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17/06/2025 | FRANCE | N°C2500830

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 juin 2025, C2500830


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° T 24-82.383 F-D


N° 00830




SL2
17 JUIN 2025




CASSATION PARTIELLE




M. BONNAL président,












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 JUIN 2025




M. [J] [U] et la commune de

[Localité 1], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 9 janvier 2024, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. [X] [S]...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° T 24-82.383 F-D

N° 00830

SL2
17 JUIN 2025

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 JUIN 2025

M. [J] [U] et la commune de [Localité 1], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 9 janvier 2024, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. [X] [S] des chefs d'injures publiques à raison de l'orientation sexuelle et d'outrage.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [J] [U] et de la commune de [Localité 1], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [X] [S], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 27 mai 2022, M. [J] [U], adjoint au maire de [Localité 1], a déposé plainte contre M. [X] [S], opposant à l'équipe municipale, en raison de plusieurs messages le visant, publiés sur le compte Twitter de ce dernier entre le 1er janvier 2020 et le 6 juin 2022, et notamment deux propos, publiés le 16 mai 2022 : « Minable [U] ! Ta ville, comme tu dis, a vécu des siècles et des siècles sans faire de la propagande pour tes penchants" que tu ne cesses de mettre en avant » (Propos n° 1) ; « Lui au moins, cet [G] [V], il ne ferait pas bon ménage avec le premier adjoint au maire de [Localité 1]... Et il refuserait de marcher sur les passages cloutés au couleurs de l'arc-en-ciel tantouzolâtre" qui ridiculisent ma ville préférée, celle de ma jeunesse ! » (Propos n°2, commentant un tweet précisant que le footballeur [G] [V] avait refusé de jouer pour ne pas s'associer à la journée de lutte contre l'homophobie) ».

3. Par jugement du 5 janvier 2023, le tribunal correctionnel a notamment reconnu M. [S] coupable du chef d'injures publiques à raison de l'orientation sexuelle pour les deux propos susvisés et l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis.

4. M. [S], puis le ministère public et M. [U], ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

5. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [S] des fins de la poursuite du chef d'injure publique à raison de l'orientation sexuelle, alors :

« 1°/ que constitue une injure publique à raison de l'orientation sexuelle tout terme outrageant, méprisant ou d'invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait exprimé à raison de l'orientation sexuelle réelle ou supposée de la personne qu'il vise ; que si de tels propos peuvent bénéficier d'une protection particulière lorsqu'ils s'inscrivent dans le cadre d'un débat d'intérêt général, ils peuvent néanmoins justifier la condamnation de leur auteur s'ils constituent des attaques personnelles ; qu'en jugeant que les propos publiés par [X] [S], sur son compte twitter le 16 mai 2022, selon lesquels « Minable [U] ! Ta ville, comme tu dis, a vécu des siècles et des siècles sans faire de la propagande pour tes « penchants » que tu ne cesses de mettre en avant », ne constituaient pas des attaques personnelles et injurieuses détachables d'un débat d'intérêt général, et relevant du mépris affiché à l'encontre de [J] [U] en raison de son orientation sexuelle, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 29 alinéa 2, 33 alinéa 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en relevant, pour décider que les propos poursuivis ne constituent pas une injure publique à raison de l'orientation sexuelle, que les termes péjoratifs et vulgaires poursuivis sont en lien avec l'action conduite par l'équipe municipale relative à la lutte contre l'homophobie et dans ces conditions ne dépassent pas les limites de la liberté d'expression tel que défini par le §2 de la l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans le cadre d'un débat public concernant un élu exerçant des responsabilités politiques locale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 29 alinéa 2, 33 alinéa 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en relevant, pour décider que les propos poursuivis ne constituent pas une injure publique à raison de l'orientation sexuelle, que les termes péjoratifs et vulgaires poursuivis s'inscrivent dans un contexte d'antagonismes et de contentieux politiques anciens opposant [J] [U] et [X] [S], la cour d'appel a de nouveau privé sa décision
de base légale au regard des articles 29 alinéa 2, 33 alinéa 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

6. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [S] des fins de la poursuite du chef d'injure publique à raison de l'orientation sexuelle, alors :

