LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 6 mai 2025
Rejet
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 427 F-D
Pourvois n°
F 23-23.051
G 23-23.053
J 23-23.054 JONCTION
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [T].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 février 2024.
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme [O].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 2 juillet 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
La société Carrefour proximité France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], a formé les pourvois n° F 23-23.051, G 23-23.053 et J 23-23.054 contre trois arrêts rendus le 28 septembre 2023 par la cour d'appel de Caen (1re chambre sociale), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à Mme [R] [Z], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à M. [S] [T], domicilié [Adresse 2],
3°/ à Mme [X] [V], épouse [O], domiciliée [Adresse 4],
4°/ à France travail, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommé Pôle emploi,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de ses recours, un moyen commun de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brinet, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Carrefour proximité France, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [T] et de Mme [O], après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Brinet, conseiller rapporteur, Mme Prieur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président
et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° F 23-23.051, G 23-23.053 et J 23-23.054 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Caen, 28 septembre 2023), Mmes [Z] et [O] et M. [T], salariés de la société Carrefour proximité France (la société), ont été licenciés pour motif économique dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) validé le 21 juin 2018.
3. Contestant leur licenciement, ils ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir des dommages-intérêts.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief aux arrêts de la condamner à payer à chaque salarié des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que l'employeur satisfait à son obligation de reclassement en proposant au salarié les postes disponibles les plus proches par leur niveau de qualification et de rémunération et par leur localisation de l'emploi qu'il occupait, peu important qu'il ne lui ait pas proposé tous les postes disponibles, y compris de catégorie inférieure et plus éloignés de son domicile ; qu'en l'espèce, l'accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi du 25 avril 2018 prévoyait que la société Carrefour proximité France proposera à chaque salarié au moins deux offres de reclassement au sein du groupe, en privilégiant les postes situés au sein de l'établissement le plus proche de son domicile ; que la société Carrefour proximité France justifiait que, conformément à cet engagement, elle avait proposé aux salariés deux offres individuelles de reclassement sur des postes de même catégorie ou de catégorie équivalente à ceux qu'ils occupaient, avec un salaire équivalent voire supérieur, et que ces postes étaient situés dans l'établissement le plus proche de leur domicile ; qu'en refusant de se prononcer sur le sérieux de ces offres de reclassement, au motif erroné que ''la seule présentation de deux offres ne suffit pas à établir le respect de l'obligation de reclassement lequel suppose que l'employeur ait proposé l'ensemble des postes disponibles dans une époque contemporaine de la notification du licenciement'', la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, ensemble le chapitre 7 de l'accord collectif majoritaire du 25 avril 2018 portant plan de sauvegarde de l'emploi ;
2°/ que la recherche, par l'employeur, des possibilités de reclassement adaptées aux compétences des salariés menacés de licenciement n'exige pas nécessairement qu'il interroge chacune des entreprises du groupe sur les postes disponibles en leur sein ; que lorsque le groupe est doté d'un outil qui recense l'ensemble des postes disponibles dans le groupe, l'employeur peut utiliser cet outil pour identifier les possibilités de reclassement, procéder à une recherche des postes adaptés aux compétences du salarié et justifier du respect de son obligation de reclassement ; qu'en l'espèce, la société Carrefour proximité France soutenait que le groupe Carrefour, qui compte plusieurs dizaines de filiales et emploie environ 105 000 salariés en France, a mis en place une bourse de l'emploi en ligne appelée ''enviedebouger'', qui recense l'ensemble des emplois vacants dans les différentes entités du groupe en France et que cet outil était le plus adapté pour collecter en temps réel l'ensemble des emplois disponibles en France en vue du reclassement ; qu'elle justifiait que l'utilisation de cet outil avait permis d'identifier 1 848 emplois disponibles au jour de la conclusion de l'accord majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi et d'actualiser ensuite régulièrement cette liste, en produisant à titre d'exemple la liste des postes issue de cet outil à la date des 2 et 6 juillet 2018 sur laquelle figurait 3 127 postes et qu'à partir de cet outil, dans lequel figurait les principales caractéristiques des emplois disponibles, elle avait ainsi pu proposer à chaque salarié deux offres de reclassement portant sur des emplois équivalents à celui qu'il occupait et situé dans l'établissement le plus proche de son domicile ; qu'en considérant cependant que la société Carrefour proximité France ne pouvait, pour justifier du sérieux de ses recherches de reclassement, se fonder sur la liste des postes publiée sur le site ''enviedebouger'', ''sans que soient connues les conditions de publication des postes sur cette liste et d'établissement de cette liste'', la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre pour refuser à l'employeur la faculté de faire appel à un tel dispositif pour rechercher et justifier des possibilités de reclassement existant dans le groupe, en violation de l'article L. 1233-4 du code du travail ;
