LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 25-81.004 F-B
N° 00686
SL2
29 AVRIL 2025
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 AVRIL 2025
M. [T] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 28 janvier 2025, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention révoquant son contrôle judiciaire et ordonnant son placement en détention provisoire.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Bigey, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés, M. [T] [I] a été placé en détention provisoire le 3 décembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux.
3. Il a été mis en liberté sous contrôle judiciaire le 12 avril 2023.
4. Il a, de nouveau, été placé sous mandat de dépôt criminel, le 20 septembre 2024, dans une autre affaire d'importation de stupéfiants instruite au tribunal judiciaire de Marseille.
5. Le 6 janvier 2025, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Bordeaux a procédé à l'interrogatoire de M. [I], en visioconférence, depuis la maison d'arrêt d'[5], puis saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de révocation du contrôle judiciaire.
6. Ce dernier magistrat a procédé le même jour à la révocation sollicitée et placé M. [I] en détention provisoire, au terme d'un débat contradictoire également tenu en visioconférence depuis la maison d'arrêt d'[5].
7. M. [I] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen, pris de la violation de l'article 706-71 du code de procédure pénale, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité pris du non-respect de l'obligation d'informer la personne détenue, lors de la notification de la date d'audience et de l'intention de recourir à la visioconférence, du droit de refuser ce mode de comparution, alors :
1°/ que l'information doit avoir lieu au jour de la notification de la date d'audience à la personne incarcérée ;
2°/ que l'absence d'opposition le jour de l'audience par la personne mise en examen ou son conseil n'exonère pas de l'obligation d'informer l'intéressé de son droit de refuser un tel mode de comparution.
Réponse de la Cour
Vu l'article 706-71 du code de procédure pénale :
10. Il se déduit de ce texte que lorsqu'il est statué sur le placement en détention provisoire d'une personne détenue pour autre cause, celle-ci doit être informée de son droit de s'opposer à l'utilisation de la visioconférence lors du débat contradictoire préalable s'il est envisagé de recourir à ce moyen de télécommunication audiovisuelle.
11. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'absence de notification à M. [I] de son droit de s'opposer à la visioconférence à laquelle il a été recouru pour le débat contradictoire préalable à son placement en détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce que ni la personne détenue, ni son avocat ne se sont opposés à l'utilisation de ce procédé, de sorte que les droits de la défense n'ont pas été méconnus.
12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'aucune information n'avait été délivrée à l'intéressé quant à la possibilité de refuser ce mode de comparution, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
13. En effet, le fait que la personne détenue ait comparu par visioconférence sans s'y être opposé, ni avoir sollicité le renvoi du débat contradictoire, ne saurait être regardé comme valant acceptation implicite de l'utilisation de ce procédé.
14. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
16. M. [I] doit être remis en liberté, sauf s'il est détenu pour autre cause.
17. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.
18. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [I] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.
19. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :
- garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, en ce qu'il ressort de son interrogatoire relatif à la mesure de contrôle judiciaire mise en oeuvre le 12 avril 2023 que cette dernière n'a pas été assidue aux différentes convocations qui lui ont été adressées par le contrôleur judiciaire ;
- mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement, en ce qu'il ressort de la lecture des pièces de la procédure que M. [I] semble avoir participé à plusieurs convois transportant des produits stupéfiants depuis l'Espagne au cours de l'année 2022, et qu'il a, par ailleurs, été interpellé et mis en cause pour des faits de même nature au mois de septembre 2024 ;
20. Afin d'assurer ces objectifs, M. [I] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.
21. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.
22. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 28 janvier 2025 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que M. [T] [I] est détenu sans titre depuis le 6 janvier 2025 dans la présente procédure ;
ORDONNE la mise en liberté de M. [T] [I] s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [T] [I] ;
DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :
- ne pas sortir des limites territoriales suivantes : territoire français métropolitain ;
- se présenter une fois par semaine au commissariat de police de [Localité 6] - [Adresse 4], au jour convenu avec les fonctionnaires de police et pour la première fois le jour suivant sa sortie de détention ;
- répondre aux convocations de l'ADARS, [Adresse 2] (tél : [XXXXXXXX01]) et se présenter au plus tard au service de l'association le lendemain de sa sortie de détention pour prise d'un premier rendez-vous et se soumettre aux mesures de contrôle portant sur :
* la réalité de sa domiciliation chez ses parents, M. [F] et Mme [V] [I] au [Adresse 3],
* sa présence et son assiduité à un emploi,
* les mesures socio-éducatives destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l'infraction ;
- remettre au greffe du juge d'instruction son passeport et sa carte nationale d'identité en échange d'un récépissé valant justificatif de son identité ;
DESIGNE, pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus, le commissaire de police de [Localité 6] ;
DESIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;
RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;
DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf avril deux mille vingt-cinq.