LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 14 mai 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 316 F-D
Pourvoi n° Q 23-23.404
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 MAI 2025
Mme [G] [E], épouse [W], domiciliée [Adresse 3], [Localité 2], a formé le pourvoi n° Q 23-23.404 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2023 par la cour d'appel de Dijon (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 4], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [E], après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 14 novembre 2023), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 8 février 2023, pourvoi n° 21-20.888), Mme [E] a chargé M. [V], avocat, de relever appel d'un jugement du 10 juillet 2013 ayant, à la demande de la société Crédit mutuel (la banque), ordonné la vente forcée de biens immobiliers lui appartenant.
2. Par arrêt du 29 janvier 2014, la cour d'appel a déclaré l'appel recevable, infirmé le jugement et annulé le commandement de payer valant saisie immobilière signifié par la banque. Sur le pourvoi formé par celle-ci, la Cour de cassation, accueillant le premier moyen, a retenu que l'appel était irrecevable comme formé hors délai et cassé sans renvoi cet arrêt (2e Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 14-15.150, 14-14.926, publié).
3. Estimant que son avocat avait commis une faute, en déposant tardivement une requête aux fins d'autorisation d'assigner à jour fixe à l'origine de l'irrecevabilité de son appel, Mme [E] a assigné la société Allianz IARD, assureur de M. [V], en indemnisation de son préjudice moral et d'une perte de chance d'obtenir gain de cause en cassation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. Mme [E] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de la perte de chance subie, alors « que toute perte de chance ouvre droit à réparation ; qu'en retenant, pour dire que Mme [E] n'établissait pas avoir subi une perte de chance d'éviter la vente des biens immobiliers dépendant de la succession de ses parents, que si M. [V] avait conduit sa procédure d'appel correctement, l'arrêt du 29 janvier 2014 ayant annulé la procédure de saisie aurait "très probablement" été cassé et le commandement du 28 juillet 2011 aurait "très probablement" été validé, si bien que la procédure de saisie immobilière aurait été conduite jusqu'à son terme, ce dont il résultait que la cassation de l'arrêt et la validation du commandement n'étaient pas certains, et que subsistait dès lors une perte de chance qu'il lui appartenait d'évaluer, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du code
civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1147 et 1149 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
5. Il résulte de ces textes que toute disparition d'une éventualité favorable en lien causal avec la faute ouvre droit à réparation.
6. Pour rejeter la demande de Mme [E] au titre de la perte de chance subie, l'arrêt retient que, si M. [V] avait conduit la procédure d'appel correctement, l'arrêt du 29 janvier 2014 aurait très probablement été cassé sur le second moyen et le commandement du 28 juillet 2011 aurait très probablement été validé par la juridiction de renvoi, si bien que la procédure de saisie immobilière aurait été conduite jusqu'à son terme comme elle l'a été et en déduit que Mme [E] n'établit pas avoir subi une perte de chance d'éviter la vente forcée.
7. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter toute perte de chance, même faible, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Allianz IARD a payer à Mme [E] la somme de 3 000 euros en réparation d'un préjudice moral, l'arrêt rendu le 14 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société Allianz IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Allianz IARD à payer à Mme [E] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.