LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Cassation partielle
sans renvoi
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 590 F-D
Pourvoi n° S 24-14.509
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
Mme [P] [R], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 24-14.509 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2023 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société Sodico expansion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [R], de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Sodico expansion, après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, Mme Brinet, conseiller, Mme Prieur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 novembre 2023), Mme [R] a été engagée, en qualité de responsable du personnel, le 12 juin 2018, par la société Sodico expansion (la société).
2. Elle a été mise à pied à titre conservatoire le 29 mars 2019 puis licenciée, par lettre du 10 avril 2019, pour faute grave.
3. Soutenant que son licenciement était nul comme portant atteinte au droit au respect de sa vie privée, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir juger son licenciement nul, intervenu en violation de la liberté fondamentale que constitue le droit au respect de la vie privée, et voir condamner la société à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, alors « qu'en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, est nul le licenciement intervenu en violation d'une liberté fondamentale ; que le respect de la vie privée est une liberté fondamentale ; qu'est nul le licenciement intervenu en raison de la découverte de la liaison entre une salariée et le président de la société l'employant par l'épouse de ce dernier ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que la salariée soutenait que son licenciement était nul, intervenu en violation de la liberté fondamentale que constitue le droit au respect de la vie privée, en raison de faits relevant de sa vie privée, soit la découverte de sa liaison avec le président de la société Sodico Expansion, par l'épouse de ce dernier la veille de la convocation à l'entretien préalable, la cour d'appel a énoncé que si l'atteinte à la vie privée était établie, elle rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse et non pas nul ; qu'en statuant ainsi, cependant que si l'atteinte à la vie privée est établie, elle rend le licenciement nul, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3-1 du code du travail et 9 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, L. 1121-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-3-1 du code du travail :
5. Il résulte des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
6. Il résulte des trois premiers de ces textes que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée et que l'employeur ne peut, sans violation de cette liberté fondamentale, fonder un licenciement sur un fait relevant de l'intimité de la vie privée du salarié.
7. Selon le dernier de ces textes, est nul le licenciement prononcé en violation d'une liberté fondamentale.
8. Pour écarter la nullité du licenciement, l'arrêt retient, d'une part, que la lettre de licenciement pour faute grave fait état de divers manquements dans l'exécution du contrat de travail et griefs relatifs au comportement de la salariée sans faire aucune mention d'un grief en relation avec sa vie privée ou constituant une atteinte au respect de celle-ci et, d'autre part, que la salariée a elle-même diffusé, dans le cadre de la procédure, les SMS échangés entre elle-même et le président de la société, de sorte que si cette atteinte est établie, elle rend simplement le licenciement sans cause réelle et sérieuse et non pas nul.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu qu'aucun des griefs énoncés dans la lettre de licenciement n'était établi et que la véritable cause du licenciement était la découverte, le 28 mars 2019, par l'épouse du président de la société, elle-même directrice générale de celle-ci, de la liaison qu'entretenait son mari avec la salariée depuis plusieurs mois et l'ultimatum qu'elle lui avait posé de la licencier immédiatement, ce dont elle aurait dû déduire que le licenciement était fondé sur un fait relevant de l'intimité de la vie privée de la salariée, de sorte qu'il était atteint de nullité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer à la salariée une somme au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond en prononçant la nullité du licenciement et en condamnant en conséquence l'employeur à payer à la salariée la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 1235-3-1 du code du travail.
13. La cassation des chefs de dispositif rejetant les demandes de nullité du licenciement et de paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts et condamnant l'employeur à payer une somme au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de nullité du licenciement et de paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts et condamne la société Sodico expansion à payer à Mme [R] la somme de 2 900,28 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 30 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Prononce la nullité du licenciement ;
Condamne la société Sodico expansion à payer à Mme [R] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Condamne la société Sodico expansion aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sodico expansion et la condamne à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.