LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
COUR DE CASSATION
CF
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Arrêt du 12 juin 2025
RENVOI
Mme CHAMPALAUNE, présidente
Arrêt n° 514 F-D
Affaire n° D 25-40.008
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUIN 2025
La cour d'appel de Paris a transmis à la Cour de cassation, à la suite de l'ordonnance rendue le 19 mars 2025, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 21 mars 2025, dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
M. [Z] [D], domicilié [Adresse 3],
D'autre part,
1°/ le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Meaux, domicilié en son parquet, [Adresse 2],
2°/ le préfet de la Seine-Saint-Denis, domicilié [Adresse 1],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SAS Zribi et Texier, avocat de M. [D], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2025 où étaient présents Mme Champalaune, présidente, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseillère doyenne, et Mme Ben Belkacem, greffière de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Le 13 mars 2025, M. [D], de nationalité algérienne, a été placé en rétention administrative en exécution d'une obligation de quitter le territoire français.
2. Le magistrat du siège du tribunal judiciaire a été saisi, par le préfet, d'une requête en prolongation de la mesure et, par M. [D], d'une requête en contestation de l'arrêté de placement en rétention.
3. Par ordonnance du 17 mars 2025, le juge a déclaré la procédure irrégulière, rejeté la requête du préfet, et ordonné la mise en liberté de M. [D].
4. Le même jour, le procureur de la République a relevé appel et demandé que cet appel soit assorti d'un effet suspensif. La déclaration d'appel a été notifiée à M. [D] qui, par mémoire séparé, a présenté une question prioritaire de constitutionnalité.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
5. Par ordonnance du 19 mars 2025, le premier président de la cour d'appel de Paris a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article L. 743-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tel que modifié par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, méconnaissent-elles les principes constitutionnels, les droits et libertés garantis par la Constitution, tels que dégagés notamment par les articles le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'alinéa 1er du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, les articles 34 et 66 de la Constitution, 1er, 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tels que les principes de la liberté individuelle, de liberté d'aller et venir, au droit au respect de la vie privée, les droits de la défense, le droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, ainsi que les principes d'égalité devant la loi et devant la justice ».
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
6. La disposition contestée, modifiée par la loi n° 2024-78 du 26 janvier 2024, prévoit que, lorsqu'une ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire met fin à la rétention d'un étranger ou l'assigne à résidence, elle est immédiatement notifiée au procureur de la République et que l'étranger est maintenu à la disposition de la justice à moins que le procureur de la République n'en dispose autrement pendant un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification. Ce délai initialement fixé par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 à quatre heures et repris à l'article L. 552-6 du CESEDA, a été porté à six heures par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, puis à dix heures par la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, avant d'être étendu à vingt-quatre heures par la loi du 26 janvier 2024.
7. Elle est applicable au litige.
8. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
9. La question posée présente un caractère sérieux :
10. Le Conseil constitutionnel a déduit de l'article 66 de la Constitution que « lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère son rôle de gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel »(décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, § 74).
11. Il a cependant admis qu'un délai de quatre heures à compter de la notification soit fixé pour que le ministère public puisse solliciter un effet suspensif de l'appel (décision n° 2003-484 précitée), puis jugé que les dispositions allongeant de quatre à six heures de ce délai, « par leur effet limité », « ne peuvent être regardées comme portant atteinte aux exigences constitutionnelles » (décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011),
12. Dans le cas de la procédure en zone d'attente comportant des dispositions analogues, prévues à l'article L. 222-5 et reprises à l'article L. 342-11 du CESEDA, autorisant, lorsqu'une ordonnance met fin au maintien en zone d'attente, que l'étranger soit maintenu à la disposition de la justice pendant un délai initialement fixé à quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance au procureur de la République, porté à six heures par la loi du 16 juin 2011 puis à dix heures par la loi du 10 septembre 2018, sans être modifié par la loi du 26 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a retenu que la fixation à dix heures du délai pendant lequel un étranger peut être maintenu en zone d'attente en dépit de la décision contraire du juge judiciaire, ne méconnaît pas les exigences constitutionnelles précitées, en précisant alors que ce délai ne saurait être étendu au-delà (décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018).
13. Dès lors, en ce qu'elle étend à vingt-quatre heures le délai pendant lequel l'étranger est maintenu à disposition de la justice malgré la décision rendue, la disposition contestée est susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle.
14. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le douze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.