La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/06/2025 | FRANCE | N°12500399

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 04 juin 2025, 12500399


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


CC






COUR DE CASSATION
______________________




Arrêt du 4 juin 2025








Cassation




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 399 F


Pourvoi n° N 24-13.470








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025


1°/ Mme [M] [E], épouse [I], domiciliée [Adresse 5],


2°/ Mme [Z] [E], épouse [V], domiciliée [Adresse 1],


3°/ Mme [F] [E], épouse [H], domiciliée [Adresse 7],


4°...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CC

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 4 juin 2025

Cassation

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 399 F

Pourvoi n° N 24-13.470

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025

1°/ Mme [M] [E], épouse [I], domiciliée [Adresse 5],

2°/ Mme [Z] [E], épouse [V], domiciliée [Adresse 1],

3°/ Mme [F] [E], épouse [H], domiciliée [Adresse 7],

4°/ Mme [P] [E], épouse [L], domiciliée [Adresse 3],

5°/ M. [S] [E], domicilié [Adresse 4],

6°/ Mme [W] [E], domiciliée [Adresse 8],

7°/ M. [R] [E], domicilié [Adresse 9],

tous sept agissant tant en leurs noms personnels qu'en leur qualité d'ayants droits de [K] [B], épouse [E],

ont formé le pourvoi n° N 24-13.470 contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2024 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Les laboratoires Servier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mmes [I], [V], [H], [L], M. [S] [E], Mme [W] [E] et M. [R] [E], tant en leur nom personnel qu'ès qualités, de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de la société Les laboratoires Servier, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tifratine, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 janvier 2024), [K] [E] a été traitée d'octobre 1992 jusqu'à son décès le 23 juillet 1997 avec du Mediator, médicament produit par la société Les laboratoires Servier (la société).

2. Le 21 décembre 2012, estimant ce décès imputable au traitement, ses ayants droit ont saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) d'une demande d'indemnisation.

3. Le 11 mai 2022, contestant les conclusions du collège d'experts placé auprès de l'ONIAM, qui avait retenu que le décès de leur mère n'était pas en lien avec la prise du médicament, Mme [I], Mme [V], Mme [H], Mme [L], M. [S] [E], Mme [W] [E] et M. [R] [E] (les consorts [E]), agissant en leurs noms personnels et en qualité d'ayants droit, ont assigné la société en référé, au visa des articles 145 et 835, alinéa 2, du code de procédure civile, aux fins d'obtenir une expertise médicale et une provision et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

4. La société a opposé la prescription et contesté en conséquence l'existence d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code procédure civile.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Les consorts [E] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « qu'aux termes de l'article 2270-1 ancien du code civil, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ; que dès lors qu'un produit dont le caractère défectueux est invoqué a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, l'article 2270-1 ancien du code civil doit être interprété dans toute la mesure du possible à la lumière de la directive ; que le délai de prescription de l'article 10 de la directive court à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ; qu'en retenant, pour rejeter l'ensemble des demandes des consorts [E], que le point de départ de la prescription se situe au 23 juillet 1997, date du décès de [K] [E], sans tenir compte de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du défaut du produit et de l'identité du producteur, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 ancien du code civil tel que devant être interprété dans toute la mesure du possible à la lumière de la directive. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2270-1 du code civil et l'article 10 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux :

6. Aux termes du premier de ces textes, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. Il en résulte que, en cas de dommage corporel, ce délai de prescription court à compter de la consolidation.

7. Selon le deuxième, l'action en réparation prévue par la directive se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

8. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04, du 15 avril 2008, Impact, C-268/06 et du 24 juin 2019, Poplawski, C-573/17) que, si le principe d'interprétation conforme requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, aux fins de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci, l'obligation pour le juge national de se référer au contenu d'une directive lorsqu'il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit et cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national.

9. Dès lors qu'un produit dont le caractère défectueux est invoqué a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, l'article 2270-1du code civil doit être interprété dans toute la mesure du possible à la lumière de la directive.

10. En droit interne, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, la Cour de cassation jugeait régulièrement que la prescription ne court pas contre celui qui, ne pouvant connaître la cause de son dommage, est dans l'impossibilité d'agir en justice (1re Civ., 27 octobre 1982, pourvoi n° 81-14.386, Bull. n° 308 ; 2e Civ., 22 mars 2005, pourvoi n° 03-30.551, Bull. n° 75 ; 1re Civ., 19 février 2002, pourvoi n° 99-10.597).

11. Il s'en déduit que l'action en responsabilité dirigée contre le fabricant d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué et qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit selon les dispositions du droit interne telles qu'interprétées à la lumière de l'article 10 de la directive, soit, en cas de dommage corporel, par dix ans à compter du jour où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance de la consolidation du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

12. Pour écarter l'existence d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile et rejeter les demandes des consorts [E], l'arrêt retient qu'en application de l'article 2270-1 ancien du code civil, les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation et qu'en l'espèce, le point de départ de la prescription doit être fixé au jour du décès de [K] [E], de sorte que, au jour de l'assignation du 11 mai 2022, la prescription était acquise et l'action des consorts [E] était manifestement vouée à l'échec.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que c'était en 2009 que des études avaient démontré que la prise du Médiator entraînait un risque accru de développer une valvulopathie et, plus tard, une hypertension artérielle pulmonaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 janvier 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne la société Les laboratoires Servier aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Les laboratoires Servier à payer à Mme [I], Mme [V], Mme [H], Mme [L], M. [S] [E], Mme [W] [E] et M. [R] [E] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12500399
Date de la décision : 04/06/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Analyses

RESPONSABILITE DU FAIT DES PRODUITS DEFECTUEUX

L'action en responsabilité dirigée contre le fabricant d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué et qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit selon les dispositions du droit interne telles qu'interprétées à la lumière de l'article 10 de la directive, soit, en cas de dommage corporel, par dix ans à compter du jour où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance de la consolidation du dommage, du défaut et de l'identité du producteur


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 10 janvier 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 04 jui. 2025, pourvoi n°12500399


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune
Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert, SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:12500399
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award