LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 avril 2025
Cassation partielle
sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 382 FS-D
Pourvoi n° R 23-11.698
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 AVRIL 2025
1°/ L'AGS, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ l'Unédic, dont le siège est [Adresse 3], association déclarée, agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, élisant domicile au Centre de Gestion et d'Etudes AGS CGEA Ile-de-France Ouest, [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° R 23-11.698 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2022 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [Y] [C], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société [O] & [G], société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 4], Allemagne, représentée par M. [R] [M] [T], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Direct Flow Medical,Gmbh,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Panetta, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'AGS et de l'Unédic - CGEA Ile-de-France Ouest, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [C], et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Panetta, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 septembre 2022), M. [C] a été engagé en qualité de spécialiste clinique européen par la société de droit allemand Direct Flow Medical (la société) à compter du 17 novembre 2014. Le contrat de travail stipulait que le salarié exercerait son activité depuis son domicile, situé à [Localité 5], et qu'il était soumis à la loi française.
2. Par décision du 30 mars 2017, un tribunal allemand a ouvert une procédure de liquidation judiciaire (Insolvenzverwalter), le cabinet [O] & [G] étant désigné syndic.
3. Par lettre du 11 avril 2017, le salarié a été informé par le syndic que son contrat de travail était rompu à effet du 31 mai 2017.
4. Le 22 mai 2017, le salarié a déclaré une créance auprès du syndic chargé de la liquidation de la société. Il a ensuite saisi la juridiction prud'homale de son domicile pour faire juger que la procédure de licenciement était irrégulière et que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et pour obtenir la fixation de diverses sommes au passif de la société. Il a également demandé que la décision à rendre soit déclarée opposable à l'AGS.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire que la loi allemande était applicable en ce qui concerne la déclaration des créances au passif de la procédure collective de la société
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, en qu'il fait grief à l'arrêt de fixer diverses sommes au passif de la procédure collective de la société au titre du rappel de salaire de novembre 2016, de la prime du troisième trimestre 2016, du remboursement des frais professionnels, de l'indemnité de licenciement et à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence
Enoncé du moyen
6. L'AGS et l'Unédic - CGEA Ile-de-France Ouest font grief à l'arrêt de fixer diverses sommes au passif de la procédure collective de la société au titre du rappel de salaire de novembre 2016, de la prime du troisième trimestre 2016, du remboursement des frais professionnels, de l'indemnité de licenciement et à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence, alors :
« 2°/ que les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 assurent le règlement des créances impayées des salariés qui exercent ou exerçaient habituellement leur activité sur le territoire français, pour le compte d'un employeur dont le siège social, s'il s'agit d'une personne morale, est situé dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen, lorsque cet employeur se trouve en état d'insolvabilité ; que si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles, les institutions de garantie procèdent au versement des fonds sur présentation par le syndic étranger ou par toute autre personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur, des relevés des créances impayées ; que lorsque les créances relatives à l'exécution ou à la rupture d'un contrat de travail sont fixées par voie de décision juridictionnelle, la garantie de l'AGS ne peut intervenir qu'en l'absence de fonds disponibles et sur présentation d'un relevé de créances ; qu'en affirmant qu'il n'était pas nécessaire d'exiger du liquidateur allemand la production d'un relevé de créances, s'agissant de créances fixées par décision juridictionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 3253-18-4, L. 3253-18-5 et L. 3253-19 du code du travail ;
3°/ que l'AGS faisait valoir que sa garantie ne pouvait intervenir que sur production d'un relevé de créances et d'un document attestant de l'indisponibilité des fonds, établi par l'organe compétent de la procédure ouverte à l'égard de la société Direct Flow Medical ; qu'en ne répondant pas à ce moyen faisant valoir que la garantie de l'AGS ne pouvait être mise en oeuvre sans que soit établie l'absence de fonds disponibles pour régler les créances réclamées par le salarié, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Contrairement à ce que soutient le moyen, les articles L. 3253-18-1, L. 3253-18-4, L. 3253-18-5, alinéa 1er, et L. 3253-19, dernier alinéa, du code du travail ne concernent pas les conditions d'ouverture de la garantie de l'AGS mais les conditions de sa mise en oeuvre.
