LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 12 juin 2025
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 322 F-D
Pourvoi n° V 24-15.547
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 JUIN 2025
La société Richardson, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 24-15.547 contre l'arrêt rendu le 22 février 2024 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-2), dans le litige l'opposant à M. [L] [V], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de la société Richardson, de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de M. [V], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 février 2024), le 14 avril 2020 M. [V], associé unique de la société Nicoplomb, a remis à la société Richardson un chèque en garantie des opérations en cours entre les deux sociétés.
2. Ce chèque ayant été rejeté par le tiré au motif qu'il avait fait l'objet d'une opposition pour perte, la société Richardson a assigné en référé M. [V] en mainlevée de cette opposition et en paiement de la provision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société Richardson fait grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité de ses demandes, en ce compris sa demande de mainlevée de l'opposition au paiement du chèque, alors : « que le juge des référés est tenu d'ordonner la mainlevée de l'opposition au paiement d'un chèque faite pour d'autres causes que celles prévues au deuxième alinéa de l'article L. 131-35 du code monétaire et financier ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de mainlevée de l'opposition au paiement du chèque dirigée contre M. [V], que celle-ci se heurtait à une contestation sérieuse, après avoir pourtant constaté que le chèque litigieux avait "été remis volontairement par le tireur, M. [L] [V], à son bénéficiaire, la société Richardson" et que l'opposition formée par celui-ci pour cause de perte était "irrégulière", ce dont il résultait que la mainlevée devait être ordonnée, peu important que M. [V] ait élevé une prétendue contestation sérieuse, laquelle ne constitue pas un motif régulier d'opposition prévu par le texte précité, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé l'article L. 131-35 du code monétaire et financier, ainsi que les articles 834 et 835 du code de procédure civile par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 131-35 du code monétaire et financier :
4. Selon ce texte, si le tireur fait une opposition pour d'autres causes que celles énumérées à son second alinéa, ou pour une cause qui s'avère mensongère, le juge des référés doit, sur la demande du porteur, ordonner la mainlevée de l'opposition.
5. Pour refuser d'ordonner la mainlevée de l'opposition, l'arrêt retient que cette demande se heurte à une contestation sérieuse dès lors que ce chèque avait été remis par une société en liquidation judiciaire.
6. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le chèque litigieux avait été remis volontairement à la société Richardson par son tireur, M. [V], ce dont il résultait que le motif de l'opposition était mensonger et, partant l'opposition irrégulière, de sorte qu'il lui appartenait d'en ordonner la main-levée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
7. La société Richardson fait grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité de ses demandes, en ce compris sa demande en paiement d'une provision d'un montant de 20 000 euros, alors : « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant, pour rejeter sa demande à l'encontre de M. [V], que celle-ci se heurtait à une contestation sérieuse dès lors que le chèque litigieux avait "été remis par M. [V] pris en sa qualité de gérant de la société Nicoplomb" et que "la créance invoquée par la société Richardson concern[ait] la société Nicoplomb, ayant seule qualité de débiteur", cependant qu'il ressortait des mentions dudit chèque qu'il avait été émis par M. [V] à titre personnel, ce que confirmait le courrier du 14 avril 2022 qui l'accompagnait, dans lequel M. [V] faisait par deux fois référence à "[s]on chèque", sans nullement préciser qu'il aurait agi en qualité de représentant légal de la société Nicoplomb, la cour d'appel, qui a dénaturé le chèque litigieux, a violé le principe susvisé ».
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
8. Pour rejeter la demande de provision formée par la société Richardson, l'arrêt énonce qu'elle se heurte à une contestation sérieuse dès lors que le chèque litigieux avait été remis par M. [V] pris en sa qualité de gérant de la société Nicoplomb et que cette demande était formée à l'encontre de M. [V] en son nom propre.
9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait des mentions du chèque que celui-ci avait été émis par M. [V] à titre personnel, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
10. Tel que suggéré par la société Richardson, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond en ce qui concerne la demande en mainlevée de l'opposition formée par M. [V].
12. L'opposition étant irrégulière, il y a lieu d'en ordonner la mainlevée.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 février 2024, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi en ce qui concerne la demande en mainlevée d'opposition ;
ORDONNE la mainlevée de l'opposition formée par M. [V] à l'encontre du chèque tiré le 14 avril 2022 sur la société BNP Paribas n° 4889796 d'un montant de 20 000 euros ;
Remet, sur la demande de paiement d'une provision, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne M. [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [V] et le condamne à payer à la société Richardson la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le douze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.