LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 avril 2025
Cassation
M. SOMMER, président
Arrêt n° 394 FS-B
Pourvoi n° S 24-11.036
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [O].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 24 juin 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 AVRIL 2025
La société Solutia Strasbourg, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 24-11.036 contre le jugement rendu le 23 novembre 2023 par le conseil de prud'hommes de Schiltigheim (section activités diverses), dans le litige l'opposant à Mme [M] [O], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Solutia Strasbourg, de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de Mme [O], et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ott, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Sommé, Bouvier, M. Dieu, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Schiltigheim, 23 novembre 2023), Mme [O] a été engagée en qualité d'auxiliaire de vie à temps partiel par la société Solutia Strasbourg (la société) à compter du 10 juillet 2019. La relation de travail est soumise à la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012.
2. Le 10 mai 2022, la salariée a saisi la juridiction prud'homale aux fins de paiement d'une somme au titre du maintien du salaire lors de plusieurs périodes d'arrêt de travail.
Sur le moyen relevé d'office
3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958, l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013, l'article 1.2 du chapitre IV de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012 et l'avenant n° 1 du 25 avril 2013 relatif à la protection sociale :
4. Selon l'article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
5. Par décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a décidé que l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est contraire à la Constitution et a dit que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au considérant 14, lequel énonce que la déclaration d'inconstitutionnalité « n'est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication, et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité ». Cette décision a été publiée le 16 juin 2013.
6. La Cour de cassation juge qu'il résulte de la décision précitée du Conseil constitutionnel que les contrats en cours sont les actes ayant le caractère de conventions ou d'accords collectifs ayant procédé à la désignation d'organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place, voire les actes contractuels signés par eux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en oeuvre effective (Soc., 11 février 2015, pourvoi n° 14-13.538, Bull. 2015, V, n° 28 ; Soc., 1er juin 2016, pourvois n° 15-12.276, 15-12.796, Bull. 2016, V, n° 126).
7. Il s'ensuit que les contrats en cours liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité, s'agissant d'actes ayant le caractère de conventions ou d'accords collectifs, s'entendent de conventions ou d'accords déjà entrés en vigueur à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel.
8. Aux termes de l'article 1 du chapitre IV de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012, « 1.1. La présente convention est conclue pour une durée indéterminée. 1.2. Elle entrera en vigueur le 1er jour du 7e mois de celui qui suit l'adoption de l'arrêté d'extension ».
9. L'arrêté portant extension de ladite convention collective, du 3 avril 2014, précise, en son article 1 in fine, que la partie VI relative à la protection sociale est exclue de l'extension en tant qu'elle prévoit un régime conventionnel de prévoyance fondé sur une clause de désignation d'organismes assureurs et une clause de migration, pris en application de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013.
10. L'avenant n° 1 du 25 avril 2013 relatif à la protection sociale dispose que le présent avenant annule et remplace intégralement le texte de la partie VI « Protection sociale » de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne signée le 20 septembre 2012. Il précise, en son article « 8.2. Adhésion des entreprises » que « Les entreprises entrant dans le champ d'application de la présente partie à la convention collective ont l'obligation d'adhérer au régime de prévoyance conventionnel à la date d'entrée en vigueur de la convention collective, auprès d'un des deux organismes assureurs codésignés ».
11. En conséquence, dès lors que l'obligation d'adhésion à un régime de prévoyance prévue à l'article 8.2 de l'avenant n° 1 du 25 avril 2013 relatif à la protection sociale n'était applicable qu'à compter de la date de l'entrée en vigueur de la convention collective, laquelle n'était pas entrée en vigueur à la date du 16 juin 2013 de publication de la déclaration d'inconstitutionnalité, les dispositions conventionnelles de la partie VI de la convention collective instaurant un régime de prévoyance ne constituent pas un contrat en cours au sens de la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 du Conseil constitutionnel.
12. Pour condamner la société à payer à la salariée une somme au titre du maintien du salaire pendant ses arrêts de travail, le jugement a fait application de l'avenant n° 1 du 25 avril 2013 relatif à la protection sociale.
13. En statuant ainsi, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 23 novembre 2023, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Schiltigheim ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Strasbourg ;
Condamne Mme [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par M. Huglo, conseiller doyen, en ayant délibéré et en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.