LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HE1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 588 F-D
Pourvoi n° Q 23-21.702
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
La société Agir recouvrement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-21.702 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2023 par la cour d'appel d'Angers (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [I] [B], domicilié [Adresse 2],
2°/ à France travail, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommé Pôle emploi,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maitral, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Agir recouvrement, de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [B], après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présentes Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Maitral, conseiller référendaire rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 14 septembre 2023), M. [B], engagé en qualité d'attaché commercial par la société Agir recouvrement le 22 mars 1999, occupait en dernier lieu les fonctions de délégué commercial.
2. Après avoir été mis en cause par huit salariées pour des faits de harcèlement sexuel et moral commis à leur encontre, il a signé, à l'issue d'un entretien du 2 mars 2004, un document intitulé « protocole transactionnel », aux termes duquel il était convenu entre les parties de la suspension de son contrat de travail sans rémunération jusqu'au 2 avril 2004 inclus et qu'il s'engageait à « consulter les praticiens afin de suivre les soins lui permettant de rétablir sa santé physique, psychique et mentale », l'employeur précisant qu'il ne « tolérerait aucune dérive, incartade ou récidive et que tout manquement serait sanctionné par un licenciement immédiat pour faute grave. »
3. Aux termes d'une visite médicale du 19 avril 2004, le médecin du travail a déclaré le salarié apte à la reprise de son poste.
4. Le 21 avril 2004, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement.
5. Licencié pour faute grave le 3 mai 2004, il a saisi la juridiction prud'homale notamment de demandes en contestation de la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire du 21 avril au 3 mai 2004, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de rappel de salaire pour la journée du 20 avril 2004, congés payés inclus, et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage dans la limite de trois mois d'indemnités, alors « que c'est la volonté de l'employeur de sanctionner un comportement du salarié qui est déterminante pour qualifier de sanction une de ses décisions ; que ne constitue pas une sanction disciplinaire la suspension temporaire du contrat de travail décidée, non pas unilatéralement par l'employeur, mais d'un commun accord avec le salarié, dans le but, non de le punir, mais dans l'intérêt de la sécurité et de la santé de ce salarié, ainsi que de celles de ses collègues ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la convention conclue entre l'employeur et M. [B] le 2 mars 2004 visait à ce qu'ils s'accordent sur les mesures de prévention à prendre à la suite des faits de harcèlement imputés au salarié et mentionnés comme reconnus par ce dernier, le salarié ayant pris l'engagement de se soigner pendant une suspension de son contrat de travail prévue pour un mois ; qu'en jugeant que cette mesure, en ce qu'elle affectait la présence et la rémunération du salarié, s'analysait comme une sanction disciplinaire sans que l'accord du salarié modifie cette qualification, quand il résultait de ses propres constatations que la suspension du contrat de travail avait été décidée d'un commun accord et avec l'intention de préserver la santé et la sécurité des salariés, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la volonté de l'employeur de sanctionner M. [B] en suspendant son contrat de travail à compter du 2 mars 2004, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-40 devenu L. 1331-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
8. Il en résulte qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction.
9. La cour d'appel a constaté, d'abord, que le protocole litigieux mentionnait que, selon la société, les agissements imputés au salarié caractérisaient une faute grave qui justifierait un licenciement immédiat, mais que celle-ci acceptait de suspendre le contrat de travail pour une durée d'un mois avec privation de rémunération et restitution des matériels mis à sa disposition et, ensuite, que cette mesure avait été mise en oeuvre par l'employeur, puisqu'il résultait des bulletins de paie produits que le salarié avait effectivement privé de sa rémunération du 3 mars au 4 avril 2004, aucune régularisation à ce titre n'étant intervenue suite au licenciement.
10. Elle a, enfin, relevé que les faits reprochés à l'intéressé dans la lettre de licenciement étaient identiques à ceux présentés dans le protocole du 2 mars 2004.
11. Elle en a exactement déduit, d'une part, que la mesure de suspension du contrat de travail, en ce qu'elle affectait la présence et la rémunération du salarié, s'analysait comme une mise à pied disciplinaire sanctionnant les faits de harcèlement sexuel et moral dont s'étaient plaintes ses collègues, l'accord du salarié et l'engagement pris de se soigner pendant la suspension de son contrat de travail n'étant pas de nature à modifier cette qualification, d'autre part, que l'employeur avait ainsi épuisé son pouvoir disciplinaire de sorte que le licenciement prononcé pour les mêmes faits était dénué de cause réelle et sérieuse.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Agir recouvrement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Agir recouvrement et la condamne à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.