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03/06/2025 | FRANCE | N°C2500741

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 03 juin 2025, C2500741


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° V 24-81.304 F-D


N° 00741




ODVS
3 JUIN 2025




CASSATION PARTIELLE




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 JUIN 2025






Les

sociétés [4], [2] et [3] et le ministre de l'économie ont formé des pourvois contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Lyon, en date du 16 janvier 2024, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° V 24-81.304 F-D

N° 00741

ODVS
3 JUIN 2025

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 JUIN 2025

Les sociétés [4], [2] et [3] et le ministre de l'économie ont formé des pourvois contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Lyon, en date du 16 janvier 2024, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Auvergne-Rhône-Alpes à effectuer des opérations de visite et de saisie en vue de la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles et a prononcé sur leurs demandes en annulation desdites opérations.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés [4], [2] et [3], les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Auvergne-Rhône-Alpes et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraude, et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les 19 et 20 mai 2022, des opérations de visite et saisie, autorisées par le juge des libertés et de la détention sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce, ont été pratiquées dans les locaux des sociétés [4], [2] et [3] (les sociétés [1]).

3. Ces dernières ont relevé appel de l'ordonnance et exercé un recours contre le déroulement de ces opérations.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, et le troisième moyen proposés pour les sociétés [1]

4. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches, proposé pour les sociétés [1]

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention le 13 mai 2022, a rejeté les recours des sociétés [1] tendant à voir annuler et, subsidiairement, réformer cette ordonnance, et a rejeté leurs demandes tendant à voir constater que les opérations de visites et saisies des 19 et 20 mai 2022 menées au sein des locaux des sociétés [1] ainsi que les saisies subséquentes sont nulles de plein droit, à voir ordonner la restitution et la suppression définitive des éventuelles copies de l'ensemble des documents saisis sous format électronique et papier au sein des locaux des sociétés [1] et à voir interdire à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Auvergne-Rhône-Alpes (DREETS), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraude, et l'Autorité de la concurrence de faire un quelconque usage de ces documents et de leur contenu, en original ou en copie, alors :

« 1°/ que si le juge des libertés et de la détention se prononce au terme d'une procédure non contradictoire sur la requête par laquelle l'administration lui demande l'autorisation de procéder à des visites domiciliaires, le recours ouvert par l'article L. 450-4 du code de commerce au bénéfice de l'entreprise visitée doit être instruit et jugé dans le respect du principe du contradictoire ; qu'il en résulte que l'administration qui, à l'appui de sa requête aux fins d'être autorisée à procéder à des visites domiciliaires, a fait le choix de communiquer dans leur intégralité certains documents au juge des libertés et de la détention, ne peut licitement prétendre restreindre le droit de l'entreprise visitée d'obtenir, pour les besoins de son recours, communication de ces documents, en ne lui remettant qu'une version « non-confidentielle » de ceux-ci, expurgée de certaines mentions délibérément occultées ; qu'en l'espèce, les sociétés [1] rappelaient que la DREETS avait communiqué au juge des libertés et de la détention une version confidentielle des annexes 3 et 9-1 à sa requête ainsi qu'une version non-confidentielle, qu'elle disait avoir confectionnée pour protéger le secret d'enquêtes en cours ; qu'elles rappelaient que l'accès à la version confidentielle soumise au juge des libertés et de la détention leur avait été refusé, seule la version non-confidentielle, comportant de larges occultations, leur ayant étant communiquée ; qu'en relevant que la procédure devant le juge des libertés et de la détention n'était pas contradictoire, qu'il ne pouvait y avoir de violation du contradictoire à ce stade et que les sociétés [1] n'étaient pas fondées « à invoquer une atteinte du principe du contradictoire concernant la saisine sur simple requête du juge des libertés et de la détention, qui ne suppose aucun contradictoire, et ne peut pas plus invoquer une telle atteinte dans le cadre de la procédure d'appel en ce que les versions non occultées de ces deux annexes ne sont pas versées aux débats », cependant qu'il lui appartenait, pour garantir le droit au contradictoire et le droit à un recours effectif, de s'assurer que les sociétés requérantes aient accès aux mêmes pièces que celles que l'administration avaient soumises aux juges des libertés et de la détention, le premier président a violé l'article L.450-4 du code de commerce, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme ;

