LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 25-82.344 FS-D
N° 01037
GM
18 JUIN 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 JUIN 2025
MM. [S] [K], [M] [X], [I] [G], [C] [O] et [F] [A] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 7 mars 2025, qui les a renvoyés devant la cour criminelle départementale du Val-d'Oise sous l'accusation de violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, aggravées.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de MM. [S] [K], [M] [X], [I] [G], [C] [O] et [F] [A], les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de MM. [R] [L], [B] [L] et [U] [L] et Mmes [T] [L] et [E] [L] et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 juin 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Leprieur, MM. Turbeaux, Gouton, Brugère, Tessereau, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mmes Guerrini, Diop-Simon, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 21 avril 2012, des policiers se sont rendus à [Localité 1], où avait été localisé un véhicule susceptible d'avoir été utilisé pour commettre un vol avec arme, à proximité duquel se trouvaient huit personnes.
3. Alors que plusieurs policiers procédaient à l'interpellation de M. [R] [L], celui-ci, qui se trouvait alors au sol, a reçu un coup de matraque dans l'oeil droit, dont il a définitivement perdu l'usage.
4. L'auteur de ce coup, que M. [L] a décrit comme un policier en tenue, grand et athlétique, n'a pas été identifié.
5. Une information, ouverte le 2 mai 2012, a été suivie, après réquisitoire supplétif du 26 décembre 2014, du chef de violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, commises avec arme, par une personne dépositaire de l'autorité publique.
6. MM. [M] [X], [S] [K], [I] [G], [C] [O] et [F] [A], tous policiers, ont été mis en examen et ont contesté avoir commis les violences objet de la poursuite.
7. M. [X] a déclaré avoir uniquement assisté, sans y prendre part, à la fin de l'interpellation de M. [L].
8. Les quatre autres personnes mises en examen ont affirmé avoir seulement pratiqué, à cette occasion, des gestes coercitifs en vue de maîtriser l'intéressé, qu'ils ont décrit comme agressif.
9. Par ordonnance du 9 août 2024, le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre.
10. Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens
Enoncé des moyens
11. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit qu'il résultait de l'information des charges suffisantes à l'encontre de MM. [K], [X], [G], [O] et [A], d'avoir le 21 avril 2012 volontairement commis des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sur la personne de M. [L], avec ces circonstances que les faits ont été commis par une personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, et avec usage ou menace d'une arme et a ordonné leur mise en accusation de ce chef de crime devant la cour criminelle du Val-d'Oise, alors :
« 1°/ que les principes dégagés par la jurisprudence en matière de « scène unique de violences » sont inapplicables en l'absence d'incertitude quant à la portée causale des agissements individuels commis par les différents protagonistes d'une même scène ; que tel est le cas lorsqu'est constatée judiciairement l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le mis en cause de pouvoir porter le coup à l'origine du dommage ; qu'en l'espèce, en ordonnant la mise en accusation de MM. [K], [X], [G], [O] et [A] pour des faits criminels de violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente avec usage d'une arme, quand il ressortait des constatations mêmes de l'arrêt attaqué que l'infirmité de M. [L] avait été causée par un coup de tonfa à l'oeil et que MM. [K], [G], [O] et [A] avaient été dans l'impossibilité matérielle de porter ce coup, soit du fait de leur positionnement pour MM. [K] et [G] - respectivement occupés à pratiquer un étranglement de M. [L] et à le menotter en tenant son bras droit -, soit en raison de leur absence d'habilitation à porter un tonfa concernant MM. [A] et [O], de sorte que le coup porté à l'oeil de M. [L], dont l'auteur ne pouvait être qu'extérieur aux policiers ayant immobilisé M. [L] au sol, ne s'était pas inscrit dans une scène unique de violences, la chambre de l'instruction a violé l'article 222-10 du code pénal et les principes susvisés ;
2°/ que l'existence d'une scène unique de violences suppose la participation des différents protagonistes de la scène à une entreprise commune, leurs actions s'intégrant dans un ensemble et convergeant vers une unité de réalisation ; qu'en l'espèce, en retenant que le coup porté à l'oeil de M. [L] ne pouvait être dissocié de l'action d'interpellation, quand l'usage de la force par des policiers en vue de l'interpellation et l'immobilisation d'un suspect, indépendamment de la nécessité et la proportionnalité de celui-ci, ne peut jamais former un ensemble, une unité, avec l'acte intentionnel purement gratuit de violence destiné uniquement à faire mal et détournant à son profit l'immobilisation réalisée par ces policiers, la chambre de l'instruction a violé l'article 222-10 du code pénal et les principes dégagés par la jurisprudence en matière de « scène unique de violences » ;
