LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 25-81.446 FS-B
N° 00754
GM
7 MAI 2025
NON ADMISSION
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 MAI 2025
La procureure générale près la cour d'appel de Paris ainsi que Mme [Y] [L] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 1re section, en date du 22 janvier 2025, qui, infirmant l'ordonnance du juge d'instruction, a dit n'y avoir lieu à suivre à l'encontre de la seconde des chefs de génocide et crimes contre l'humanité, et l'a renvoyée devant la cour d'assises de Paris, spécialement composée, sous l'accusation d'association de malfaiteurs terroriste et de complicité de crimes contre l'humanité.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Diop-Simon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [Y] [L], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Diop-Simon, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Leprieur, MM. Turbeaux, Laurent, Gouton, Brugère, Tessereau, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mme Guerrini, conseillers référendaires, M. Crocq, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une enquête ouverte pour participation à une association de malfaiteurs terroriste a mis en évidence que Mme [Y] [L] a rejoint, le 19 septembre 2014, le territoire contrôlé par l'organisation terroriste dite « État Islamique » en Syrie, où elle s'est mariée avec M. [R] [W].
3. A son retour en France, le 28 janvier 2020, l'intéressée a été mise en examen du chef de participation à une association de malfaiteurs terroriste, puis, au cours de l'information, des chefs de génocide, crime contre l'humanité et complicité de crime contre l'humanité, compte tenu de ce qu'une femme yézidie aurait été achetée par son mari comme esclave et aurait vécu à leur domicile en Syrie.
4. Le 24 septembre 2024, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu partiel et de mise en accusation de Mme [L] devant la cour d'assises spécialement composée des chefs d'association de malfaiteurs terroriste, génocide, crimes contre l'humanité et complicité de ces faits.
5. Mme [L] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen, proposé par Mme [L], et le second moyen, proposé par la procureure générale
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, proposé par la procureure générale
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation de l'article 211-1 du code pénal.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à suivre à l'encontre de Mme [L] du chef de génocide au motif que les faits reprochés ne concernent qu'une seule victime, alors qu'il suffit, pour que l'infraction soit constituée, que l'auteur agisse à l'encontre d'une personne appartenant au groupe dont la destruction est envisagée, avec la conscience de participer à l'exécution du plan concerté de sa destruction.
Réponse de la Cour
Vu l'article 211-1 du code pénal :
9. Selon ce texte, constitue un génocide le fait, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe, l'un des actes suivants : une atteinte volontaire à la vie, une atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique, la soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe, des mesures visant à entraver les naissances, un transfert forcé d'enfants.
10. L'arrêt attaqué expose que Mme [L], connue pour son appartenance à la mouvance islamiste radicale alors qu'elle habitait en France, a rejoint seule et de son plein gré la zone occupée par l'organisation dite
« Etat islamique » en Syrie, les témoignages recueillis attestant par ailleurs de son adhésion à l'idéologie de cette organisation.
11. Les juges énoncent que, sur place, elle a épousé M. [W], travaillant pour le renseignement de l'organisation dite « Etat islamique », au sein de laquelle il avait de grandes responsabilités, qui l'a informée de l'assaut de villages yézidis.
12. Ils précisent qu'il n'est pas contesté que la communauté yézidie a été prise pour cible par l'organisation dite « Etat islamique » de manière systématique et généralisée, en raison de l'appartenance religieuse et ethnique de ses membres, et relèvent par ailleurs que Mme [L] n'a pu ignorer la politique menée à l'encontre des yézidis, à laquelle elle a adhéré en rejoignant le mouvement, ayant notamment accès, à la période des faits, à la propagande médiatique encourageant à l'asservissement et à la destruction de cette population.
13. Ils retiennent qu'il ressort des déclarations de Mme [L] que, lors de son séjour en zone irako-syrienne, à [Localité 1], fin 2014, vivait, au domicile conjugal, une femme yézidie prénommée [V], achetée par son mari afin d'en faire une esclave sexuelle et qui avait été violée par celui-ci, alors qu'elle se trouvait elle-même dans la pièce à côté, avant que cette esclave ne soit revendue à un autre combattant.
14. Ils ajoutent que Mme [V] [D] [K] a identifié Mme [L] comme l'épouse d'un des commandants de l'organisation dite « Etat islamique », chez qui, après son enlèvement alors qu'elle était mineure, elle avait passé plusieurs semaines, et a déclaré qu'elle avait subi plusieurs viols de la part de M. [W]. Ils indiquent que Mme [L] la préparait, la plupart des soirs qu'elle avait passés chez eux, afin de faciliter les relations sexuelles que son mari avait avec elle.
15. Pour infirmer la mise en accusation de Mme [L] du chef de génocide, les juges retiennent que l'article 211-1 du code pénal caractérise, au titre de l'élément matériel du crime de génocide, sa commission « à l'encontre de membres de ce groupe », le terme de membres, écrit au pluriel dans le texte d'incrimination, excluant cette qualification pour les faits commis à l'encontre d'un seul de ses membres.
16. Ils relèvent que les actes d'atteintes graves à l'intégrité physique et psychique et de soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle de la communauté yézidie reprochés à Mme [L] ne concernent que Mme [D] [K], et en concluent que l'élément matériel de l'infraction de génocide fait défaut.
17. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
18. En effet, l'article 211-1 du code pénal n'exige pas, pour que le crime de génocide soit constitué, que l'auteur ait agi à l'encontre de plusieurs personnes. Il suffit que celui des actes visés par ce texte qui lui est reproché ait été commis en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial, religieux ou déterminé à partir de tout autre critère arbitraire. Cette disposition permet ainsi la répression de chacun des actes participant à l'exécution de ce plan.
19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions infirmant la mise en accusation de Mme [L] du chef de génocide. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par Mme [L]
LE DÉCLARE NON ADMIS ;
Sur le pourvoi formé par la procureure générale
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 22 janvier 2025, mais en ses seules dispositions ayant infirmé la mise en accusation de Mme [L] du chef de génocide, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept mai deux mille vingt-cinq.