LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° R 24-80.196 F-D
N° 00718
ECF
28 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 MAI 2025
M. [R] [Y] et la société [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 7 décembre 2023, qui, pour contraventions douanières, les a condamnés à des amendes douanières.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Bloch, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [R] [Y] et de la société [1], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Bloch, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [1] (ci-après la société [1]), ayant pour gérant M. [R] [Y], est un fournisseur entrepositaire agréé de tabac à narguilé qu'elle commercialise en France.
3. Le 17 juillet 2019, l'administration des douanes a fait citer la société [1] et M. [Y] devant le tribunal de police, des chefs de fausse déclaration dans la valeur et d'infraction aux dispositions des lois et règlements que l'administration des douanes est chargée d'appliquer.
4. Par jugement du 1er mars 2022, le tribunal de police a condamné les prévenus des chefs susmentionnés à des amendes douanières.
5. Les prévenus ont relevé appel principal, et le ministère public appel incident, de cette décision.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens et le sixième moyen, pris en sa troisième branche
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement en toutes ses dispositions après avoir déclaré recevable l'appel incident du ministère public et avoir entendu l'avocat général en ses réquisitions aux fins de confirmation du jugement, alors « que en vertu des dispositions de l'article 343 du code des douanes, l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'administration des douanes ; qu'il s'en déduit que cette action ne peut être exercée par le ministère public, accessoirement à l'action publique, que lorsque ce dernier agit pour l'application des peines d'emprisonnement prévues par ce code en matière de délits ; qu'il appert de l'arrêt et des pièces de procédure que c'est à la seule initiative de l'Administration des douanes que M. [Y] et la société [1] ont été cités devant le tribunal de police en vue de l'application des sanctions fiscales des articles 411§1 et 412 2° du code des douanes et que cette administration était représentée à l'audience par M. [O] [P], inspecteur des douanes ; que le procureur de la République près le tribunal de police de Valence ayant interjeté appel incident du jugement portant condamnation des prévenus, la cour d'appel a déclaré cet appel recevable, puis confirmé le jugement en toutes ses dispositions après que l'avocat général a été entendu en ses réquisitions aux fins de confirmation du jugement, tant sur l'exception de nullité que sur le fond ; qu'en prononçant ainsi, quand les poursuites ne tendant qu'au prononcé des sanctions fiscales prévues pour des contraventions douanières de deuxième et troisième classe, le ministère public n'avait pas qualité pour exercer la voie de recours ouverte par l'article 546 du code de procédure pénale et était irrecevable à agir, la cour d'appel a méconnu les textes précités et le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
8. C'est à tort que la cour d'appel, qui était saisie de contraventions douanières des deuxième et troisième classes, a déclaré recevable l'appel du procureur de la République.
9. En effet, les poursuites ne tendant qu'au prononcé de sanctions fiscales, en application des dispositions de l'article 343 du code des douanes, le ministère public n'avait pas qualité pour exercer la voie de recours prévue par l'article 546 du code de procédure pénale.
10. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure pour les motifs qui suivent.
11. D'une part, la cour d'appel, statuant sur le recours des prévenus, n'a pas aggravé les sanctions prononcées en première instance.
12. D'autre part, devant les juridictions de police, en application des articles 458, 536, 512 et 547 du code de procédure pénale, le ministère public, fût-il partie jointe, prend au nom de la loi les réquisitions tant écrites qu'orales qu'il croit convenables au bien de la justice.
13. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.
