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20/05/2025 | FRANCE | N°C2500645

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 mai 2025, C2500645


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° N 24-81.205 F-D


N° 00645




RB5
20 MAI 2025




REJET




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 MAI 2025






Mme [B] [F], partie

civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 10 janvier 2024, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de MM. [S] [C] et [X] [J], du chef, pour le premier, de diffamation publi...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° N 24-81.205 F-D

N° 00645

RB5
20 MAI 2025

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 MAI 2025

Mme [B] [F], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 10 janvier 2024, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de MM. [S] [C] et [X] [J], du chef, pour le premier, de diffamation publique envers un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité publique ou un citoyen chargé d'un service public, pour le second, de complicité de ce délit.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme [B] [F], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de MM. [S] [C] et [X] [J], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 29 mai 2018, une réunion s'est tenue dans les locaux de la direction générale du travail (DGT), en présence de Mmes [W] [O] et [B] [F], inspectrices du travail, la première en qualité de responsable de l'unité de contrôle interdépartementale de [Localité 6], la seconde exerçant au sein de l'aéroport [4], au sujet de décisions prises par celles-ci à la suite de problèmes techniques rencontrés par la société [1] à l'aéroport de [Localité 2] (Colombie).

3. Le 19 juin suivant, M. [X] [J], directeur général du travail, a envoyé auxdites inspectrices deux lettres résumant les critiques dirigées contre elles.

4. Le 20 décembre 2019, à la suite de la diffusion d'un tract par le syndicat [3] évoquant des pressions de la DGT sur des membres de l'inspection du travail dans le seul but de préserver les intérêts de la société [1], M. [S] [C], directeur adjoint, a adressé un courriel concernant notamment cette affaire à cent-quarante-huit destinataires, incluant, en pièces jointes, les deux lettres anonymisées précédemment adressées aux deux inspectrices.

5. S'estimant identifiable, Mme [F] a fait citer MM. [C] et [J] devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés, à raison des propos suivants diffusés dans le courriel du 20 décembre 2019 : « Au cours du traitement de ce dossier, vous avez adressé le 17 octobre 2017 un courrier à la Direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC), service à compétence nationale rattaché au directeur général de l'aviation civile. Quand bien même cette saisine était nécessaire, vous avez écrit, à une direction d'administration centrale sous le seul couvert de votre responsable d'unité de contrôle (RUC), sans que celle-ci n'estime devoir en faire autant vis-a -vis de l'ensemble de la chaîne hiérarchique. Or, les règles de base d'échanges entre administrations exigent le respect d'une transmission par la voie hiérarchique de part et d'autre et s'agissant d'une demande formulée auprès d'un directeur d'administration centrale, vous ne pouvez ignorer que celle-ci devait être transmise sous mon couvert. (Propos poursuivis n°1) ; (...) Le mode de fonctionnement que vous avez retenu pour traiter cette situation au sein de nos services et entre administrations n'est pas admissible. En effet, il a pour effet tout à la fois de fragiliser nos relations interministérielles dans des domaines à compétence partagée, et de me priver de la faculté de vous appuyer dans vos démarches ou d'intervenir en qualité d'autorité centrale pour échanger avec vous sur l'affaire en cause, voire, comme en l'espèce de vous indiquer que la voie suivie pouvait s'avérer erronée sur le plan de la compétence matérielle de nos services. » (Propos poursuivis n° 2) ; « Or, vous avez fait le choix de ne mentionner dans le corps de votre assignation que des extraits très limités des éléments du courrier de la DSAC du 27 octobre 2017, courrier par lequel cette direction répondait à vos interrogations quant à la sécurité des vols [Localité 2]-[Localité 5] à la suite des incidents visés par votre enquête et aux mesures conservatoires mises en place par [1]. (Propos poursuivis n° 3) ; (?) Par suite et malgré la jonction dudit courrier dans les pièces annexes devant la juridiction, il en ressort une présentation très partielle des conclusions de la DGAC laquelle pourrait être de nature à jeter un doute sérieux sur l'impartialité de votre action, alors même que celle-ci ne peut être suspectée ». (Propos poursuivis n° 4) ; « Vous avez donné dans le cadre de la procédure de référé que vous avez engagée, votre accord pour qu'une « tierce personne » soit désignée afin de « permettre [aux parties] de trouver une solution au conflit qui les oppose ». Or, comme nous vous l'avions indiqué, cette démarche n'est ni pertinente, ni justifiée et est même parfaitement inappropriée au regard des missions, du rôle et du positionnement de l'inspection du travail : en effet, en acceptant cette proposition de médiation, lors de l'audience de référé du 17 novembre 2017, vous vous êtes placée en quelque sorte au même niveau que l'entreprise, mettant ainsi sur le même plan l'intérêt privé que celle-ci poursuit et l'intérêt général que poursuit le service public de l'inspection du travail. (Propos poursuivis n° 5) ; (?) J'ajoute que là encore, c'est aussi le caractère isolé et « hors système » du traitement de ce dossier qui ont fortement contribué à ce que cette erreur d'appréciation puisse prospérer, car nous aurions pu anticiper, ensemble, votre encadrement s'appuyant sur la DGT, les problèmes que n'ont pas manqué de soulever cette situation. Il s'agit là d'un précédent préoccupant car sur un dossier aussi exposé, nul doute que la démarche pourrait trouver un écho auprès des entreprises confrontées à une procédure de référé dans l'avenir, démarche qui, si elle était réitérée serait ne nature à mettre en difficulté nos services. Enfin, ce n'est qu'une fois la procédure engagée soit le 11 décembre 2017 que mes services ont été saisis quant à la question des règles de confidentialité et qu'il vous a été répondu le jour même. Une démarche en amont et « à froid » aurait été plus pertinente pour vous-même et l'ensemble du système d'inspection du travail et de nature à éviter de donner une image de fragilité s'agissant de la connaissance et de la maîtrise des règles de procédure civile alors que l'administration est à l'initiative de la procédure ». (Propos poursuivis n° 6) ; « J'insiste sur le fait que dans ce dossier, et au-delà des questions de fond qu'encore une fois je n'aborde pas, le défaut certain de communication, d'information de l'ensemble de la ligne hiérarchique sur ce dossier, la méconnaissance des prérogatives des uns et des autres et l'approche isolée de ce dossier et en vous plaçant en dehors d'une mode de fonctionnement « en système » vous a conduit à vous exposer à des difficultés multiples » (Propos poursuivis n° 7).

