LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 30 avril 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 256 F-D
Pourvoi n° Y 23-11.544
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 AVRIL 2025
Mme [D] [Z], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Y 23-11.544 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (2e chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [G] [L], domiciliée [Adresse 1],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de Mme [Z], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [Z] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le procureur général près la cour d'appel de Versailles.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 1er décembre 2022), Mme [Z] et Mme [L] se sont pacsées le 21 novembre 2011. Le 18 février 2014, Mme [L] a donné naissance à une fille, [E], conçue par procréation médicalement assistée réalisée en Belgique.
3. Le couple s'est séparé en septembre 2016 et, le 13 février 2018, Mme [Z] a saisi le juge aux affaires familiales afin de se voir attribuer un droit de visite et d'hébergement à l'égard de l'enfant.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de droit de visite et d'hébergement d'[E] [L], alors :
« 1°/ que l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit le droit au respect de la vie privée et familiale ; qu'il en résulte que lorsqu'un tiers qui a résidé de manière stable avec l'enfant sollicite un droit de visite et d'hébergement à son égard sur le fondement de l'article 371-4, alinéa 2, du code civil, le juge qui entend refuser ce droit est tenu de mettre en balance les intérêts éventuellement concurrents et de montrer par son raisonnement que les préoccupations relatives à l'intérêt supérieur de l'enfant sont d'une telle importance par rapport à l'intérêt du tiers à au moins maintenir un contact avec lui, qu'il est justifié, au titre de cet article 8, de rejeter intégralement cette demande ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la démarche de Mme [L] en vue d'avoir un enfant est issue d'un projet parental conjoint avec Mme [Z], avec laquelle elle partageait une vie commune depuis plusieurs années marquée par l'achat d'un bien indivis en 2008, que Mme [Z] s'est impliquée dans le processus de procréation assistée de Mme [L] dont la naissance d'[E] est résulté, que le troisième prénom de l'enfant est [Z], que l'implication de Mme [Z] dans la prise en charge n'est pas douteuse, que les liens affectifs créés entre [E] et Mme [Z] sont attestés et que Mme [L] reprend elle-même dans les termes de la convention qu'elle a souhaité soumettre à Mme [Z] en juillet 2017 la qualification de "mère sociale" ; que pour confirmer le jugement de première instance ayant mis fin au droit de visite de Mme [Z], la cour d'appel se fonde sur la dégradation très importante des relations entre les parties à compter de 2017, la volonté exprimée par l'enfant âgée de huit ans et l'intérêt supérieur de l'enfant qui est de pas voir raviver les rivalités dont elle fait l'objet ; qu'en statuant ainsi, sans à aucun moment constater que les préoccupations relatives à l'intérêt supérieur de l'enfant sont d'une importance telle par rapport à l'intérêt du tiers à au moins maintenir un contact avec lui qu'il est justifié de rejeter intégralement sa demande, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 371-4, alinéa 2, du code civil ;
2°/ que si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables ; qu'en se bornant à retenir, pour débouter Mme [Z] de sa demande de droit d'accueil puis de droit de visite et d'hébergement d'[E], que les anciennes compagnes se trouvent en situation de très forte rivalité vis-à-vis de l'enfant, que cette dernière manifeste un refus des contacts avec Mme [Z] et que la fragilisation des liens affectifs qui ont pu exister de la part d'[E] envers Mme [Z] du fait de la virulence des conflits avec Mme [L] et de l'absence de contacts réguliers justifient le rejet de la demande, outre que l'intérêt supérieur de l'enfant est de ne pas voir raviver les rivalités dont elle a fait l'objet, sans rechercher si les constatations effectuées par la psychologue auteur de l'enquête sociale selon lesquelles la relation observée entre Mme [Z] et [E] montre une complicité et une familiarité et que l'enfant chahute et rit avec Mme [Z] qu'elle appelle spontanément "maman", tout comme la conclusion de cette enquête préconisant l'octroi d'un droit de visite simple à Mme [Z] s'exerçant une fois par mois et suggérant un travail thérapeutique commun à Mme [Z], Mme [L] et [E], ne démontraient pas que le trouble de l'enfant provenait du fait qu'elle avait été privée soudainement de la seconde adulte qui s'occupait d'elle depuis sa naissance et que son intérêt était précisément de permettre une reprise progressive des visites auprès de Mme [Z] afin de rétablir leur relation dont la rupture est uniquement due au refus de Mme [L] de maintenir cette relation, étant rappelé que l'enfant est née d'un projet parental commun, que le troisième prénom d'[E] correspond au nom de famille de Mme [Z], que cette dernière a résidé de manière stable avec [E] pendant deux ans et demi et que Mme [L] a initialement consenti à l'exercice par Mme [Z] d'un droit de visite et d'hébergement, lui reconnaissant la qualité de "mère sociale" dans un projet de convention portant sur l'exercice d'un tel droit au profit de cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 371-4, alinéa 2, du code civil. »
Réponse de la Cour
6. L'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
7. Aux termes de l'article 371-4, alinéa 2, du code civil, si tel et l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.
8. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (arrêt Callamand c. France du 7 avril 2022, n° 19511/16, § 38), que le rejet d'une demande fondée sur ce texte, formée par une femme qui a construit avec la mère légale un projet parental commun sans que sa filiation soit juridiquement établie, étant susceptible d'avoir des conséquences radicales sur le droit au respect de la vie privée et familiale de celle-ci, en ce qu'il met fin à sa relation avec l'enfant, il appartient au juge, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, de mettre en balance les intérêts éventuellement concurrents. Il doit, notamment, montrer par son raisonnement que les préoccupations relatives à l'intérêt supérieur de l'enfant sont d'une telle importance par rapport à l'intérêt du demandeur à au moins maintenir un contact avec celui-ci, qu'il est justifié, au titre de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de rejeter intégralement cette demande.
9. La cour d'appel, tant par motifs propres qu'adoptés, a relevé que les parties vivaient en couple depuis plusieurs années au moment de la naissance de l'enfant et que celle-ci était issue d'un projet parental commun, dans la mise en oeuvre duquel Mme [Z] s'était impliquée, y compris pendant les deux ans de cohabitation au cours desquels des liens affectifs avaient été créés entre elles. Elle a ajouté qu'en dépit du contexte conflictuel de la séparation des deux femmes, la volonté de Mme [L] de voir perdurer les relations entre [E] et Mme [Z] ne s'était pas démentie à l'origine.
10. Elle a retenu, cependant, que l'année 2017 avait marqué une dégradation très importante des relations entre les deux femmes, le rapport d'enquête sociale ayant mis en lumière une très forte rivalité entre elles, illustrée par le dénigrement et la remise en cause par Mme [Z] des capacités éducatives de Mme [L], ajoutés à des initiatives unilatérales ressenties par cette dernière comme autant d'atteintes à son rôle de mère. Elle a relevé que, selon cette enquête, après un apaisement d'[E] pendant l'année où les visites avaient été interrompues, celle-ci avait ensuite montré des signes d'angoisse, et que la reprise des contacts, momentanément ordonnée par le juge, avait entraîné de l'insécurité chez l'enfant, décrite comme étant débordée par les tensions actuelles, lesquelles semblaient par ailleurs ajouter de la confusion au questionnement sur la configuration dans laquelle elle était venue au monde. Elle a souligné que l'enfant, âgée de huit ans, manifestait son refus de contacts avec Mme [Z].
11. Elle a également mis en avant la fragilisation des liens affectifs qui avaient pu exister entre [E] et Mme [Z], du fait de la virulence des conflits et de l'absence de contacts réguliers entre elles, et l'intérêt de l'enfant à ne pas voir raviver les rivalités dont elle faisait l'objet.
12. Ayant ainsi mis en balance les différents droits et intérêts en présence, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, estimé que l'intérêt supérieur de l'enfant commandait de rejeter la demande formée par Mme [Z] sur le fondement de l'article 371-4, alinéa 2, du code civil, et a ainsi légalement justifié sa décision.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé publiquement le trente avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Champalaune, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur et Mme Vignes, greffier de chambre.