3°/ que la seule circonstance que les occultations réalisées par l'administration auraient trait à des enquêtes en cours est impropre à justifier que l'entreprise visitée se voie refuser l'accès aux versions confidentielles de pièces communiquées par l'administration à l'appui de sa requête aux fins d'autorisation de procéder à des visites et saisies domiciliaires, dès lors que ces pièces ont été communiquées au juge des libertés et de la détention et que ce dernier s'y est référé pour prononcer une décision leur faisant grief ; qu'en jugeant le contraire, le Premier Président a violé l'article L.450-4 du code de commerce, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme ;

4°/ en toute hypothèse qu'à supposer même que le secret de l'enquête puisse être opposé à l'entreprise visitée et puisse justifier que les pièces produites par l'administration au soutien de sa requête ne lui soient communiquées que dans des versions non-confidentielles comportant des occultations, il n'en appartiendrait pas moins au Premier Président de la cour d'appel, auquel le secret de l'enquête n'est pas opposable et qui est tenu d'apprécier le bien-fondé de la requête, d'analyser lui-même l'ensemble des pièces soumises au juge des libertés et de la détention ; qu'en refusant de procéder lui-même à l'analyse des versions confidentielles des annexes 3 et 9-1 soumises au juge des libertés et de la détention et en jugeant qu'aucune « atteinte » ne saurait être invoquée « dans le cadre de la procédure d'appel en ce que les versions non occultées des annexes [en litige] n'ont pas été porté à [sa] connaissance », le Premier Président de la cour d'appel a méconnu son office, en violation des articles L.450-4 du code de commerce et 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme ;

5°/ qu'il en va d'autant plus ainsi que l'analyse des versions confidentielles communiquées par l'administration au juge des libertés et de la détention était nécessaire aux fins de vérifier si les occultations réalisées étaient justifiées et proportionnées à l'atteinte portée au principe du contradictoire et de s'assurer que ces occultations ne dissimulaient pas d'éventuels éléments à décharge ; qu'en refusant d'analyser lui-même les versions confidentielles des annexes 3 et 9-1 soumises au juge des libertés et de la détention, au motif qu'aucune « atteinte » ne saurait être invoquée « dans le cadre de la procédure d'appel en ce que les versions non occultées des annexes [en litige] n'ont pas été porté à [sa] connaissance », le Premier Président de la cour d'appel a violé l'article L.450-4 du code de commerce, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

6. Le moyen n'est pas fondé pour les motifs qui suivent.

7. En premier lieu, le premier président s'est assuré que le juge des libertés et de la détention a caractérisé l'existence de présomptions de pratiques commerciales anticoncurrentielles au regard de l'ensemble des éléments d'information fournis par l'administration et non pas seulement des versions confidentielles des deux annexes litigieuses.

8. En second lieu, il n'est pas démontré que la production des pièces invoquées par le moyen aurait été de nature à remettre en cause l'appréciation du juge sur les présomptions de pratiques anticoncurrentielles, ni sur la proportionnalité de la mesure coercitive demandée.
9. Enfin, l'accès au complet dossier et la discussion des pièces produites pourra s'exercer en cas d'engagement des poursuites pendant la phase juridictionnelle, lors de laquelle les principes du contradictoire et de l'égalité des armes sont garantis.

