LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 7 mai 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 301 F-D
Pourvoi n° X 23-19.064
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 MAI 2025
1°/ Mme [R] [M],
2°/ M. [J] [N],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° X 23-19.064 contre l'arrêt rendu le 4 avril 2023 par la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Cofidis, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de Mme [M] et de M. [N], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Cofidis, et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 4 avril 2023) et les productions, après avoir, le 4 décembre 2014, à l'occasion d'un démarchage à domicile, conclu avec la société ECB (le vendeur) un contrat portant sur l'acquisition et la pose d'un garde-corps, Mme [N] et M. [M] (les emprunteurs) ont, selon offre préalable acceptée le 9 janvier 2015, souscrit auprès de la société Sofemo, aux droits de laquelle se trouve désormais la société Cofidis (la banque), un crédit affecté au financement de cette installation d'un montant de 19 450 euros.
2. Les 18 septembre 2015 et 11 mai 2016, les emprunteurs ont déposé plainte en dénonçant des faits, commis par un préposé du vendeur, de pratiques commerciales trompeuses, abus de faiblesse, escroquerie, faux et usage de faux.
3. Le 30 mars 2017, à la suite de la défaillance des emprunteurs dans le remboursement des échéances du prêt, la banque les a assignés en paiement. Les emprunteurs ont demandé, à titre reconventionnel, d'une part, l'annulation du contrat de crédit sur le fondement du dol, faisant notamment valoir que leur consentement avec été vicié en raison des manoeuvres frauduleuses du préposé du vendeur, d'autre part, l'indemnisation de leurs préjudices.
4. Par un jugement du 5 octobre 2023, un tribunal correctionnel a déclaré le préposé du vendeur coupable de pratiques commerciales agressives et d'abus de faiblesse, commis au préjudice des emprunteurs, et d'escroquerie, commise au préjudice de la banque.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale, alors « que si l'action civile en réparation du dommage causé par une infraction pénale peut être exercée devant une juridiction civile, il doit toutefois être sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement ; qu'en écartant la demande de sursis à statuer présentée par M. [N] et Mme [M] au motif que seul le préposé de la société ECB se trouvait concerné par la procédure pénale en cours, cependant que celui-ci devait être tenu comme un intermédiaire de crédit engageant la responsabilité de la société Cofidis, laquelle se trouvait précisément recherchée devant la juridiction civile, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure pénale par refus d'application. »
Réponse de la Cour
6. C'est à bon droit que la cour d'appel, ayant constaté que l'instance dont elle était saisie n'était pas dirigée contre le préposé du vendeur, poursuivi devant le juge pénal, mais tendait à voir juger la banque responsable des manoeuvres dolosives du vendeur par l'intermédiaire duquel le crédit avait été souscrit, a rejeté la demande de sursis à statuer.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
8. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la banque la somme de 19 450 euros, majorée des intérêts au taux légal, et de rejeter leurs demandes indemnitaires au titre du manquement de la banque à son devoir de mise en garde, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en écartant tout manquement de la société Cofidis (Sofema) à son devoir de mise en garde au motif "qu'il ressort de la fiche de renseignement qu'ils (les emprunteurs) ont eux-mêmes remplie, qu'ils avaient omis d'y mentionner les charges d'emprunt dont ils se prévalent désormais", cependant que dans ses conclusions, la société Cofidis admettait que cette fiche avait été pré-remplie, ce que confirmaient M. [N] et Mme [M] dans leurs écritures, la cour d'appel qui a remis en cause un fait admis par les deux parties, a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Ayant retenu que les emprunteurs avaient signé une fiche de renseignements en la certifiant exacte, sans informer la banque de la souscription de précédents crédits affectés, de sorte qu'en l'absence d'anomalie apparente, celle-ci pouvait s'y fier pour considérer que le crédit était adapté à la situation financière des emprunteurs, la cour d'appel a pu, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, rejeter la demande d'indemnisation fondée sur un manquement de la banque à son devoir de mise en garde.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes tendant à la condamnation de la banque à leur payer des indemnités égales aux sommes restant dues au titre du crédit litigieux augmentées de celles qui ont été payées par eux à l'établissement de crédit, et à les indemniser au titre de leur préjudice moral à hauteur d'une somme de 5 000 euros chacun, alors « que, dans leurs écritures d'appel, M. [N] et Mme [M] faisaient valoir, à titre subsidiaire, que la demande de dommages-intérêts formée en appel à raison du défaut de vérification par la société Cofidis de la régularité formelle du contrat principal constituait une demande tendant aux mêmes fins que la dispense de remboursement sollicitée en première instance au titre du même grief, de sorte que, tendant aux mêmes fins que la demande de première instance ayant interrompu la prescription, cette demande présentée en cause d'appel était recevable ; qu'en laissant sans réponse ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
12. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux
conclusions constitue un défaut de motifs.
