LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CR12
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 7 mai 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 306 F-D
Pourvoi n° C 21-14.162
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 MAI 2025
La société Seitur agencia de viajes y turismo, société de droit équatorien, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1] (Équateur), a formé le pourvoi n° C 21-14.162 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société CW Travel Holdings N.V. (Carlston Wagon Lit Travel), société de droit néerlandais, dont le siège est [Adresse 2] (Pays-Bas), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tréard, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Seitur agencia de viajes y turismo, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société CW Travel Holdings N.V. (Carlston Wagon Lit Travel), et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Tréard, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 12 janvier 2021), en 2011, la société néerlandaise Carlston Wagon Lit Travel Holdings (la société CWT) et la société équatorienne Seitur agencia de viajes y turismo (la société Seitur) ont conclu un contrat de partenariat afin de permettre à la seconde, ainsi qu'à ses agences associées, de vendre des voyages sous l'enseigne CWT en Equateur. A la fin de la même année, la société Seitur est entrée en pourparlers avec une autre agence équatorienne, la société Polimundo, pour mettre en oeuvre un projet de fusion, qui a obtenu l'accord de la société CWT au début de l'année 2012, mais n'a finalement pas abouti, ce dont la société CWT a été informée le 19 février 2012.
2. Le 15 mars 2012, la société CWT a résilié le contrat conclu avec la société Seitur, au motif qu'elle avait perdu l'accréditation de l'Association du transport aérien international (l'accréditation IATA). Le même jour, la société Polimundo est devenue « associé international autorisé de CWT en Equateur ».
3. Le 6 novembre 2012, la société CWT a saisi la cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale (la CCI) sur le fondement de la clause compromissoire stipulée au contrat de partenariat.
4. L'arbitre désigné par la société Seitur a accepté sa mission le 7 février 2013, après avoir déclaré être impartial et indépendant et ne rien avoir à révéler.
5. La société Seitur a saisi la cour d'appel de Paris d'une demande d'annulation de la sentence arbitrale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société Seitur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en annulation de la sentence et de lui avoir conféré l'exequatur, alors « qu'il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter dans l'esprit des parties son indépendance ou son impartialité ; que lorsque les documents émis par l'institution d'arbitrage pour la constitution du tribunal arbitral désignent, à côté des parties, des personnes ou entités concernées par l'arbitrage, il appartient à l'arbitre de révéler les liens de toute nature, professionnelle, personnelle ou familiale, qu'il peut avoir avec ces personnes ou entités ; que le manquement à cette obligation, qui prive la partie qui a désigné l'arbitre d'un choix libre et éclairé, qui prive les autres parties de leur droit de récusation et qui fausse enfin le contrôle de l'institution d'arbitrage, rend irrégulière la constitution du tribunal arbitral ; qu'en l'espère, l'arrêt attaqué relève qu'"il est constant que (...) le document intitulé "case information", du 9 avril 2013, indique au titre des "autres entités concernées" les sociétés suivantes : "Polimundo SA (...)" ; qu'en déclarant néanmoins que cette mention ne valait pas preuve de l'implication effective de la société Polimundo dans le différend soumis à l'arbitrage, et que cette société n'avait pas d'intérêt dans la résolution du litige arbitral, de sorte que l'arbitre, M. [R] [C], n'avait pas à révéler ses liens de parenté et d'amitié avec Mme [T] [Y], gérante de la société Polimundo, la cour d'appel a violé les articles 1456 alinéa 2, 1506 et 1520 2° du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Ayant constaté que le document intitulé « Case information » du 9 avril 2013 indique, au titre des « autres entités concernées », les sociétés Polimundo, Halliburton, Exxon Mobil, Eriksson et Netnames, la cour d'appel a déduit à bon droit de la nature purement déclarative de ce document, qu'une telle mention ne valait pas preuve de l'implication effective de la société Polimundo dans le différend soumis à l'arbitrage.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
10. La société Seitur fait le même grief à l'arrêt, alors « que la société Seitur faisait valoir qu'après un projet de fusion entre Seitur et Polimundo qui avait échoué, CWT avait décidé de rompre son contrat de partenariat avec Seitur pour remplacer celle-ci par la société Polimundo, et que l'objet du litige soumis au tribunal arbitral était de déterminer si la rupture par CWT était régulière, ce qui impliquait l'arrêt des relations contractuelles en cas de réponse affirmative, ou leur poursuite dans le cas contraire ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher si une sentence validant la rupture entre CWT et Seitur ne présentait pas pour Polimundo l'avantage de consolider son partenariat avec CWT en éliminant toute concurrence de Seitur ou si, au contraire, une sentence favorable à Seitur ne devait pas avoir pour conséquence de remettre en cause le partenariat de Polimundo avec CWT et en tout cas le volume des affaires traitées, ce qui démontrait l'intérêt de Polimundo au litige arbitral et obligeait l'arbitre à révéler ses liens de parenté et d'amitié avec la gérante de la société Polimundo, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1456 alinéa 2, 1506 et 1520 2° du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. Il résulte de la combinaison des articles 1520, 2° et 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, ce dernier rendu applicable en matière internationale par l'article 1506 du même code, que la sentence arbitrale rendue par un tribunal irrégulièrement constitué doit être annulée, et qu'il en va ainsi lorsqu'un arbitre s'abstient de révéler toute circonstance de nature à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance.
12. Après avoir énoncé que M. [R] [C], désigné en qualité d'arbitre par la société Seitur, avait indiqué dans sa déclaration d'arbitre qu'il était impartial et indépendant et qu'il n'avait rien à déclarer à ce sujet, et avoir rappelé qu'il incombait au juge de l'annulation de déterminer si la société Polimundo était une partie intéressée par la procédure arbitrale, avant de rechercher si l'arbitre aurait dû procéder à certaines révélations concernant les liens qu'il pourrait entretenir avec elle, l'arrêt relève que les obligations contractuelles des sociétés Polimundo et CWT ont été définies avant l'engagement de la procédure arbitrale concernant les sociétés CWT et Seitur, que la société Polimundo n'est pas partie à la procédure arbitrale et que la société Seitur n'a pas présenté devant le tribunal arbitral de demandes concernant, même indirectement, la société Polimundo. Il constate, ensuite, que l'éventuelle condamnation de la société CWT au titre d'une résiliation abusive, dans le cadre de la procédure arbitrale soumise au droit néerlandais, n'aurait pu conduire qu'à une condamnation à des dommages et intérêts et en déduit que l'issue de la procédure d'arbitrage est sans incidence financière ou commerciale à l'égard de la société Polimundo, laquelle n'est pas intéressée à son résultat.
13. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que la société Polimundo n'avait pas d'intérêt dans la solution du litige, de sorte que M. [R] [C] n'avait pas à révéler les liens avec cette société et sa gérante, dont la société Seitur alléguait l'existence.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Seitur agencia de viajes y turismo aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Seitur agencia de viajes y turismo et la condamne à payer à la société CW Travel Holdings N.V. la somme de 5 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.