Sur le deuxième moyen proposé pour les sociétés [1]

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention le 13 mai 2022, a rejeté les recours des sociétés [1] tendant à voir annuler et, subsidiairement, réformer cette ordonnance, et a rejeté leurs demandes tendant à voir constater que les opérations de visites et saisies des 19 et 20 mai 2022 menées au sein des locaux des sociétés [1] ainsi que les saisies subséquentes sont nulles de plein droit, à voir ordonner la restitution et la suppression définitive des éventuelles copies de l'ensemble des documents saisis sous format électronique et papier au sein des locaux des sociétés [1], à voir interdire à la DREETS, la DGCCRF et l'Autorité de la concurrence de faire un quelconque usage de ces documents et de leur contenu, en original ou en copie, et à voir condamner la DREETS à verser la somme de 30 000 euros aux sociétés [1], en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux tiers dépens, alors :

« 1°/ que le juge des libertés et de la détention ne peut faire état de déclarations anonymes dans son ordonnance qu'à la condition que ces déclarations lui aient été soumises au moyen de documents établis et signés par les agents de l'administration, permettant d'en apprécier la teneur, et que ces déclarations soient corroborées par d'autres éléments d'information ; que le juge des libertés et de la détention et le Président de la cour d'appel ne peuvent être en mesure d'apprécier la teneur de telles déclarations qu'à charge de vérifier l'existence et l'identité du déclarant, ainsi que sa crédibilité, ce qui implique de prendre connaissance d'une version non anonymisée de la déclaration que l'administration doit leur remettre ; qu'en jugeant qu'il ne « résulte d'aucun texte applicable en l'espèce, alors que les sociétés [1] n'excipent pas de l'existence d'une disposition impérative, qui impose au juge des libertés et de la détention de disposer ou à se faire procurer une version non anonyme des procès-verbaux dressés par l'administration recueillant les déclarations de personnes n'ayant pas souhaité que leur nom soit divulgué et que « le juge des libertés et de la détention n'avait pas l'obligation de procéder au contrôle de ces annexes par la nécessaire production d'une version révélant l'identité des déclarants », le Premier Président a violé l'article L.450-4 du code de commerce, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

2°/ qu'en ajoutant que « la critique opérée par les sociétés [1] concernant la pertinence de cette appréciation est sans rapport avec le contrôle de régularité ici à effectuer, son moyen examiné à ce stade ne portant que sur la régularité de la prise en compte de déclarations anonymes », et que « l'examen de ses critiques au fond est inopérant à conduire à l'annulation de l'ordonnance déférée, mais seulement de nature au travers d'une nouvelle appréciation du premier président de nature à conduire le cas échéant à une infirmation de la décision du juge des libertés et de la détention », cependant que le juge des libertés et de la détention ne pouvait, sans exposer son ordonnance à l'annulation, fonder son autorisation sur des déclarations anonymes sans procéder à l'analyse des versions confidentielles desdites déclarations pour en apprécier concrètement le contenu, et qu'il lui appartenait lui-même de procéder à un tel examen, le Premier Président a violé l'article L.450-4 du code de commerce, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

11. Le moyen n'est pas fondé pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, le juge, qui doit s'assurer du caractère suffisant des présomptions qui résultent des éléments d'information produits aux fins de justifier la visite, peut faire état de déclarations anonymes, dont l'article 450-2 du code de commerce n'impose pas qu'elles soient consignées dans un procès-verbal, dans la mesure où elles lui sont soumises au moyen de documents établis et signés par les agents de l'administration permettant d'en apprécier la teneur et qu'elles sont corroborées par d'autres éléments d'information.

13. En second lieu, dans le contentieux des autorisations de visites domiciliaires en matière de concurrence, aucun texte ne prévoit, lors du recueil de la déclaration anonyme, l'établissement d'une version non anonymisée ni n'exige que le juge des libertés et de la détention doive vérifier l'existence et l'identité du déclarant.