8. Il en résulte que l'instance, engagée par le salarié aux fins de fixation de sa créance au passif de la procédure collective et de garantie de l'AGS, n'est pas soumise à la production d'un relevé de créances.
9. C'est donc à juste titre que la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à un moyen inopérant, après avoir retenu le bien-fondé des demandes du salarié au titre de l'exécution et la rupture de son contrat de travail, a fixé au passif de la procédure collective de la société diverses sommes correspondant aux créances résultant du contrat de travail, lesquelles sont garanties par l'AGS dans la limite des plafonds prévus aux articles L. 3257-17 et D. 3253-5 du code du travail.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d'office
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 1er, du même code.
Vu les articles L. 3253-18-1, L. 3253-18-4, L. 3253-18-5, alinéa 1er, L. 3253-18-8 et L. 3253-19, dernier alinéa, du code du travail rendu applicable par l'article L. 3253-18-4 du même code :
12. Aux termes du premier de ces textes, les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 assurent le règlement des créances impayées des salariés qui exercent ou exerçaient habituellement leur activité sur le territoire français, pour le compte d'un employeur dont le siège social, s'il s'agit d'une personne morale, ou, s'il s'agit d'une personne physique, l'activité ou l'adresse de l'entreprise est situé dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen, lorsque cet employeur se trouve en état d'insolvabilité.
13. Selon le deuxième texte, si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles, les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 procèdent au versement des fonds sur présentation par le syndic étranger ou par toute autre personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur, des relevés des créances impayées.
14. Aux termes du troisième, les sommes figurant sur ces relevés et restées impayées sont directement versées au salarié dans les huit jours suivant la réception des relevés des créances.
15. Aux termes du quatrième, lorsque le syndic étranger ou toute personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur a cessé ses fonctions ou lorsque l'autorité compétente de l'Etat d'ouverture a constaté la fermeture de l'entreprise ou de l'établissement de l'employeur ainsi que l'insuffisance de l'actif disponible, les institutions de garantie versent les sommes dues au salarié sur présentation, par celui-ci, des pièces justifiant du montant de sa créance. Dans ce cas, les dispositions relatives aux relevés des créances ne sont pas applicables.
16. Le dernier de ces textes dispose que les relevés des créances précisent le montant des cotisations et contributions mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 3253-8 dues au titre de chacun des salariés intéressés.
17. Il résulte de la combinaison de ces textes que le versement au salarié d'un employeur établi dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen, par l'institution de garantie prévue à l'article L. 3253-14 du code du travail, des sommes correspondant à des créances résultant d'un contrat de travail, établies par une décision de justice, ne peut s'effectuer que sur présentation, par le syndic étranger ou par toute autre personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur, des relevés des créances impayées, ou lorsque le syndic étranger a cessé ses fonctions ou lorsque l'autorité compétente de l'Etat d'ouverture a constaté la fermeture de l'entreprise ou de l'établissement de l'employeur ainsi que l'insuffisance de l'actif disponible, sur présentation, par le salarié, des pièces justifiant du montant de sa créance.
18. L'arrêt retient que l'AGS devra faire l'avance des créances fixées par lui dans les limites du plafond de garantie applicable, sans qu'il soit nécessaire d'exiger du liquidateur allemand la production d'un relevé de créances, s'agissant de créances fixées par décision juridictionnelle.
19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
20. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
21. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
22. Il y a lieu en conséquence de dire que l'AGS doit sa garantie à hauteur des créances fixées par l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, du 14 septembre 2022, dans les limites des plafonds prévus aux articles L. 3257-17 et D. 3253-5 du code du travail.
23. La cassation du chef de dispositif disant que l'AGS devra faire l'avance des créances fixées par l'arrêt n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant le liquidateur judiciaire, ès qualités, aux dépens et rejetant la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'AGS devra faire l'avance des créances fixées par sa décision dans les limites du plafond de garantie applicable, l'arrêt rendu le 14 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que l'AGS doit sa garantie à hauteur des créances fixées par l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 14 septembre 2022, dans les limites des plafonds prévus aux articles L. 3257-17 et D. 3253-5 du code du travail ;
Condamne l'AGS et l'Unédic - CGEA Ile-de-France Ouest aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'AGS et l'Unédic - CGEA Ile-de-France Ouest et les condamne à payer à M. [C] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Mariette, conseiller doyen, en ayant délibéré et en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.