13. Pour déclarer irrecevables, comme prescrites, les demandes d'indemnisation formées contre la banque sur le fondement du manquement à son obligation de vérifier la régularité formelle du contrat principal avant de libérer le capital du crédit affecté, l'arrêt, après avoir retenu que le point de départ du délai quinquennal de prescription prévu à l'article 2224 du code civil devait être fixé au 10 novembre 2015, date d'échéance de la première mensualité du crédit affecté, écarte toute interruption du délai avant son expiration le 10 novembre 2020 en relevant qu'aucune demande indemnitaire, fondée sur l'absence de vérification de la régularité du contrat principal, n'avait été faite à l'occasion des conclusions, déposées devant le tribunal, du 19 octobre 2019.
14. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des emprunteurs qui soutenaient que leur demande d'indemnisation tendait à la même fin que la demande par laquelle ils avaient, aux termes de leurs conclusions du 19 octobre 2019, sollicité une dispense de remboursement du crédit affecté compte tenu du manquement de la banque à son obligation de vérifier la régularité du contrat principal avant de verser au vendeur le capital du prêt, de sorte que le délai de la prescription avait été interrompu, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
15. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la banque la somme de 19 450 euros majorée des intérêts au taux légal et de rejeter leur demande d'annulation du contrat de crédit pour dol, alors « que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges ; qu'en rejetant la demande d'annulation du contrat de crédit pour dol, faute de critique concernant ce contrat, tout en relevant que M. [N] et Mme [M] invoquaient à l'appui de cette demande le fait que le préposé de la société ECB, avec lequel avait été signé le contrat principal et par l'intermédiaire duquel ils avaient signé le contrat de crédit affecté, avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d'escroquerie "pour les avoir trompés? en employant des manoeuvres frauduleuses et les avoir ainsi déterminés à remettre des fonds, valeurs ou bien quelconques à leur préjudice, en l'espèce en trompant la société Sofemo pour la déterminer à accorder aux consorts [N]-[M] un crédit finançant un garde-corps", ce dont il résultait que le préposé de la société ECB avait également représenté l'établissement de crédit lors de la signature du contrat de prêt et qu'à cette occasion il avait usé de manoeuvres dolosives, ce qui était soutenu par les emprunteurs, de sorte que le contrat de crédit était en réalité critiqué, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
16. Aux termes de ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
17. Il résulte de ce texte que le dol est également constitué s'il émane du vendeur ou du prestataire par l'intermédiaire duquel un crédit affecté au financement du bien ou du service a été conclu.
18. Pour rejeter les demandes d'annulation du contrat de crédit et d'indemnisation fondées sur l'existence de manoeuvres frauduleuses ayant vicié le consentement des emprunteurs, l'arrêt retient que le contrat principal de vente ne pouvait pas être annulé en l'absence du vendeur, que les manoeuvres dolosives invoquées à l'occasion de la conclusion du contrat de crédit, à savoir les fausses signatures et la présentation d'une fiche de dialogue insincère, n'étaient pas démontrées, que le grief tiré de ce que le prix du matériel commandé était excessif ne concernait que le contrat de vente et était indifférent s'agissant de la validité du contrat de crédit, que même si l'expert judiciaire concluait à la vulnérabilité des emprunteurs, ceux-ci étaient dotés d'une intelligence concrète et d'un sens des réalités et qu'en tout état de cause les manoeuvres dolosives n'étaient pas prouvées.
19. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le préposé du vendeur avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de pratiques commerciales agressives, escroquerie et abus de faiblesse et que les manoeuvres dolosives de l'intermédiaire de crédit ayant conduit les emprunteurs à conclure un contrat pour la fourniture et l'installation d'un garde-corps à un prix dont il était allégué qu'il était excessif pouvaient entraîner l'annulation du contrat de crédit affecté, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer, prononce la déchéance du droit aux intérêts contractuels de la société Cofidis et rejette la demande d'indemnisation formée par Mme [N] et M. [M] sur le fondement du manquement de la société Sofemo, aux droits de laquelle se trouve la société Cofidis, à son devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 4 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne la société Cofidis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cofidis et la condamne à payer à Mme [N] et M. [M] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.