Sur les quatrième et cinquième moyens proposés pour les sociétés [1]
Enoncé des moyens

14. Le quatrième moyen proposé pour les sociétés [1] critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a fait droit, de façon simplement partielle, aux recours formés par les parties visées en entête de l'ordonnance contre les opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société [4], a limité l'annulation prononcée à la seule saisie opérée des 2 561 documents listés dans la pièce n° 10 de la société [4], et en ce qu'elle a rejeté leur demande d'annulation de l'ensemble des opérations de visites et de saisies qui sont intervenues au sein des locaux de la société [4] les 19 et 20 mai et les 7 et 8 juillet 2022, alors :

« 1°/ que la saisie de documents couverts par le secret des correspondances avocat-client doit entraîner l'annulation de l'ensemble des opérations pratiquées lorsque, bien que dûment avisés par l'entreprise visitée de l'existence de pièces couvertes par le secret des correspondances avocat client et en lien avec l'objet de l'enquête, l'administration décide néanmoins de placer les documents saisis sous scellés définitifs, et en acquiert la libre disposition ; que ces pratiques présentent en effet un caractère déloyal et portent une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, de sorte qu'elles doivent emporter l'annulation des opérations dans leur ensemble ; qu'en se bornant à ordonner l'annulation de la saisie irrégulière de pièces couvertes par le secret des correspondances avocat-client, sans rechercher, comme il y était invité, si les pièces saisies n'étaient pas manifestement en lien avec l'objet de l'enquête et si ces pièces n'avaient pas été appréhendées par les agents de l'administration alors même qu'ils avaient été informés, notamment au stade de l'ouverture des scellés provisoires, de leur caractère protégeable et de leur lien avec l'objet de l'enquête, le Premier Président n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, de l'article L.450-4 du code de commerce, et de l'article 6§1 de la convention européenne des droits de l'Homme ;

2°/ en outre, que la seule possibilité reconnue à l'entreprise visitée d'obtenir la restitution des documents protégés ne suffit pas à garantir le droit de l'entreprise visitée à un recours effectif lorsque, bien que dûment avisés par l'entreprise visitée de l'existence, parmi les pièces saisies, de correspondances couvertes par le secret des correspondances avocat client et en lien avec l'objet de l'enquête, l'administration a néanmoins unilatéralement décidé de placer les documents saisis sous scellés définitifs et a, de la sorte, pu à sa guise les consulter ; qu'en se bornant dès lors à annuler la saisie des documents couverts par le secret des correspondances avocat-client, le Premier Président de la cour d'appel a violé l'article L.450-1 du code de commerce, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme. »

15. Le cinquième moyen proposé pour les sociétés [1] critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a fait droit, de façon simplement partielle aux recours formés par les parties visées en entête de cette ordonnance contre les opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société [4], a limité l'annulation prononcée à la seule saisie opérée des 2 561 documents listés dans la pièce 10 de la société [4], et a rejeté leur demande tendant à voir annuler la saisie papier de la correspondance visée en pièce n° 9, alors « que la protection accordée aux correspondances avocat client s'étend aux échanges précontentieux impliquant un avocat ; qu'en l'espèce, les sociétés [1] faisaient valoir que l'administration avait saisi un échange de courriels précontentieux en lien avec l'objet de l'enquête et auquel son avocat était partie ; qu'en jugeant que cet échange ne présentait pas un caractère protégeable au motif que cette pièce correspondait essentiellement à des échanges de courriers purement internes, que l'avocat des sociétés [1] avait été mis en copie d'un des courriels seulement, et que ceux-ci ne faisaient état d'aucun conseil dispensé par un avocat, sans rechercher si cet échange ne correspondait pas à un échange précontentieux, mettant en cause un avocat, et étant à ce titre couvert par le secret des correspondances avocat-client, le Premier Président délégué n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971. »

Réponse de la Cour

16. Pour faire droit partiellement aux recours formés contre les opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société [4] en annulant la saisie opérée des 2 561 documents listés dans la pièce n° 10 de ladite société, l'ordonnance attaquée énonce que l'exercice des droits de la défense visé par la société [4] suppose que les courriers qui seraient protégés par ce principe la concernent, et que sont protégés par le secret professionnel les courriels et courriers directs entre le client et l'avocat comme émetteur ou comme seul destinataire externe à l'entreprise, matérialisés par sa présence dans les émetteurs des messages ou dans les destinataires directs.

17. Le juge ajoute que la partie qui sollicite l'annulation de la saisie des pièces protégées doit indiquer celles qu'elle estime couvertes par la confidentialité et préciser pour chacune l'atteinte à l'exercice de ses droits à se défendre.