3°/ que la recherche, par l'employeur, des possibilités de reclassement adaptées aux compétences des salariés menacés de licenciement n'exige pas nécessairement qu'il interroge chacune des entreprises du groupe sur les postes disponibles en leur sein ; que lorsque le groupe est doté d'un outil qui recense l'ensemble des postes disponibles dans le groupe, l'employeur peut utiliser cet outil pour identifier les possibilités de reclassement, procéder à une recherche des postes adaptés aux compétences du salarié et justifier du respect de son obligation de reclassement ; qu'en retenant encore, pour refuser d'examiner la suffisance des recherches de reclassement au regard des listes de postes issues du site ''enviedebouger'', que la production de cette liste ''n'est pas accompagnée d'une interrogation des sociétés du groupe'', la cour d'appel a ajouter à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, en violation de l'article L. 1233-4 du code du travail ;
4°/ que selon l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, l'employeur peut soit adresser au salarié des offres de reclassement personnalisées, soit diffuser par tout moyen la liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés ; qu'il en résulte que l'employeur peut compléter les offres de reclassement personnalisées soumises au salarié, en l'invitant à consulter, pour le surplus, la liste des postes disponibles, régulièrement mise à jour, auprès de la cellule chargée du reclassement ou sur un site internet dédié ; qu'en l'espèce, il était prévu, dans le plan de sauvegarde de l'emploi, que la liste des postes disponibles au sein du groupe sera portée à la connaissance des salariés de l'entreprise par voie d'affichage ou par le biais de l'Espace Information Conseil puis l'Espace Mobilité et Compétences ; qu'en outre, l'employeur avait rappelé au salarié, sur les offres individuelles de reclassement, qu'il avait la possibilité de prendre connaissance de la liste intégrale des postes ouverts au reclassement interne au sein du groupe en France auprès de l'Espace Mobilité et Compétences ainsi que sur le site ''enviedebouger'' ; qu'en retenant encore, pour dire que l'exposante ne démontrait pas avoir satisfait à son obligation de reclassement, que la liste des postes disponibles issue du site ''enviedebouger'' n'était pas contemporaine au licenciement, sans rechercher si les salariés n'avaient pas pu avoir accès à cette liste actualisée pendant toute la période de reclassement pour vérifier si d'autres postes que ceux proposés étaient susceptibles de leur convenir, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article D. 1233-2-1, III, du code du travail, en cas de diffusion d'une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend, les postes disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et précise les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite.
6. D'abord, les arrêts retiennent que, si aux termes du PSE, la société s'engageait à proposer à chaque salarié directement concerné par le projet de licenciement au moins deux solutions de reclassement au sein du groupe, la seule présentation de deux offres ne suffit pas à établir le respect de l'obligation de reclassement, lequel suppose que l'employeur ait proposé l'ensemble des postes disponibles dans une époque contemporaine de la notification du licenciement, puis relèvent que, pour justifier n'avoir adressé que deux propositions de postes de reclassement à chaque salarié, la société se fonde sur une liste de postes publiée sur le site « enviedebouger », bourse d'emploi de l'entreprise sur laquelle figureraient l'ensemble des postes vacants en France.
7. Ensuite, les arrêts retiennent que la liste produite est datée du 2 juillet 2018 et ne saurait en conséquence refléter l'état des postes disponibles dans une époque contemporaine des licenciements, notifiés près d'un an plus tard.
8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la bourse aux emplois dont se prévalait l'employeur ne répondait pas aux dispositions de l'article D. 1233-2-1 du code du travail et qui n'était pas tenue d'effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement.
9. Le moyen, qui critique des motifs surabondants en sa troisième branche, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Carrefour proximité France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Carrefour proximité France et la condamne à payer à la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 2 500 euros et à Mme [O] la somme de 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.