LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 19 juin 2025
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 300 F-D
Pourvoi n° B 23-16.653
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JUIN 2025
La société Laura, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 4], a formé le pourvoi n° B 23-16.653 contre l'arrêt rendu le 5 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [D] [W], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [H] [K], domicilié [Adresse 3],
3°/ à M. [G] [J], domicilié [Adresse 5], [Localité 4],
4°/ au syndicat des copropriétaires du [Adresse 5] à [Localité 4], représenté par son syndic la société Crosnier, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandjean, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Laura, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat du syndicat des copropriétaires du [Adresse 5] à [Localité 4], de Me Soltner, avocat de MM. [W], [K] et [J], après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Grandjean, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 avril 2023), l'immeuble du [Adresse 5] à [Localité 6], soumis au statut de la copropriété, est composé de cinq bâtiments, dont le bâtiment C qui correspond en totalité au lot n° 93 acquis le 9 avril 1998 par la société civile immobilière Laura (la SCI) laquelle détient la totalité des parties communes spéciales de ce bâtiment.
2. Un acte notarié du 5 septembre 1979 publié, intitulé « modificatif du règlement de copropriété », dispose que les parties communes spéciales aux copropriétaires du bâtiment C comprennent « les terrasses servant de couverture (bien que leur usage en soit réservé à certains copropriétaires) », les gouttières et les descentes d'eaux pluviales, et décrit les lots n° 125, 129 et 130, situés dans les bâtiments B et E et appartenant respectivement à MM. [W], [K] et [J], comme contenant un « droit à la jouissance exclusive d'une terrasse » correspondant à la terrasse du bâtiment C.
3. S'étant vu imputer le coût de réfection de la terrasse couvrant le bâtiment C, la SCI a assigné le syndicat des copropriétaires du [Adresse 5] à [Localité 6] (le syndicat des copropriétaires), MM. [W], [K] et [J], à fin de faire déclarer non écrites les clauses du règlement de copropriété relatives aux droits de jouissance exclusive accordés à ceux-ci.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer non écrites les modifications du règlement de copropriété figurant en pages 41 à 47 de l'acte du 5 septembre 1979, alors « qu'une modification du règlement de copropriété, afférente à la constitution d'un droit de jouissance exclusive sur une partie commune, postule que l'assemblée générale des copropriétaires l'ait préalablement approuvée par un vote et, partant, qu'elle ait adopté une résolution ayant précisément pour objet la constitution dudit droit de jouissance exclusive ; qu'en retenant que l'assemblée générale du 14 mars 1978, qui avait adopté une unique résolution ayant pour objet, non pas la constitution d'un quelconque droit de jouissance exclusive, mais l'approbation des plans modifiés et de la nouvelle répartition des charges de copropriété, avait voté en faveur de la création des droits de jouissance exclusive, au motif inopérant que la SCI Laura n'établissait pas que les plans modifiés, joints à la convocation et approuvés par ladite assemblée, ne comportaient pas mention de ces droits, les juges du fond ont violé les articles 14, 17, 26 et 43 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965. »
Réponse de la Cour
6. Ayant relevé que l'assemblée générale extraordinaire des copropriétaires du 14 mars 1978 avait approuvé les plans modifiés du règlement de copropriété, que l'acte modificatif du règlement de copropriété du 5 septembre 1979 produit par la SCI portait une nouvelle désignation des lots n° 125, 129 et 130 contenant un droit à la jouissance exclusive d'une terrasse, une modification de la définition des parties communes spéciales du bâtiment C comprenant « les terrasses servant de couverture (bien que leur usage en soit réservé à certains copropriétaires) » et que cette assemblée avait également approuvé la nouvelle répartition des charges de copropriété « nécessitée par la modification des lots », c'est par une appréciation souveraine de la portée probante des pièces qui lui étaient soumises que la cour d'appel a pu en déduire que l'assemblée générale extraordinaire du 14 mars 1978 avait voté, par approbation des plans modifiés, les mentions litigieuses.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors « que les dispositions des articles 6-2 et 6-3 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, créées par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite loi Elan, sont d'application immédiate ; qu'à ce titre, elles peuvent notamment être invoquées par un copropriétaire visant à faire réputer non écrites, sur le fondement de l'article 43 de la loi du 10 juillet 1965, certaines clauses insérées au règlement de copropriété avant la promulgation de la loi Elan ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 6-2, 6-3 et 43 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte de l'article 2 du code civil que, si la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées (Avis, 16 février 2015, n° 14-70.011, Bull. 2015, avis n° 2 ; 3e Civ., 9 février 2022, pourvoi n° 21-10.388, publié), elle ne peut modifier les effets légaux d'une situation juridique définitivement réalisée lors de son entrée en vigueur (3e Civ., 3 juin 2021, pourvoi n° 20-12.353, publié).
10. Il est jugé qu'un droit de jouissance privatif sur des parties communes ou privatives est un droit réel et perpétuel (3e Civ., 24 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.260, Bull. 2007, III, n° 183 ; 3e Civ., 7 juin 2018, pourvoi n° 17-17.240, Bull. 2018, III, n° 61).
11. En insérant dans la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 les articles 6-2 et 6-3 relatifs aux parties communes spéciales et aux parties communes à jouissance privative, et en prévoyant à l'article 43 de cette même loi que toutes clauses contraires à ces articles sont réputées non écrites, la loi n° 2018-1101 du 23 novembre 2018 n'a pas porté atteinte à des droits acquis en vertu d'un règlement de copropriété adopté antérieurement à la loi, par l'affectation de parties communes spéciales ou l'attribution d'un droit de jouissance privative sur une partie commune.
12. La cour d'appel ayant constaté, par motifs propres et adoptés, d'une part, que le règlement de copropriété qualifiait la terrasse couvrant le bâtiment C de partie commune spéciale à laquelle étaient affectées des charges communes spéciales, attribuées au lot n° 93 acquis par la SCI, et d'autre part, que l'acte notarié du 5 septembre 1979 intitulé modificatif du règlement de copropriété conférait au profit des lots n° 125, 129 et 130 un droit de jouissance exclusive sur cette terrasse, il en résulte que la demande tendant à faire déclarer non écrites les mentions critiquées, de nature à porter atteinte à un droit réel conféré par le règlement de copropriété, doit être rejetée.
13. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile immobilière Laura aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Laura et la condamne à payer au syndicat des copropriétaires du [Adresse 5] à [Localité 4] la somme de 2 000 euros et à MM. [W], [K] et [J] la somme globale de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-neuf juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Mme Proust, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de Mme Teiller, président empêché, le conseiller rapporteur et le greffier conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.