18. Il précise qu'il ne saurait être imposé au premier président de consulter l'intégralité des pièces saisies, bon nombre d'entre elles ne faisant l'objet d'aucune discussion, pour tenter de déterminer si certaines de ces pièces ont été illégalement saisies.

19. En statuant ainsi, le premier président n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

Mais sur moyen proposé pour le ministère de l'économie

20. Le moyen proposé pour le ministère de l'économie critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a fait droit partiellement aux recours formés contre les opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société [4], a annulé la saisie opérée des 2 561 documents listés dans la pièce 10 de la société [4] et ordonné la restitution par l'administration fiscale des pièces susvisées dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, alors:

« 1°/ que le seul fait que des correspondances couvertes par le secret professionnel soient échangées directement entre un avocat et son client ne suffit pas à les rendre insaisissables; que pour être insaisissables ces correspondances doivent consister en des documents en défense ou en conseil ayant trait aux droits de la défense en lien avec la procédure en cours ; qu'en estimant que l'annulation de la saisie des documents soumis au secret professionnel échangés entre l'avocat et son client suppose une atteinte en lien avec l'exercice des droits de la défense par la partie concernée et que tel est le cas lorsque les courriers litigieux sont échangés directement entre l'avocat et son client, le premier président a violé les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, L. 450-4 du code de commerce, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le premier président, pour se prononcer sur une demande d'annulation de saisies de correspondances échangées entre un avocat et son client, doit rechercher si ces documents ont trait aux droits de la défense en lien avec la procédure en cours ; qu'il ne peut déduire la présence de ces éléments du seul fait que l'administration défenderesse au recours en annulation des opérations de saisie n'a pas démontré la saisissabilité de ces documents sauf à inverser la charge de la preuve ; qu'en l'espèce, en jugeant qu'il incombait à l'administration défenderesse au recours en annulation de pièces saisies de lui fournir ses explications sur l'atteinte alléguée par son adversaire et qu'à défaut pour la DREETS d'avoir fourni un listing des pièces saisies litigieuses et d'avoir réfuté le tableau adverse sur les correspondances prétendument protégées, il était dans l'impossibilité d'opérer un contrôle des correspondances saisies et devait faire droit à la demande d'annulation des documents saisis listés 24N0038/LDG/CBV en pièce 10 par la société [1], le premier président, qui a inversé la charge de la preuve, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, L. 450-4 du code de commerce, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le premier président de la cour d'appel, statuant sur un recours en annulation de saisies de correspondances échangées entre un avocat et son client, doit rechercher si ces documents ont trait à l'exercice des droits de la défense en lien avec la procédure en cours ; qu'en particulier, pour se prononcer sur la nullité de la saisie de correspondances échangées entre un avocat et son client effectuée dans le cadre des opérations de visite et saisie diligentées par les agents de la DREETS, le premier président de la cour d'appel doit vérifier, non seulement que les correspondances litigieuses ont trait au secret professionnel, mais aussi qu'il s'agit de documents en défense ou en conseil, ayant trait aux droits de la défense, en lien avec la procédure en cours ; qu'en se bornant, pour prononcer la nullité des saisies des documents listés en pièce 10 de la société [1], à affirmer que les sociétés ayant sollicité cette annulation avaient produit la liste de ces documents en faisant figurer « au regard de chaque pièce discutée les motifs succincts dans sa demande d'annulation de la saisie », et que l'administration était défaillante dans la preuve inverse en ce qu'elle avait simplement allégué que la saisie desdits documents était présumée régulière, sans aucunement rechercher, comme il y était pourtant tenu, si ces documents avaient bien trait aux droits de la défense, le premier président n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, L. 450-4 du code de commerce, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que tout jugement, arrêt ou ordonnance doit comporter les motifs propres à justifier la décision et que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que le ministre en charge de l'économie, dans ses écritures, a fait valoir que la liste apportée par la société [1] et l'annotation figurant devant les documents listés (au nombre de 2561) sont insuffisantes à démontrer que ces correspondances sont en lien avec l'exercice des droits de la défense ; qu'en prononçant l'annulation des saisies de ces documents, sans répondre au moyen péremptoire des conclusions de l'administration dont il était saisi, le premier président n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, L. 450-4 du code de commerce, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la cour