3°/ que le recours à des techniques autorisées d'interpellation ne peut être constitutif de violences volontaires que si les gestes d'interpellation ne sont pas nécessaires et proportionnés, conditions que le juge pénal doit examiner avec le plus grand soin ; qu'en l'espèce, en se fondant, pour retenir que le coup de tonfa porté à l'oeil de M. [L] était indissociable de ses conditions d'interpellation constitutives de violences en l'absence de nécessité et de proportionnalité des gestes des quatre policiers l'ayant interpellé, sur la prétendue absence de dangerosité de M. [L] ainsi que sur l'inutilité de l'intervention de quatre policiers pour son immobilisation au sol et de la clé d'étranglement pratiquée par M. [K], sans prendre en considération le contexte de l'intervention des policiers tel qu'il résultait de ses propres constatations, s'inscrivant dans le cadre d'une demande de renfort de l'équipage de la BAC de [Localité 1] face à huit individus « n'obéissant pas à leurs injonctions et refusant le contrôle », plusieurs « venant même au contact des policiers », suivie d'une opération massive de renfort par « 12 équipages » et près de « 40 fonctionnaires » de services différents, dans l'obscurité et « dans un climat de tension extrême » face à des individus « agités et récalcitrants », en « état d'excitation » et difficiles à maîtriser, au point que M. [K] avait reçu un coup à l'arcade sourcilière, ce qui avait déclenché l'interpellation de M. [L], d'abord par M. [K] seul, puis à deux puis à trois puis à quatre fonctionnaires de police, en raison de la très grande virulence de M. [L] attestée par tous les policiers participant à l'interpellation, MM. [K], [O], [A] et [G], ou témoins de celle-ci, comme le gardien de la paix [D], la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 222-10 et 122-4 du code pénal ;
4°/ que l'existence d'une scène unique de violences suppose la participation des différents protagonistes de la scène à une entreprise commune, leurs actions s'intégrant dans un ensemble et convergeant vers une unité de réalisation ; qu'en l'espèce, à supposer même que les conditions d'interpellation de M. [L] par MM. [K], [O], [A] et [G] aient été constitutives de violences en l'absence de nécessité et de proportionnalité, les agissements de ces quatre policiers ayant pour seule finalité l'interpellation et l'immobilisation d'un individu suspect ne pouvaient néanmoins constituer un tableau unique avec l'acte de violence purement gratuit, destiné à faire mal, décorrélé de toute finalité de maintien de l'ordre dont M. [L] avait été victime et que les quatre policiers interpellateurs n'avaient en aucune façon pu favoriser ; qu'en retenant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 222-10 du code pénal et les principes dégagés par la jurisprudence en matière de « scène unique de violences. »
12. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit qu'il résultait de l'information des charges suffisantes à l'encontre de M. [X] d'avoir le 21 avril 2012 volontairement commis des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sur la personne de M. [L], avec ces circonstances que les faits ont été commis par une personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, et avec usage ou menace d'une arme et a ordonné sa mise en accusation de ce chef de crime devant la cour criminelle du Val-d'Oise, alors « que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu'en l'espèce, en ordonnant la mise en accusation de M. [X] pour violences aggravées ayant entraîné une infirmité permanente sur la base de motifs inopérants le désignant comme l'un des cinq policiers ayant procédé à l'interpellation et l'immobilisation de M. [L], tout en décrivant des gestes d'interpellation (étranglement, menottage, blocage des jambes) dont aucun n'avait été pratiqué par M. [X], lequel n'avait pas participé à l'interpellation de M. [L] et alors que le fait que M. [X] se soit approché de M. [L], seul élément constaté par l'arrêt et reconnu par M. [X], ne pouvait constituer une charge suffisante rendant vraisemblable qu'il ait porté un coup à l'oeil de M. [L] au moyen d'un tonfa, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 222-10 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
13. Les moyens sont réunis.
14. Pour infirmer l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction et mettre en accusation les cinq personnes mises en examen, l'arrêt attaqué énonce que, si l'auteur du coup de matraque qui a éborgné M. [L], déjà immobilisé, n'a pas été identifié, ces violences sont indissociables des circonstances de son interpellation et des gestes d'étranglement, projection au sol et menottage, constitutifs de violences, un tel usage de la force n'étant pas strictement nécessaire et proportionné au regard de l'absence de dangerosité et d'agressivité de l'intéressé. L'arrêt retient que ces gestes ont été pratiqués par les cinq policiers ayant participé à l'interpellation, y compris M. [X], dont la chambre de l'instruction a relevé qu'il se trouvait à proximité de M. [L] et présentait des caractéristiques morphologiques compatibles avec celles de l'auteur du coup porté à l'oeil de la victime.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance et de contradiction, la chambre de l'instruction, qui a estimé que l'emploi de la force par les cinq personnes mises en examen avait, en raison de son caractère excessif au regard des circonstances de la cause, été constitutif de violences formant une scène unique, laquelle pouvait être considérée dans son ensemble, sous la plus haute qualification pénale, sans qu'il soit nécessaire de préciser la nature des actes personnellement reprochés à chacune de celles-ci, a justifié sa décision.
16. En effet, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge des personnes mises en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement.
17. Les moyens ne sauraient donc être accueillis.
18. Par ailleurs, la procédure est régulière et les faits, objet de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que MM. [S] [K], [M] [X], [I] [G], [C] [O] et [F] [A] devront payer in solidum à MM. [R] [L], [B] [L] et [U] [L] et Mmes [T] [L] et [E] [L] ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit juin deux mille vingt-cinq.