LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HE1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 574 F-D
Pourvoi n° S 23-20.600
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
M. [V] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 23-20.600 contre l'arrêt rendu le 14 juin 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société CNP assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de M. [J], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société CNP assurances, après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, M. Carillon, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 juin 2023), M. [J] a été engagé le 16 septembre 1991 par la société CNP assurances (la société). En dernier lieu, il occupait les fonctions de manager à la direction des risques groupe, département des risques opérationnels et du contrôle interne.
2. Licencié pour faute grave par lettre du 18 février 2019, il a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de la rupture de son contrat de travail en invoquant, principalement, la nullité de son licenciement et, subsidiairement, son absence de cause réelle et sérieuse.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité du licenciement, alors :
« 1°/ que sauf abus caractérisé par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la lettre de licenciement reprochait au salarié, manager à la direction des risques, d'avoir tenu les propos suivants à l'un de ses collaborateurs : ''Je te croyais capable de mieux'', ''celle que tu remplaces avait compris ; tu devrais faire mieux qu'elle'', que cette lettre mentionnait qu'une collaboratrice s'était plainte de remarques formulées concernant son temps partiel, telle que : ''Ah tiens, tu es là, toi'' et qu'un autre collaborateur s'était plaint d'une ''autorité dissimulée sous forme de mollesse'' et de s'être entendu dire en réunion : ''On sait très bien que tu ne rends pas ton travail dans les délais'', ''On te connaît, tu es toujours en retard sur tes dossiers'' ; qu'en retenant, pour écarter la demande de nullité du licenciement, que la lettre de licenciement reprochait au salarié d'avoir tenu des propos dévalorisants et désobligeants à l'égard des membres de son équipe, de sorte que le grief ne concernait pas sa liberté d'expression mais l'abus de celle-ci par la tenue de propos qui ne se limitaient pas à exprimer une opinion mais exprimaient des positions qui portaient atteinte à la dignité de ses collègues, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé en quoi les propos incriminés, adressés par un manager à ses collaborateurs ce qui implique un rapport d'autorité, étaient injurieux, diffamatoires ou excessifs, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les termes clairs et précis de l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement énonçait que : ''Lors de l'entretien préalable, vous avez réfuté les faits qui vous sont reprochés, sans apporter la moindre justification. Ainsi, vous avez déclaré : ''C'est hallucinant, c'est insensé, je ne comprends aucun des mots prononcés, je ne suis pas responsable de cette situation, j'ai vécu l'inverse''. Vous n'avez pas craint, au contraire, d'indiquer que vous êtes un bon manager, que vous êtes parvenu à établir un climat de confiance au sein de vos équipes, allant même jusqu'à nier les propos recueillis auprès de vos équipes : ''Je nie tout de A à Z, ils ont tout inventé, j'ignore ce qui les motive'' ; que cette reproduction littérale des dénégations du salarié lors de l'entretien préalable, assortie de commentaires réprobateurs, constituait un grief à part entière ; qu'en retenant, pour écarter la nullité du licenciement, que les dénégations du salarié ne lui étaient pas reprochées au titre d'un grief de licenciement, lesquels étaient au nombre de cinq distinctement énumérés, mais comme un élément de contexte, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette lettre, et a violé le principe susvisé ;
3°/ qu'en toute hypothèse, est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie le licenciement intervenu à raison de propos tenus par le salarié au cours de l'entretien préalable au licenciement ; qu'en l'espèce, la mention dans la lettre de licenciement des dénégations par le salarié, au cours de l'entretien préalable, des faits qui lui étaient reprochés constituait une atteinte à sa liberté d'expression, peu important que cette dénégation ne soit visée que comme ''un élément de contexte'' ; qu'en rejetant la demande de nullité du licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
4. D'abord, c'est par une interprétation de la lettre de licenciement, que l'ambiguïté de ses termes rendait nécessaire, exclusive de toute dénaturation, que la cour d'appel a estimé qu'il n'était pas reproché au salarié les propos tenus au cours de l'entretien préalable, mais ses méthodes de management caractérisées par la dévalorisation et la dégradation des conditions de travail de ses subordonnés, ses difficultés à travailler avec les femmes, l'instauration d'un climat de crainte au sein de son équipe ainsi qu'un déficit d'accompagnement managérial.
5. Ensuite, après avoir relevé que la lettre de licenciement mentionnait, à titre d'illustrations des griefs imputés au salarié, qu'il avait tenu les propos suivants à l'un de ses collaborateurs : « Je te croyais capable de mieux », « celle que tu remplaces avait compris ; tu devrais faire mieux qu'elle », qu'une collaboratrice s'était plainte de remarques formulées concernant son temps partiel, telle que : « Ah tiens, tu es là, toi » et qu'un autre collaborateur s'était plaint d'une « autorité dissimulée sous forme de mollesse » et de s'être entendu dire en réunion : « On sait très bien que tu ne rends pas ton travail dans les délais », « On te connaît, tu es toujours en retard sur tes dossiers », la cour d'appel a retenu que les griefs reprochés au salarié ne concernaient pas sa liberté d'exprimer une opinion mais la tenue de propos portant atteinte à la dignité de ses collègues.
6. De ces constatations et énonciations, dont il résultait que le salarié n'avait pas été licencié pour un usage abusif de sa liberté d'expression mais en raison de ses méthodes de management caractérisées par la dégradation des conditions de travail de ses subordonnés, la cour d'appel a exactement déduit qu'aucune atteinte à la liberté d'expression n'était démontrée.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement pour faute grave justifié et de rejeter ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, du rappel de salaires sur mise à pied conservatoire, des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors : « que les prétendues difficultés relationnelles du salarié avec ses collaborateurs ne sont pas de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise, dès lors que le salarié bénéfice d'une grande ancienneté et n'a fait l'objet d'aucun avertissement antérieur ; qu'en l'espèce, le salarié faisait valoir qu'il bénéficiait de vingt-huit ans d'ancienneté, que son comportement n'avait jamais varié, qu'il n'avait jamais été sanctionné auparavant et que ses entretiens annuels ne relevaient aucun comportement inapproprié ; qu'en considérant que la faute grave était établie, sans prendre en considération l'ancienneté du salarié et l'absence de tout avertissement antérieur, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a retenu que les griefs reprochés au salarié de dévalorisation de ses collaborateurs, de difficultés à travailler avec les femmes, d'instauration d'un climat de crainte au sein de l'équipe, de dégradation des conditions de travail des collaborateurs et de déficit d'accompagnement managérial étaient établis tant par les attestations circonstanciées des salariés membres de son équipe que par le courrier du médecin du travail de janvier 2019.
10. Elle a pu en déduire, compte tenu de leur impact sur la santé des salariés placés sous son autorité, nonobstant l'ancienneté de l'intéressé et son absence de difficultés relationnelles avant son arrivée au service du contrôle interne et d'antécédent disciplinaire, que ces faits rendaient impossible son maintien dans l'entreprise.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.