LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 avril 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 392 F-D
Pourvoi n° K 24-11.421
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 AVRIL 2025
La société Banque populaire Grand Ouest, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 24-11.421 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2023 par la cour d'appel d'Angers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [S] [B], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Arsac, conseiller référendaire, les observations écrites de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Banque populaire Grand Ouest, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Arsac, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 30 novembre 2023), Mme [B] a été engagée en qualité d'assistante en organisation par la société Banque populaire Anjou-Vendée, devenue Banque populaire Grand Ouest (la société), selon contrat à durée déterminée du 1er mars 1990. Au terme de ce contrat, la relation de travail s'est poursuivie pour une durée indéterminée.
2. Après avoir occupé des fonctions de directrice d'agence, la salariée a, en septembre 2017, été affectée au siège social en qualité de responsable de projet.
3. Par lettre du 11 octobre 2018, la société l'a convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 19 octobre suivant. Par lettre du 12 novembre 2018, la société lui a notifié son licenciement disciplinaire pour cause réelle et sérieuse.
4. Soutenant avoir subi un harcèlement moral, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 24 juin 2019 en contestation de la validité du licenciement et paiement de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de déclarer nul le licenciement de la salariée et de la condamner à lui verser une certaine somme au titre du préjudice résultant de la nullité du licenciement, alors « que, lorsque le salarié a subi des agissements de harcèlement moral, son licenciement n'est nul que s'il a été licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, ce qu'il appartient aux juges du fond de vérifier, au besoin, d'office ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, d'une part, que Mme [B] établissait avoir été mutée dans deux établissements éloignés, sur des fonctions subalternes et avec un préavis de quelques jours, ainsi que la multiplication des investigations concernant l'agence dont elle était auparavant la directrice et le prononcé d'une mise à pied à titre conservatoire dont l'employeur avait finalement admis le caractère infondé, d'autre part, que l'employeur ne justifiait pas que ces faits laissant supposer une situation de harcèlement moral étaient étrangers à tout harcèlement ; qu'elle a, ensuite, énoncé que ''aux termes de l'article L. 1152-3 du code du travail, « toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul »'' et que ''par suite, réformant de ce chef le jugement entrepris, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la production de pièces complémentaires, il convient de déclarer le licenciement de Mme [B] nul'' ; qu'en déduisant ainsi la nullité du licenciement d'une situation de harcèlement moral préexistante, sans constater que la salariée aurait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, la cour d'appel a méconnu son office et privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail, ensemble l'article 12 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. La salariée soutient que le moyen est complexe et, dès lors, irrecevable.
7. Cependant, en dépit du visa de l'article 12 du code de procédure civile, le moyen, tel qu'il est formulé, n'invoque qu'un seul cas d'ouverture tiré de l'absence de caractérisation du lien de causalité entre le harcèlement moral et le licenciement, de sorte qu'il satisfait aux exigences de l'article 978, alinéa 3, du code de procédure civile.
8. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 1152-2, dans sa version antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et L. 1152-3 du code du travail :
9. Selon le premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
10. Aux termes du second, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
11. Pour dire que le licenciement est nul, l'arrêt retient que la salariée établit des faits permettant de laisser supposer un harcèlement moral puis que l'employeur n'établit pas que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement et que les dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail s'appliquent.
12. En se déterminant ainsi, sans caractériser le fait que la salariée avait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation du chef de dispositif déclarant le licenciement nul et condamnant la société à payer à la salariée une certaine somme au titre du préjudice résultant de la nullité du licenciement n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare le licenciement de Mme [B] nul et en ce qu'il condamne la société Banque populaire Grand Ouest à lui payer la somme de 75 000 euros au titre du préjudice résultant de la nullité du licenciement, l'arrêt rendu le 30 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.