LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 21 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 538 FS-B
Pourvoi n° P 23-21.954
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 MAI 2025
1°/ L'union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris (US CGT CDSP), dont le siège est [Adresse 25],
2°/ M. [B] [K], domicilié [Adresse 3],
3°/ M. [IK] [H], domicilié [Adresse 27],
4°/ Mme [NN] [D], domiciliée [Adresse 7],
5°/ M. [W] [I], domicilié [Adresse 13],
6°/ Mme [V] [U], domiciliée [Adresse 14],
7°/ M. [TB] [CV], doimicilié [Adresse 23],
8°/ Mme [ND] [GG], domiciliée chez M. [C] [P], [Adresse 9],
9°/ M. [GR] [SR], domicilié [Adresse 4],
10°/ Mme [L] [VF], domiciliée [Adresse 19],
11°/ M. [DA] [A], domicilié [Adresse 2],
12°/ Mme [G] [GL], domiciliée [Adresse 10],
13°/ M. [SW] [ZT], domicilié [Adresse 12],
14°/ Mme [N] [NI], domiciliée [Adresse 18],
ont formé le pourvoi n° P 23-21.954 contre le jugement rendu le 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Paris (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant :
1°/ au syndicat Hôtellerie tourisme restauration - CFDT (HTR - CFDT), dont le siège est [Adresse 26],
2°/ à la Société d'exploitation du Royal Monceau, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 15],
3°/ au syndicat CFTC, dont le siège est [Adresse 22],
4°/ au syndicat CGT, dont le siège est [Adresse 17],
5°/ à Mme [PH] [KU], domiciliée [Adresse 16],
6°/ à M. [Z] [LE], domicilié [Adresse 8],
7°/ à Mme [T] [PM], domiciliée [Adresse 5],
8°/ à M. [KO] [Y], domicilié [Adresse 24],
9°/ à Mme [AR] [X], domiciliée [Adresse 28],
10°/ à M. [S] [J], domicilié [Adresse 29],
11°/ à M. [M] [MY], domicilié [Adresse 11],
12°/ à M. [E] [DX], domicilié [Adresse 6],
13°/ à Mme [R] [VA], domiciliée [Adresse 1],
14°/ à M. [KZ] [IP], domicilié [Adresse 21],
15°/ à Mme [O] [GB], domiciliée [Adresse 20],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris et des treize autres salariés, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la Société d'exploitation du Royal Monceau, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du syndicat Hôtellerie tourisme restauration - CFDT et de neuf salariés à l'exception de M. [J] et de Mme [GB], et l'avis de Mme Canas, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 avril 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, M. Dieu, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Canas, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 16 octobre 2023), en vue de l'élection des membres de la délégation du personnel au sein du comité social et économique de la Société d'exploitation du Royal Monceau (la société), a été signé le 20 mars 2023 un protocole d'accord préélectoral prévoyant notamment un dépôt des listes pour le premier tour au plus tard le 5 avril 2023 à douze heures.
2. S'agissant du collège employés, l'union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris (le syndicat CGT) a transmis à l'employeur, le 4 avril 2023, une liste de huit candidats, composée de cinq hommes et trois femmes, avec une alternance homme-femme. Le 6 avril 2023, Mme [IV] [XE] [F] [XO], figurant en sixième position sur cette liste, a, par courriel envoyé à la société et au syndicat CGT, retiré sa candidature.
3. Le premier tour des élections s'est déroulé le 19 avril 2023. Le syndicat CGT a obtenu six élus.
4. Par déclaration au greffe enregistrée le 4 mai 2023, le syndicat HTR-CFDT (le syndicat CFDT) a saisi le tribunal judiciaire afin d'obtenir l'annulation de l'élection de M. [K], élu membre titulaire du comité social et économique de la société au sein du collège employés sur la liste du syndicat CGT, au motif que cette liste ne respectait pas les règles de représentation proportionnée entre les femmes et les hommes.