6. Les juges du premier degré ont relaxé les prévenus à raison des propos poursuivis n° 3 à 7, les ont condamnés des chefs susvisés à raison des propos poursuivis n°1 et 2 à 500 euros d'amende avec sursis et ont prononcé sur les intérêts civils.

7. Les prévenus ont relevé appel de cette décision, à l'exclusion des relaxes partielles.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a renvoyé les prévenus des faits de la poursuite et de l'avoir déboutée de ses demandes, alors :

« 1°/ que constitue un fait contraire à l'honneur et à la considération le manquement par une inspectrice du travail aux règles et principes de fonctionnement de son administration et précisément celles ayant trait au respect de la voie hiérarchique et consistant à avoir adopté un mode de fonctionnement dont il est indiqué par sa hiérarchie dans l'écrit incriminé qu'il n'est pas admissible et qu'il a eu pour effet de fragiliser les relations entre cette administration et une administration exerçant des compétences sur un domaine partagé ainsi que le fonctionnement interne du service ; qu'en retenant le contraire, au motif inopérant que l'auteur de l'écrit ne remettait pas en cause la probité de l'inspectrice du travail concernée et ne lui imputait pas d'avoir manqué volontairement à ses obligations déontologiques, la cour d'appel, qui a par ailleurs relevé que l'écrit mettait en cause la compétence professionnelle de l'intéressée, a méconnu le sens et la portée des écrits incriminés et a violé les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2°/ qu'en tout état de cause, en se limitant à tenir compte des passages de l'écrit qui étaient poursuivis sans rapprocher ces derniers, comme l'avait fait le premier juge, des termes du courriel qui le diffusait en ce que ce dernier indiquait que « Les mises au point ou rappels qu'ils comportent ont pour finalité de consolider l'action des services et appellent un renforcement de la cohérence de notre action, dans le respect de la libre décision mais aussi du cadre de légalité qui s'impose à tous » ainsi que des autres passages du courrier qui indiquaient à son destinataire la nécessité « de rappeler un certain nombre de règles administratives et de principes de fonctionnement de base dont le respect est indispensable pour assurer le bon fonctionnement du système d'inspection du travail et de notre administration dans son ensemble », ce dont il résultait, selon l'analyse du jugement qu'elle infirmait, le caractère diffamatoire de l'imputation faite à la partie civile d'avoir manqué à ses obligations professionnelles, la cour d'appel a violé les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881. »

Réponse de la Cour

9. Pour relaxer les prévenus des chefs susvisés à raison des propos poursuivis n°1 et 2, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il est reproché à la partie civile, en sa qualité d'inspectrice du travail, d'avoir adressé un courrier à la direction de la sécurité de l'aviation civile, sous le seul couvert de sa responsable locale, sans respecter la voie hiérarchique, ce qui a eu pour effet de nuire à l'efficacité de l'action de l'administration et aux relations interministérielles concernées.

10. Les juges en déduisent qu'il s'agit d'un fait précis qui s'analyse en une critique d'une pratique professionnelle ne remettant pas en cause la probité de l'intéressée.

11. Ils ajoutent qu'il n'est pas reproché à Mme [F] d'avoir manqué volontairement à ses obligations déontologiques et de respect mutuel envers les autres agents du corps auquel elle appartient, l'auteur des propos stigmatisant un mode de fonctionnement inadmissible en ce qu'il a empêché tout échange sur le choix d'une voie qui pouvait s'avérer erronée sur le plan de la compétence matérielle des services en cause.

12. Ils relèvent encore que les propos rappellent un certain nombre de règles administratives et de principes dont le respect est indispensable pour assurer le bon fonctionnement d'une administration.

13. Ils en concluent que si les termes « inadmissible » et « erroné », notamment, ont pu légitimement heurter la partie civile, ils ne confèrent pas aux manquements imputés un caractère objectivement attentatoire à son honneur et à sa considération.

14. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

15. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, en considération du sens et de la portée des propos poursuivis, et au regard du contexte dans lequel ils ont été tenus, que l'appréciation portée par les prévenus, au strict plan professionnel, sur la décision prise par la partie civile, en sa qualité d'inspectrice du travail, s'agissant d'un dossier dont elle avait la charge, d'adresser un courrier à la direction de la sécurité de l'aviation civile, service relevant d'un autre ministère, sans en assurer la transmission sous le couvert du directeur général du travail, autorité hiérarchique de l'intéressée, n'était pas susceptible de porter atteinte à son honneur et à sa considération personnelle ou professionnelle.

16. Dès lors, le moyen doit être écarté.

17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [B] [F] devra payer à MM. [S] [C] et [X] [J] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500645
Date de la décision : 20/05/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 janvier 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 20 mai. 2025, pourvoi n°C2500645


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 27/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500645
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