par la cour d'appel de tout lien entre le licenciement et le harcèlement invoqué, en dépit des termes de la lettre de licenciement.

14. Il fait valoir, ensuite, sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement au regard des faits d'insubordination et de dénigrement retenus à son encontre, que la SCP aurait dû invoquer une dénaturation de la lettre de licenciement et l'absence de caractérisation d'un abus dans l'exercice de sa liberté d'expression à défaut de motifs sur la nature et le contexte des propos incriminés comme sur les pièces que la cour d'appel a décidé d'écarter.

15. En second lieu, il soutient que la SCP a manqué à son devoir de conseil en ne l'informant pas de l'existence d'un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Réponse de la Cour

Vu l'article 13, alinéa 2, de l'ordonnance du 10 septembre 1817 modifiée :

16. Aux termes de ce texte, les actions en responsabilité civile professionnelle engagées à l'encontre d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sont portées, après avis du conseil de l'ordre, devant le Conseil d'Etat, quand les faits ont trait aux fonctions exercées devant le tribunal des conflits et les juridictions de l'ordre administratif, et devant la Cour de cassation dans les autres cas.

17. Le droit à indemnisation dépend de l'existence de moyens sérieux qui auraient permis d'obtenir la cassation de l'arrêt puis gain de cause devant la juridiction de renvoi.

18. Or, dans un premier moyen de cassation, la SCP a soutenu que la cour d'appel n'avait pas examiné tous les éléments invoqués par le salarié, parmi lesquels : le défaut d'information sur les horaires de travail, l'absence de réponse aux multiples lettres du salarié, le licenciement de la directrice de l'établissement pour harcèlement moral au préjudice de plusieurs salariés de l'établissement, dont le responsable d'internat, et l'absence de poste attitré au retour du salarié dans l'établissement, comme la direction l'avait admis lors de l'entretien préalable, ainsi que les indications portées dans le certificat médical du docteur [X] produit par M. [R]. Ont également été contestés les motifs de l'arrêt jugeant justifiées les nouvelles conditions d'emploi du salarié ou déniant l'existence de toute référence à la dénonciation du harcèlement dans la lettre de licenciement arguée de dénaturation.

19. Mais la cour d'appel avait, d'abord, souverainement retenu que seuls le placement du salarié sous l'autorité hiérarchique du nouveau chef d'internat et son affectation à certaines tâches subalternes étaient matériellement établis, à l'exclusion des autres griefs, en présence d'un certificat médical, vague et imprécis, rédigé par le médecin traitant bien après le licenciement et en l'absence d'éléments complémentaires probants.

20. Ayant, ensuite, relevé que les faits établis était de nature à faire présumer un harcèlement, elle a souverainement retenu que l'employeur avait rapporté la preuve contraire, au motif que les tâches administratives et manuelles accomplies par M. [R] ne lui avaient été confiées que du 8 au 13 juillet 2011, alors que l'internat était fermé, et que le placement de M. [R], employé à quarante pour cent, sous l'autorité de la surveillante d'internat était conforme au référentiel de fonction du CNP prévoyant que le responsable de l'internat est placé sous l'autorité hiérarchique du chef d'établissement ou d'un cadre de vie scolaire et justifié par les restrictions imposées par le médecin du travail ayant déclaré le salarié apte à un travail à mi-temps mais avec la précision que celui-ci ne pouvait plus travailler seul. A cet égard, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur une pièce qu'elle décidait d'écarter, s'est fondée sur le certificat du médecin du travail établi le 29 août 2011 faisant suite au certificat du 4 juillet 2011 déclarant le salarié, sous réserve d'un nouvel examen, apte à une reprise à l'essai en mi-temps thérapeutique et non dans un emploi attitré.

21. Enfin, c'est par une interprétation nécessaire et exclusive de dénaturation qu'elle a souverainement retenu que la lettre de licenciement ne faisait pas état de la dénonciation de faits de harcèlement comme motif du licenciement mais se fondait uniquement sur l'insubordination du salarié, son comportement comminatoire et ses propos mensongers ou dénigrants à l'égard de la direction.

22. Il s'ensuit que les moyens de cassation invoqués par M. [R] concernant le rejet de la demande d'annulation du licenciement au titre du harcèlement étaient voués à l'échec.

23. S'agissant de la cause réelle et sérieuse de licenciement retenue par la cour d'appel, du fait de propos jugés mensongers et dénigrants, celle-ci a été contestée par la SCP, dans un second moyen, soutenant que la cour d'appel n'avait pas caractérisé un abus dans l'exercice de la liberté d'expression par l'usage de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs conformément à la jurisprudence (Soc., 23 septembre 2015, pourvoi n° 14-14.021, publié), dès lors que, dans ses conclusions d'appel, M. [R] avait soutenu n'avoir, dans ses correspondances, fait qu'user de sa liberté d'expression en vue du respect de ses conditions de travail, ainsi que de la loi dans l'intérêt de l'établissement et des élèves.

24. Cependant, la cause réelle et sérieuse du licenciement relève en principe de l'appréciation souveraine du juge du fond (Soc., 23 mai 2000, pourvoi n° 98-40.634, publié) et la cour d'appel, répondant au moyen dont elle était saisie, sans être tenue de s'expliquer sur des pièces qu'elle décidait d'écarter, a, sans dénaturation, souverainement retenu qu'il était établi que M. [R] avait tenu des propos mensongers sur la qualification d'une cadre ou sur la cause du départ de certains enseignants et dénigré l'établissement auprès des services municipaux invités à procéder à une visite inopinée en raison de prétendus problèmes de sécurité, caractérisant, par ces seuls motifs, un abus dans l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, constitutif d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

25. Il s'en déduit que les griefs qui, selon M. [R], auraient dû être soulevés par la SCP sur la cause du licenciement, n'étaient pas sérieux.

26. Enfin, sur le devoir de conseil, M. [R] affirme ne pas avoir été informé par la SCP de l'existence d'un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui n'est pas contesté, mais n'apporte aucune précision sur la norme européenne qui aurait pu être utilement invoquée ni sur les chances de succès d'un tel recours, se bornant à affirmer qu'à tout instant un revirement de jurisprudence peut intervenir. Ce moyen, en raison de son imprécision, ne peut qu'être écarté.

27. Il en résulte qu'aucune faute ne peut être retenue contre la SCP, de sorte que la requête de M. [R] doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE la requête de M. [R] ;

Condamne M. [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R].

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12500459
Date de la décision : 25/06/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Conseil de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation, 25 janvier 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 25 jui. 2025, pourvoi n°12500459


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune (président)
Avocat(s) : SCP Boullez

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:12500459
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award