« 1°/ que constitue une injure publique à raison de l'orientation sexuelle tout terme outrageant, méprisant ou d'invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait exprimé à raison de l'orientation sexuelle réelle ou supposée de la personne qu'il vise ; que si de tels propos peuvent bénéficier d'une protection particulière lorsqu'ils s'inscrivent dans le cadre d'un débat d'intérêt général, ils peuvent néanmoins justifier la condamnation de leur auteur s'ils constituent des attaques personnelles ; qu'en jugeant que les propos publiés par [X] [S], sur son compte twitter le 16 mai 2022, selon lesquels « Lui au moins, cet [G] [V], il ne ferait pas bon ménage avec le premier adjoint au maire de [Localité 1]... Et il refuserait de marcher sur les passages cloutés au couleurs de l'arc-en-ciel « tantouzolâtre » qui ridiculisent ma ville préférée, celle de ma jeunesse ! », ne constituaient pas des attaques personnelles et injurieuses détachables d'un débat d'intérêt général, et relevant du mépris affiché à l'encontre de [J] [U] en raison de son orientation sexuelle, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 29 alinéa 2, 33 alinéa 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en relevant, pour décider que les propos poursuivis ne constituent pas une injure publique à raison de l'orientation sexuelle, que les termes péjoratifs et vulgaires poursuivis sont en lien avec l'action conduite par l'équipe municipale relative à la lutte contre l'homophobie et dans ces conditions ne dépassent pas les limites de la liberté d'expression tel que défini par le §2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans le cadre d'un débat public concernant un élu exerçant des responsabilités politiques locale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 29 alinéa 2, 33 alinéa 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en relevant, pour décider que les propos poursuivis ne constituent pas une injure publique à raison de l'orientation sexuelle, que les termes péjoratifs et vulgaires poursuivis s'inscrivent dans un contexte d'antagonismes et de contentieux politiques anciens opposant [J] [U] et [X] [S], la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 29 alinéa 2, 33 alinéa 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

7. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 29, alinéa 2, et 33, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

8. Selon ces textes, constitue une injure à raison de l'orientation sexuelle toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait et qui est exprimée à raison de l'orientation sexuelle de la personne visée par les propos.

9. Pour infirmer le jugement et relaxer le prévenu, l'arrêt attaqué énonce en substance que, conformément à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, les limites de la critique admissible sont plus larges lorsque les propos incriminés portent sur un débat d'intérêt général et ont été prononcés dans le cadre d'un débat politique à l'égard d'un homme politique.

10. Les juges énoncent qu'en l'espèce l'expression « minable [U] » associée à la mention « propagande pour tes penchants" » et l'emploi du terme « tantouzolâtre » en lien avec la référence « aux passages cloutés aux couleurs de l'arc en ciel »[?]« qui ridiculisent ma ville préférée » constituent des termes péjoratifs et vulgaires, qui peuvent heurter la sensibilité de personnes, et ce indépendamment de leur orientation sexuelle.

11. Ils observent cependant que les deux propos litigieux, qui s'inscrivent dans un contexte d'antagonisme politique, ont été publiés le même jour, au cours de la période annuelle de la campagne nationale de lutte contre l'homophobie, quelques jours avant la marche des fiertés, qu'ils contiennent des références explicites aux actions de sensibilisation organisées par la municipalité, et expriment une contestation des choix faits par celle-ci en matière d'aménagement des voies publiques dans le cadre de la campagne précitée.

12. Ils en concluent que les propos, qui s'inscrivent également dans un contexte d'antagonismes et de contentieux politiques anciens opposant M. [U] et M. [S], ne constituent pas des attaques personnelles et injurieuses détachables d'un débat public concernant un élu exerçant des responsabilités politiques locales ni ne relèvent du mépris affiché à l'encontre de M. [U] à raison de son orientation sexuelle, et ainsi ne dépassent pas les limites de la liberté d'expression.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.

14. En premier lieu, les expressions et qualificatifs du premier message, « minable [U] » associés à l'expression « la propagande pour tes penchants" » et ceux du second, « tantouzôlatre » en lien avec les termes « aux passages cloutés aux couleurs de l'arc en ciel [...] qui ridiculisent ma ville préférée », en référence à la campagne de lutte contre l'homophobie, présentent un caractère outrageant et méprisant à l'égard de M. [U], à raison de son orientation sexuelle.

15. En second lieu, de tels propos ne relèvent pas de la libre critique, dans un contexte de polémique politique, participant d'un débat d'intérêt général quant aux choix de la municipalité dans le cadre de la campagne de lutte contre l'homophobie.

16. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

17. En l'absence de pourvoi du ministère public, les décisions concernant l'action publique sont définitives. Il appartiendra à la cour d'appel de renvoi de rechercher si une faute civile est caractérisée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, en date du 9 janvier 2024, mais en ses seules dispositions relatives à l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Angers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500830
Date de la décision : 17/06/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers, 09 janvier 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 17 jui. 2025, pourvoi n°C2500830


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500830
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