5. Par conclusions en défense visées le 8 septembre 2023, le syndicat CGT a reconventionnellement demandé au tribunal d'annuler l'élection de Mme [KU], élue en qualité de membre titulaire sur la liste déposée par le syndicat CFDT pour le collège employés, au motif que la liste incomplète déposée par le syndicat CFDT présentait une femme en surnombre.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. Le syndicat CGT fait grief au jugement de dire que sa demande reconventionnelle en annulation de l'élection de Mme [KU] en qualité de membre titulaire, au sein du premier collège, du comité social et économique de la société est irrecevable, alors :
« 1°/ que tout jugement doit être motivé et que le juge qui se borne, au titre de sa motivation, à reproduire les conclusions de la partie aux prétentions de laquelle il fait droit, ne statue que par une apparence de motivation faisant peser un doute sur l'impartialité de la juridiction ; que pour déclarer irrecevable la demande reconventionnelle formulée par l'US CGT CDSP tendant à l'annulation de l'élection de Mme [KU], élue titulaire au comité social et économique, dans le premier collège, présentée sur une liste du syndicat HTR CFDT, le tribunal judiciaire s'est borné, au titre de sa motivation, à reprendre, à l'exception de quelques aménagements de style, les termes des conclusions du syndicat HTR CFDT énonçant que la demande du syndicat CGT, "formée plus de trois mois après les élections, très postérieurement au délai de forclusion de quinze jours", n'avait "aucun rapport" avec la demande d'annulation de l'élection de M. [K] avec laquelle elle ne présente pas de lien suffisant ; qu'en se prononçant de la sorte, le tribunal judiciaire a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ et en tout état de cause, que les demandes reconventionnelles sont recevables à la seule condition, posée par l'article 70 du code de procédure civile, de se rattacher au litige originaire par un lien suffisant ; qu'en se bornant, en l'espèce, à affirmer, pour déclarer irrecevable la demande d'annulation de l'élection de Mme [KU], formée à titre reconventionnel par l'US CGT CDSP, que cette demande, formée plus de trois mois après les élections n'avait aucun rapport avec la contestation de l'élection de M. [K], avec laquelle elle ne présente pas de lien suffisant, sans rechercher si, dès lors que l'ensemble des prétentions considérées trouvaient leur cause alléguée dans un non-respect des règles sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes lors du déroulement du même scrutin, ce motif commun ne caractérisait pas un lien suffisant entre elles, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard de l'article 70 du code de procédure civile ;
3°/ que l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre même si chacune d'elles procède de causes distinctes, lorsqu'elles tendent l'une et l'autre à un même but de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en retenant que la demande en annulation de l'élection de Mme [KU], candidate CFDT dans le collège "employés", avait été formée plus de trois mois après les élections, très postérieurement à l'expiration du délai de forclusion de quinze jours prévu par l'article R. 2314-24 du code du travail, pour la déclarer irrecevable, cependant qu'il résulte des propres énonciations du jugement que cette demande de l'US CGT CDSP tendait à voir sanctionner le non-respect par le syndicat CFDT des règles de l'article L. 2314-30 du même code lors de l'élection des membres titulaires du comité social et économique concernant le premier collège, ce dont il résultait qu'elle tendait aux mêmes fins que la demande dont le tribunal judiciaire avait été initialement saisi par le syndicat HTR CFDT aux fins de voir annuler, pour méconnaissance des obligations en matière de parité, l'élection de M. [K], élu dans ce même collège en qualité de membre titulaire, le tribunal judiciaire a violé l'article R. 2314-24 du code du travail et l'article 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 70 du code de procédure civile que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
8. Le tribunal a constaté que la demande formée par le syndicat CGT tendait à l'annulation, pour non-respect par la liste de candidats déposée par le syndicat CFDT de la règle de représentation proportionnée des femmes et des hommes, de l'élection de Mme [KU], élue pour le collège employés.
9. De ces seules constatations, dont il ressortait que cette demande, bien que relative aux mêmes opérations électorales, qui ne visait pas le rejet total ou partiel de la demande initiale, ne se rattachait pas par un lien suffisant aux prétentions originaires lesquelles tendaient à l'annulation de l'élection de M. [K] présenté sur la liste de candidats déposée par le syndicat CGT, le tribunal a pu en déduire qu'elle était irrecevable.