Mais sur le sixième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du tribunal de police ayant condamné M. [Y] et la société [1] solidairement au paiement d'une amende douanière de 82 500 euros au titre des contraventions de fausses déclarations dans la valeur des marchandises importées lorsqu'un droit de douane ou une taxe quelconque se trouve éludé, ainsi qu'au paiement d'une amende douanière de 3 965 971 euros au titre de l'infraction aux dispositions des lois et règlements que l'administration des douanes est chargée d'appliquer ayant pour but ou pour résultat d'éluder ou de compromettre le recouvrement d'une taxe, alors :
« 1°/ d'une part que il se déduit des articles 365, 369 du code des douanes, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale que le juge qui prononce une amende en application de l'article 412 2° du code des douanes en répression des infractions de fausse déclaration dans la valeur des marchandises importées lorsqu'un droit de douane ou une taxe quelconque se trouve éludé, après avoir fixé les montants minimum et maximum de l'amende encourue, doit motiver sa décision au regard de l'ampleur et de la gravité de l'infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur, quel que soit le montant de l'amende qu'il retient ; qu'en se bornant à confirmer la condamnation des prévenus à une amende douanière de 82 500 euros correspondant au montant maximal encouru, nonobstant les conclusions aux fins de dispense de sanction de ces derniers, sans s'expliquer sur l'ampleur et la gravité de l'infraction commise, ni sur la personnalité des prévenus, qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
2°/ d'autre part que il se déduit des articles 365, 369 du code des douanes, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale que le juge qui prononce des amendes en application de l'article 411 § 1 du code des douanes en répression des infractions aux dispositions des lois et règlements que l'administration des douanes est chargée d'appliquer ayant pour but ou pour résultat d'éluder ou de compromettre le recouvrement d'une taxe, après avoir recherché le montant des droits et taxes éludés et fixé en conséquence les montants minimum et maximum de l'amende encourue, doit motiver sa décision au regard de l'ampleur et de la gravité de l'infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur, quel que soit le montant de l'amende qu'il retient ; qu'en se bornant à confirmer la condamnation des prévenus à une de amende douanière de 3 965 971 euros correspondant au montant prétendu des droits éludés, montant minimal de l'amende encourue, nonobstant leurs conclusions d'appel concluant à la dispense de sanction et dénonçant la fausseté du calcul des droits éludés et sa contrariété à la décision du Conseil d'Etat du 26 décembre 2018, sans s'expliquer ni sur l'erreur de calcul ainsi alléguée, ni sur l'ampleur et la gravité de l'infraction commise, pas plus que sur la personnalité des prévenus, qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 365, 369 du code des douanes, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale :
15. Aux termes du deuxième de ces textes, eu égard à l'ampleur et à la gravité de l'infraction commise, ainsi qu'à la personnalité de son auteur, le tribunal peut réduire le montant de l'amende fiscale prononcée à l'encontre
de l'auteur d'une infraction douanière jusqu'à un montant inférieur à son montant minimal.
16. Il résulte du premier et des trois derniers qu'en matière douanière, toute peine d'amende doit être motivée.
17. Pour condamner solidairement M. [Y] et la société [1] à une amende douanière de 82 500 euros au titre de l'infraction de fausse déclaration dans la valeur, l'arrêt attaqué énonce que la société [1] a procédé entre le 13 juillet 2012 et le 12 avril 2016 à cinquante-cinq importations de tabac à narguilé pour lesquelles elle n'a pas inclus dans la valeur en douane les frais de commission de courtage ainsi que les frais d'emballage.
18. Pour condamner ces mêmes prévenus à une amende douanière de 3 965 971 euros au titre de l'infraction aux dispositions des lois et règlements que l'administration des douanes est chargée d'appliquer, les juges énoncent que la société [1] a réussi à éluder le paiement de 3 965 971 euros sur la période contrôlée, par la non-intégration des droits de consommation sur les tabacs à la base d'imposition à la TVA.
19. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
20. En effet, si la cour d'appel a tenu compte de l'ampleur et de la gravité des infractions commises, résultant de l'importance des droits éludés sur une période de plusieurs années, elle ne s'est pas expliquée sur la personnalité des prévenus, qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision.
21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation à intervenir sera limitée au prononcé des amendes douanières. Les autres dispositions seront donc maintenues.
23. La cour d'appel de renvoi ne pourra aggraver les amendes douanières en l'absence d'appel de l'administration des douanes.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 7 décembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives au prononcé des amendes douanières, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille vingt-cinq.