Vu les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et L. 450-4 du code de commerce :

21. Si, selon les principes rappelés par le premier de ces textes, les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure qu'elles peuvent notamment être saisies dans le cadre des opérations de visite prévues par le second dès lors qu'elles ne concernent pas l'exercice des droits de la défense.

22. Il résulte du second de ces textes que le premier président, statuant sur la régularité de ces opérations, ne peut ordonner la restitution des correspondances entre l'occupant des lieux visités et un avocat en raison de leur confidentialité que si celles-ci ont trait à l'exercice des droits de la défense.

23. Pour faire droit partiellement à la demande de la société [4] que soient retirées des fichiers saisis les correspondances avec ses avocats, l'ordonnance attaquée retient qu'il appartient aux parties de fournir les éléments nécessaires pour permettre au premier président d'exercer son contrôle sur la légalité des opérations de visite et de saisie et, s'agissant du contrôle du respect du secret des correspondances entre avocats ou entre l'avocat et son client, de lui présenter concrètement les pièces litigieuses.

24. Le premier président ajoute que la partie qui sollicite l'annulation de la saisie des pièces protégées doit pour sa part indiquer les documents qu'elle estime couverts par la confidentialité et préciser pour chacune l'atteinte à l'exercice de ses droits à se défendre et qu'il incombe par ailleurs à l'administration de fournir ses explications sur l'atteinte alléguée par son adversaire en ce qu'il appartient de manière commune aux parties de participer à la manifestation de la vérité.

25. Il indique qu'il est vainement recherché dans les pièces du débat une quelconque liste dressée par la DREETS concernant les documents informatiques saisis susceptibles d'être concernés ou non par une atteinte au secret de la vie privée ou des correspondances entre l'avocat et son client ou réfutant le tableau adverse sur ces correspondances dites protégées et que dans sa pièce n° 10 bis la société [4] fait figurer au regard de chaque pièce discutée les motifs succincts de sa demande d'annulation de la saisie.

26. Il indique que la DREETS n'est pas fondée à se prévaloir d'une charge défaillante de la preuve par la société [4] tout en refusant à la production adverse la production des documents dits litigieux sous le sceau de la confidentialité et en se contentant d'affirmer qu'il est manifestement impossible à la lecture du tableau produit par ces sociétés de vérifier et de juger du caractère ou non protégé des correspondances en question.

27. Il ajoute que la société [4] identifie de manière précise les fichiers dits protégés, mais que la DREETS, qui a établi pour sa part son propre tableau dans le cadre des opérations d'ouverture des scellés, se dispense de manière incompréhensible de les fournir dans le cadre du présent recours alors qu'elle souligne qu'il est manifestement impossible de vérifier l'existence de la protection mise en avant par la société [4].

28. En se déterminant ainsi, le premier président a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

29. En effet, la charge de la preuve que des documents ou correspondances couverts par le secret professionnel sont insaisissables, en ce qu'ils ont trait aux droits de la défense, incombe exclusivement à la partie qui conteste leur saisie devant le premier président.

30. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquence de la cassation

31. La cassation sera limitée aux seules dispositions relatives à l'annulation de la saisie des 2561 documents énumérés dans la pièce n° 10 et ordonnant leur restitution, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Lyon, en date du 16 janvier 2024, en ses seules dispositions relatives à l'annulation de la saisie des 2561 documents énumérés dans la pièce n° 10 et ordonnant leur restitution, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du premier président près la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement annulée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500741
Date de la décision : 03/06/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Premier Président près la Cour d'appel de Lyon, 16 janvier 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 03 jui. 2025, pourvoi n°C2500741


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Célice, Texidor, Périer

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500741
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