10. Le moyen, n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. Le syndicat CGT fait grief au jugement d'annuler l'élection du 19 avril 2023, dans le premier collège employés, de M. [K] en qualité de membre titulaire du comité social et économique de la société, alors « que, selon le premier alinéa de l'article L. 2314-30 du code du travail, pour chaque collège électoral, les listes établies par les organisations syndicales sont composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes ; que la conformité d'une liste de candidatures aux exigences de l'article précité doit s'apprécier à la date d'établissement et de dépôt de la liste sans qu'il soit tenu compte de l'éventuelle décision d'un candidat de retirer postérieurement sa candidature, laquelle s'impose au syndicat ayant présenté la liste concernée ; qu'en annulant l'élection de M. [K] dans le premier collège au motif qu'après le retrait par Mme [IV], le 6 avril 2023, de sa candidature sur la liste CGT, la liste présentée par l'US CGT CDSP ne comportait plus que cinq hommes et deux femmes quand en application du principe d'arrondi, une liste complète pour huit postes devait comporter cinq hommes et trois femmes, tout en ayant pourtant constaté que la liste de candidats déposée par l'US CGT CDSP, à la date limite de dépôt des candidatures fixée au 5 avril 2023 par le protocole d'accord préélectoral, composée de cinq hommes et de trois femmes, respectait bien à la fois la parité homme-femme et la règle de l'alternance des candidatures féminines et masculines, de sorte qu'elle satisfaisait aux exigences légales, le tribunal judiciaire, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 2314-30 et L. 2314-32 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2314-6, L. 2314-28, L. 2314-29, L. 2314-30 et L. 2314-32 du code du travail :
12. Lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l'article L. 2314-30 du code du travail, c'est-à-dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté. Lorsque l'application des règles de proportionnalité et de l'arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe, il résulte de l'article L. 2314-30 du code du travail que les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues. Les dispositions de l'article L. 2314-30 étant d'ordre public absolu, le protocole préélectoral ne peut y déroger.
13. En revanche, lorsque l'organisation syndicale choisit de présenter une liste comprenant un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir, l'application de la règle de l'arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 provoquée par le nombre de candidats que l'organisation syndicale a choisi de présenter ne peut conduire, s'agissant de textes d'ordre public absolu, à éliminer toute représentation du sexe sous-représenté qui aurait été représenté dans une liste comportant autant de candidats que de sièges à pourvoir.
14. L'article L. 2314-28 du code du travail prévoit que les modalités d'organisation et de déroulement des opérations électorales font l'objet d'un accord entre l'employeur et les organisations syndicales, conclu conformément à l'article L. 2314-6. Cet accord respecte les principes généraux du droit électoral. Les modalités sur lesquelles aucun accord n'a pu intervenir peuvent être fixées par une décision du juge judiciaire.
15. Nul ne pouvant être candidat sur une liste sans son accord, la décision d'un salarié de ne pas figurer sur une liste de candidats s'impose au syndicat ayant présenté cette liste, lequel doit retirer le salarié de sa liste de candidats dès qu'il en est informé.
16. Il en résulte que lorsqu'un protocole préélectoral mentionne une date limite de dépôt des candidatures, celle-ci s'impose aux parties et que l'appréciation de la régularité des listes au regard de l'article L. 2314-30 du code du travail s'entend des listes déposées avant cette date limite de dépôt, peu important que la liste de candidats soumise au scrutin soit incomplète à la suite de la décision ultérieure de certains candidats de se retirer de la liste.
17. Pour annuler l'élection de M. [K] en qualité de membre titulaire du comité social et économique de la société, le jugement retient que le protocole d'accord préélectoral a prévu un dépôt des listes du premier tour au plus tard le 5 avril 2023 à douze heures, que le 4 avril 2023, le syndicat CGT a transmis sa liste de candidats, composée de cinq hommes et trois femmes, que cette liste respectait les règles de proportionnalité et d'alternance fixées par l'article L. 2314-30 du code du travail, que cependant, pour apprécier la régularité de la liste au regard de l'article précité, ce qui compte n'est pas la liste déposée à la date limite de dépôt des candidatures, mais la liste effectivement présentée aux électeurs par le syndicat, et qu'en l'espèce, la liste présentée aux électeurs ne comportait plus que deux femmes suite au retrait de sa candidature par la troisième, qui figurait en sixième position de la liste, selon courriel envoyé à la société et au syndicat le 6 avril 2023, et qu'un homme étant en surnombre, il y a lieu dès lors d'annuler l'élection de M. [K], dernier élu du sexe surreprésenté de la liste.
18. En statuant ainsi, le tribunal a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule l'élection le 19 avril 2023 de M. [K] en qualité de membre titulaire du collège employés du comité social et économique de la Société d'exploitation du Royal Monceau, élu de l'union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, le jugement rendu le 16 octobre 2023, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris autrement composé ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt et un mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.